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Dans notre système de justice pénale, l’enjeu est de taille pour le délinquant qui, par exemple, a choisi de ne pas subir de procès et dont l’enregistrement d’un plaidoyer de culpabilité est tributaire de la recommandation commune des parties quant à la peine qui lui sera imposée. Jusqu’à tout récemment, il n’existait pas de consensus quant au critère juridique applicable au juge qui choisissait de rejeter une telle recommandation.  Alors que certains tribunaux canadiens parlaient de «justesse», d’autres faisaient état de peines «manifestement non indiquée» ou encore «contre l’intérêt public». En octobre dernier, la Cour suprême (R. c. Anthony-Cook), sous la plume du juge Moldaver, a tranché la question et a conclu que le critère de l’intérêt public était celui sur lequel doivent dorénavant s’appuyer tous les juges choisissant de s’écarter d’une recommandation conjointe relative à la peine.

Intérêt public

La plus haute Cour a finalement retenu le critère de l’intérêt public notamment parce qu’elle le juge plus rigoureux et parce qu’il «reflète le mieux les nombreux avantages que les recommandations conjointes apportent au système de justice pénale ainsi que le besoin correspondant d’un degré de certitude élevé que ces recommandations seront acceptées» (paragr. 31). Ainsi, de dire le juge Moldaver : «Selon le critère de l’intérêt public, un juge du procès ne devrait pas écarter une recommandation conjointe relative à la peine, à moins que la peine proposée soit susceptible de déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public» (paragr. 32).

Bien sûr, le juge peut ne pas donner suite à la recommandation des parties. Il faudra alors que celle-ci soit «à ce point dissociée des circonstances de l’infraction et de la situation du contrevenant que son acceptation amènerait les personnes renseignées et raisonnables, au fait de toutes les circonstances pertinentes, y compris l’importance de favoriser la certitude dans les discussions en vue d’un règlement, à croire que le système de justice avait cessé de bien fonctionner» (paragr. 34).

L’avantage de plaider coupable

La Cour suprême motive la nécessité d’un critère rigoureux pour écarter des recommandations conjointes, notamment en raison du fait que les accusés tirent un avantage à plaider coupable en échange d’une recommandation conjointe relative à leur peine. Il est ainsi reconnu que : «Les personnes accusées qui plaident coupables rapidement sont en mesure de minimiser le stress et les frais liés aux procès. De plus, pour ceux qui éprouvent des remords sincères, un plaidoyer de culpabilité offre une occasion de commencer à reconnaître leurs torts. Pour de nombreux accusés, il est crucial de favoriser au plus haut point la certitude quant au résultat — et une recommandation conjointe, même si elle n’est pas inviolable, offre à cet égard une assurance considérable» (paragr. 36).

Enfin, soulignons que le travail des avocats appelés à proposer une peine est aussi reconnu par le tribunal, pour qui «un seuil élevé pour écarter des recommandations conjointes est non seulement nécessaire, mais également approprié, afin que l’on retire tous les avantages des recommandations conjointes. Les avocats du ministère public et de la défense sont bien placés pour en arriver à une recommandation conjointe qui reflète tant les intérêts du public que ceux de l’accusé» (paragr. 44).

L’affaire R. c. Vaillancourt

À titre d’illustration jurisprudentielle, reprenons l’affaire Vaillancourt, qui a occupé une grande place dans l’actualité en 2016. L’accusé, qui a été maire de la Ville de Laval de 1996 à 2010, a été reconnu coupable de complot pour commettre des fraudes, de fraude et d’abus de confiance après qu’une enquête policière eut mis à jour un système de collusion et de corruption dans l’adjudication de contrats publics de la Ville. Une ristourne sous forme de pourcentage de la valeur des contrats accordés était alors remise par les participants au système.

Appelé à déterminer la peine à imposer à l’ex-maire, le juge Brunton, de la Cour supérieure, a tenu compte des facteurs aggravants et atténuants, dont le remboursement substantiel de 8,6 millions de dollars au profit des contribuables de la Ville, et a retenu la recommandation commune des parties, à savoir 6 ans de pénitencier, moins la période de garde et une dispense de l’imposition d’une suramende compensatoire, compte tenu de l’incarcération et du remboursement proposé.

Appliquant l’enseignement de la Cour suprême à l’affaire devant lui, le juge Brunton a noté que celle-ci était le fruit du travail d’avocats d’expérience faisant face à une situation complexe et s’est dit d’avis que «l’acceptation de la recommandation conjointe avancée dans ce dossier ne déconsidérait pas l’administration de la justice et ne serait pas contraire à l’intérêt public» (paragr. 15). Le juge a conclu que l’ex-maire «mérite amplement la peine qui est recommandée» (paragr. 21). Et c’est ainsi que ce dernier a pris le chemin du pénitencier pour purger une peine dont il connaissait la teneur avant de se présenter devant la Cour.  

Références

  • c. Anthony-Cook (C.S. Can., 2016-10-21), 2016 CSC 43, SOQUIJ AZ-51334226, 2016EXP-3305, J.E. 2016-1796.
  • R. c. Vaillancourt (C.S., 2016-12-15), 2016 QCCS 6182, SOQUIJ AZ-51350368.
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