Qu’on se le tienne pour dit, le district de Longueuil en a assez du dumping de dossiers qui engorge ses rôles d’audience, et le coup de gueule de l’un de ses greffiers vient de faire changer les choses.

« Magasinage » de forums

Posons d’abord le problème. Depuis quelques années, une importante proportion des dossiers ouverts à la Chambre civile de la Cour du Québec de ce district n’ont pas de facteur de rattachement avec celui-ci. Les dossiers y sont ouverts afin de profiter de délais de traitement plus courts qu’ailleurs et ainsi d’accélérer la conclusion de certains recours procédant généralement par défaut. Et le district de Longueuil n’est pas seul : d’autres districts (dont ceux de Laval et de Chicoutimi) semblant également être victimes de cette pratique douteuse adoptée par une poignée de cabinets d’avocats agissant en demande.

Montée aux barricades

Devant l’inefficacité de certaines contre-mesures adoptées au fil des années (ralentissement volontaire du traitement des dossiers « étrangers », refus d’accorder les frais de justice, etc.), le greffier en question a décidé de prendre le taureau par les cornes et a ordonné, de sa propre initiative, le transfert de plus de 140 dossiers (Cour du Québec et Cour supérieure confondues) dans leur district « naturel », fondant ses décisions (BMW Canada inc. et Honda Canada Finance inc.) sur les pouvoirs généraux du tribunal en matière de gestion de l’instance, la règle de la proportionnalité et les circonstances particulières de l’espèce :

[99] Ainsi, en vertu des larges pouvoirs attribués et devoirs imposés au greffier spécial, à titre de tribunal, par les dispositions du Code de procédure civile sur la gestion d’instance et la « métanorme » de proportionnalité, et considérant la nature particulière de la situation causée par l’afflux disproportionné et irrégulier de recours, le soussigné ordonne le transfert de tous et chacun des dossiers dans lesquels demande d’inscription est produite et jugement n’a pas été rendu. Ceux-ci sont répertoriés en annexe à l’ordonnance.

Requête en révision

Malheureusement, ces jugements ne feront vraisemblablement pas jurisprudence. Approuvée en cela par la Cour supérieure (BMW Canada inc.), la Cour du Québec a nié au greffier spécial la compétence d’attribution et les pouvoirs nécessaires au renvoi d’office de dossiers, précisant au passage que la règle de la proportionnalité était :

[54] […] en lien avec la complexité procédurale ou de preuve relative au litige mû entre les parties et non avec le volume de dossiers pouvant être ouverts dans un district donné ou la surcharge potentielle de travail du greffier spécial.

Cela dit, les efforts du greffier n’auront pas été vains. D’une part, le cabinet d’avocats en cause s’est engagé à ne plus intenter d’affaires dans le district de Longueuil, à moins que celui-ci n’ait compétence territoriale, ce que la Cour du Québec qualifie de « sage décision […] vu l’article 19 du C.p.c. et l’obligation de bonne foi procédurale, tant par la partie que par l’avocat » (paragr. 96).

L’article 48 du Code de procédure civile (C.P.C.)

D’autre part, la Cour supérieure est allée plus loin et a profité de l’occasion pour analyser la situation sous l’angle de l’article 48 C.P.C., lequel permet au juge en chef d’ordonner d’office le transfert d’un dossier dans un autre district lorsque, notamment, des « motifs sérieux » le commandent. Or, la Cour supérieure se serait montrée encline à exercer ce pouvoir dans cette affaire si le nombre de dossiers intentés devant elle (6) avait été plus important.

Bref, si le greffier a eu raison de s’indigner, comme l’a reconnu la Cour supérieure, il ne pouvait lui-même donner le coup de balai :

[27] Ce dossier illustre que les greffiers spéciaux devraient se tourner vers l’un des juges visés par l’article 48 C.p.c. afin de leur faire part de toute situation préoccupante pour que ces juges puissent poser, le cas échéant, les gestes appropriés. 

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