Comme le mentionnait une précédente chronique, de nouvelles dispositions du Code des professions (C.prof.) sont entrées en vigueur le 8 juin 2017. Au cours de la dernière année, différents conseils de discipline ainsi que le Tribunal des professions ont été appelés à se prononcer sur certaines d’entre elles, plus particulièrement sur l’article 156, mais également sur les articles 161.0.1 et 123.9 C.prof.

Sanction (art. 156 C.prof.)

Conseil de discipline

En ce qui a trait à l’article 156 C.prof., qui porte sur les sanctions, les conseils de discipline se sont questionnés à savoir si les modifications apportées à cet article, telles la majoration des amendes minimales et maximales et l’imposition d’une radiation d’au moins 5 ans et d’une amende de 2 500 $ à un professionnel déclaré coupable d’avoir posé un acte dérogatoire visé à l’article 59.1 ou un acte de même nature prévu dans un code de déontologie, devaient s’appliquer aux gestes posés avant l’entrée en vigueur de la loi.

Pour certains, ces nouvelles dispositions sont d’application immédiate et doivent être imposées aux affaires en cours, comme l’a conclu, dans une décision interlocutoire, le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec.

Tandis que, pour d’autres, comme l’illustre la décision rendue par le Conseil de discipline des inhalothérapeutes dans Milmore, les infractions commises avant l’entrée en vigueur de la loi n’y sont pas assujetties, notamment en raison du principe de non-rétroactivité des lois.

Tribunal des professions

Le Tribunal des professions a eu l’occasion de se prononcer sur la question dans une affaire où, après avoir infirmé un acquittement, il devait déterminer la sanction disciplinaire  à imposer à un physiothérapeute déclaré coupable sous l’article 59.1 C.prof. Il a précisé que la présomption de non-rétroactivité ne s’appliquait pas aux nouvelles dispositions, qui ont pour but de protéger le public.

«[84] La continuité du processus disciplinaire fait en sorte que c’est à l’étape du prononcé des sanctions que la loi nouvelle doit être appliquée et ce, sans égard à un possible effet de  » cristallisation  » de la situation dans le temps.»

Après avoir considéré les facteurs énumérés à l’article 156 C.prof., il a imposé au professionnel en cause, sous chacun des 6 chefs, l’amende minimale de 2 500 $, en plus de la radiation minimale de 5 ans, tout en précisant que ces périodes de radiation temporaire sont concurrentes et doivent être réduites de la période de radiation provisoire.

Dans une autre affaire où le Tribunal des professions était saisi des appels interjetés à la fois par le syndic et le professionnel à l’encontre d’une décision sur sanction rendue à la suite d’un plaidoyer de culpabilité, il a infirmé la décision sur sanction et déterminé celle à imposer en vertu de l’article 175 C.prof. Après avoir réitéré que les nouvelles dispositions de l’article 156 C.prof sont d’application immédiate, il a imposé au professionnel trouvé coupable en vertu de l’article 59.1 C.prof., la période de radiation minimale de 5 ans et une amende de 2 500 $, en plus d’une limitation permanente de son droit d’exercice auprès de toute clientèle féminine.

Il est à noter que, dans cette affaire, les faits reprochés avaient eu lieu en 2010 et 2011, que le plaidoyer de culpabilité avait été enregistré en 2012 et que la décision contestée avait été rendue en 2015. Quant aux appels, ils avaient également été interjetés avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions.

Renversement du fardeau de la preuve

Soulignons que certains professionnels déclarés coupables en vertu de l’article 59.1 C.prof. ont été condamnés à une période de radiation temporaire moindre que la radiation minimale de 5 ans. Tenant compte du renversement du fardeau de la preuve et des critères énoncés à l’alinéa 2 de l’article 156, le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec a ainsi imposé à un médecin une radiation temporaire de 3 ans dans Cordoba (appel, 2018-04-24 (T.P.), 500-07-000997-183), et, à un autre médecin, une radiation temporaire de 12 mois dans Paquin.

Le 17 mai dernier, le Tribunal des professions a ordonné le sursis d’exécution de la décision du Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec dans cette dernière affaire. Sans se prononcer sur le fond, il a indiqué que la décision du Conseil de discipline ne comportait pas de faiblesse apparente en ce qui a trait à l’application immédiate de la loi nouvelle mais qu’elle en comportait une en ce qui a trait à la justesse de la sanction.

«[47] Cet appel suscite une question sérieuse sur le sens qu’il faut donner à la mesure d’exception à la lumière de la jurisprudence antérieure. Il s’agit d’une question qui présente un motif d’appel sérieux et défendable.»

Réinscription au tableau de l’Ordre (art. 161.0.1 C.prof.)

Dans une autre décision, le Conseil de discipline a été appelé à se pencher sur la demande de réinscription d’un médecin, en vertu du nouvel article 161.0.1 C.prof., qui prévoit une nouvelle procédure dans le cas où un professionnel a été déclaré coupable d’une infraction en vertu de l’article 59.1 C.prof. ou pour un acte de même nature. Le plaignant, qui ne s’y objectait pas, demandait cependant que le Conseil recommande une limitation permanente. Le Conseil de discipline n’y a pas consenti, estimant qu’il pouvait recommander la réinscription sans limitation.

Immunité (art. 123.9 C.prof.)

Dans une décision sur culpabilité et sanction rendue à l’encontre d’un ingénieur à qui il était reproché d’avoir toléré un système de partage de contrats permettant de contourner le processus d’appel d’offres d’une municipalité, le Conseil de discipline des ingénieurs du Québec s’est penché sur le nouvel article 123.9 C.prof. Le syndic plaignant a reconnu que la sanction proposée par les parties, soit une amende de 3 000 $, était clémente, ce faisant, il a souligné l’importance des témoins collaborateurs dans les cas où la preuve est quasi inexistante. Tout en indiquant qu’il aurait été préférable que le plaignant se réfère précisément à l’article 123.9, le Conseil a précisé que sa connaissance d’office du droit en vigueur lui permettait de tenir compte de la collaboration exemplaire du professionnel et de donner suite aux recommandations communes.

«[103] En somme, le législateur reconnaît que dans ces circonstances le témoignage du professionnel peut être rendu en échange d’une immunité, à certaines conditions, ou en contrepartie d’une sanction moins sévère, sous réserve que les ententes intervenues respectent l’objectif du droit disciplinaire d’assurer la protection du public.»

Conclusion

Au-delà de la question présentement débattue liée à l’absence de dispositions transitoires, le message est passé. En matière d’inconduite sexuelle, les sanctions dorénavant imposées en vertu des nouvelles dispositions de l’article 156 C.prof. constituent des conséquences qui devraient faire réfléchir les professionnels tentés de transgresser les frontières professionnelles.

Par ailleurs, il est à noter que la réinscription du professionnel est également sujette à examen par le Conseil de discipline, ce qui a pour conséquence qu’un professionnel radié a tout intérêt à manifester des efforts et une motivation certaine s’il veut espérer réintégrer son ordre professionnel.

Enfin, dans un autre ordre d’idées, il y a lieu de rappeler que les professionnels qui, bien qu’ayant participé à une infraction, acceptent de collaborer lors d’une enquête du syndic peuvent en tirer certains bénéfices, une immunité ou, à tout le moins, une sanction plus clémente.

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