L’article 124 de la Loi sur les normes du travail (L.N.T.) permet à un salarié qui compte au moins 2 ans de service continu dans l’entreprise et qui croit avoir été congédié sans cause juste et suffisante de contester cette mesure devant le Tribunal administratif du travail (TAT).

Si le TAT juge que le salarié a été congédié sans cause juste et suffisante, il peut rendre différentes ordonnances réparatrices, y compris la réintégration dans l’emploi (art. 128 L.N.T.).

Les tribunaux ont depuis longtemps établi que le recours en vertu de l’article 124 L.N.T. ne s’applique pas au salarié qui a fait l’objet d’un véritable licenciement (Donohue Inc.).

Il est donc important de faire la distinction entre ces 2 mesures :

  1. En principe, on peut dire que le « licenciement » est un « [a]cte par lequel un employeur met fin d’une façon permanente au contrat individuel de travail chez l’un, plusieurs ou l’ensemble des membres de son personnel pour des motifs d’ordre économique ou technique » (Gérard Dion, Dictionnaire canadien des relations du travail, 2eéd., Québec, PUL, 1986, p. 277).
  2. Le terme « congédiement » utilisé à l’article 124 L.N.T. ne vise que les ruptures de la relation de travail causées par des motifs subjectifs liés aux caractéristiques propres du salarié (Pierre Laporte, Le recours à l’encontre des congédiements sans cause juste et suffisante, Montréal, Wilson & Lafleur, 1985, p. 131).

Que se passe-t-il lorsque le salarié allègue que le licenciement invoqué par l’employeur n’est pas le véritable motif de sa cessation d’emploi mais que ce dernier a utilisé le prétexte du licenciement pour se débarrasser de lui (congédiement déguisé)?

Il appartient au tribunal saisi d’une plainte en vertu de l’article 124 L.N.T. de déterminer si la décision de l’employeur est un licenciement ou un congédiement déguisé. Pour ce faire, il doit suivre le cheminement suivant :

  • vérifier si les difficultés financières ou la réorganisation administrative invoquées sont prouvées;et, si c’est le cas,
  • vérifier si le licenciement constitue la véritable cause de la cessation d’emploi ou s’il s’agit plutôt d’un prétexte utilisé pour se départir des services du salarié.

Le fardeau de la preuve de l’employeur consiste à démontrer que les motifs d’ordre économique ou organisationnel sont réels et que la fin d’emploi en résulte directement. S’il réussit à faire cette démonstration, le fardeau de la preuve est déplacé sur les épaules du salarié. Celui-ci doit alors établir que la mesure invoquée est un subterfuge ou un prétexte, qu’elle est discriminatoire, irrationnelle ou abusive à son endroit, bref que la décision de l’employeur constitue non pas un licenciement, mais un congédiement déguisé. Si le salarié ne s’acquitte pas de son fardeau de preuve, le tribunal doit conclure à un licenciement et rejeter la plainte.

Cela m’amène à vous entretenir d’un jugement rendu récemment.

Dans Groupe technologies Desjardins inc., la Cour supérieure a infirmé la décision du TAT en raison de son caractère déraisonnable.

Les faits

La salariée a travaillé pendant 19 ans au Mouvement Desjardins, dont les 6 dernières années à titre d’analyste-conseil en bureautique chez Groupe technologies Desjardins inc. (GTD). Le 20 janvier 2017, elle a été avisée de l’abolition de son poste ainsi que de la cessation de son emploi, prévue pour le 17 mars suivant. Elle a déposé une plainte en vertu de l’article 124 L.N.T. à l’encontre de cette mesure. Le TAT a accueilli la plainte, estimant que la salariée avait fait l’objet d’un congédiement déguisé.

La position de l’employeur

Au soutien de son pourvoi en contrôle judiciaire, GTD a reproché au TAT d’avoir interprété l’article 124 L.N.T. de façon déraisonnable, de lui avoir imposé l’obligation de faire des démarches afin de tenter de réaffecter la salariée dans un autre poste et d’avoir omis d’expliquer en quoi le critère de l’ancienneté n’était pas objectif quant au choix du salarié à licencier.

La Cour a donné raison à l’employeur

Après avoir rappelé les règles relatives au fardeau de la preuve, la Cour constate que le TAT a créé une obligation supplémentaire à l’employeur, soit celle de replacer la salariée ailleurs dans l’entreprise.

Le juge précise que le TAT ne détient aucun pouvoir de déterminer lui-même quels sont les critères applicables en matière d’attribution de postes en cas de diminution de personnel.

Il écrit :

[47] À partir du moment où l’employeur a démontré que la décision de procéder à une coupure de poste pour des motifs de réorganisation du travail constitue un licenciement et que le critère de l’ancienneté est objectif et raisonnable, le TAT devait arrêter son analyse.

[48] En conséquence, son processus décisionnel qui l’a amené à créer une obligation de l’employeur de tenter de replacer l’employé dans un autre poste, soit dans la même organisation, soit dans une autre entité liée, de sorte que le défaut de ce faire cache un congédiement déguisé, devient déraisonnable.

[49] Contrairement à une situation de lésions ou de maladies professionnelles, l’article 124 L.N.T. ne crée pas une telle obligation à l’employeur et, par conséquent, le TAT ne peut créer une telle obligation.

[…]

[60] À défaut d’une analyse permettant de comprendre sa conclusion selon laquelle l’employeur a usé d’un prétexte, c’est-à-dire la réorganisation, pour procéder à un congédiement, [le TAT] ne pouvait conclure que le critère de l’ancienneté n’était pas objectif ou raisonnable.

Ce jugement nous rappelle que les articles 124 et ss. L.N.T. n’accordent aucune protection d’emploi au salarié victime d’un licenciement.

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