Radio-Canada nous apprenait ce matin que 3 agronomes au service du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) ont fait l’objet de mesures disciplinaires pour avoir parlé à des journalistes.

L’article mentionne que l’un d’eux, Louis Robert, était une sommité dans son domaine et qu’il a été congédié le 24 janvier dernier après 32 ans de service au MAPAQ. Quant aux 2 autres fonctionnaires, ils ont été suspendus sans traitement, respectivement pour 3 et 5 jours.

Selon le journaliste Thomas Gerbet, le MAPAQ reproche aux 3 agronomes d’avoir violé leur devoir de discrétion en transmettant des informations jugées confidentielles aux médias sans l’autorisation de leur supérieur. Il appert que ces fonctionnaires voulaient dénoncer publiquement l’ingérence du secteur privé dans la recherche publique sur l’utilisation des pesticides.

En prenant connaissance de cette nouvelle, j’ai effectué une recherche dans la banque de jurisprudence SOQUIJ. J’y ai trouvé cette sentence arbitrale (Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ)), qui porte sur un cas de congédiement d’un «sonneur d’alerte».

Voici le résumé de la sentence arbitrale publié dans Recherche juridique :

«Grief contestant un congédiement. Accueilli en partie; une suspension de deux mois est substituée au congédiement.

Le plaignant, un inspecteur en environnement, a été congédié pour avoir donné une entrevue à visage couvert à la télévision de Radio-Canada à titre d’inspecteur du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques. L’employeur lui reproche d’avoir tenu des propos erronés et alarmistes qui ont pu porter atteinte à sa réputation. Il allègue qu’il a contrevenu à la Loi sur la fonction publique ainsi qu’au Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique et qu’il a manqué à son obligation de loyauté, de discrétion et de réserve à l’égard de l’employeur. Le syndicat admet que le plaignant a contrevenu à son code d’éthique. Il conteste la proportionnalité du congédiement avec la faute.

Décision

Le plaignant a agi en tant que sonneur d’alarme. Le litige a trait au devoir de loyauté et à la liberté d’expression. Le syndicat a admis que, même si la loi relative à la protection des fonctionnaires qui font des divulgations avait été en vigueur au moment du congédiement du plaignant, elle ne se serait pas appliquée. L’arbitre est d’accord avec les propos de la doctrine qui abordent les conditions exceptionnelles permettant à un employé régulier de divulguer certaines informations sur son employeur. Selon celle-ci, la divulgation externe est toujours risquée pour un salarié.

En l’espèce, les divulgations du plaignant ont été faites dans un contexte d’une critique par le syndicat et des groupes de pression en environnement de la gestion du Ministère. Elles ne servaient pas son intérêt personnel. Toutefois, il ne bénéficiait pas d’une immunité syndicale selon la jurisprudence. Il ne faisait pas partie de l’exécutif syndical, il s’est présenté en tant qu’inspecteur du Ministère et non à titre de représentant syndical. Il a manqué à ses obligations de fonctionnaire prévues aux articles 4 et 5 de la Loi sur la fonction publique et au Règlement sur l’éthique et la discipline dans la fonction publique, notamment celles de loyauté et d’obtention d’une autorisation du supérieur pour faire des déclarations sur la place publique.

Selon la jurisprudence, il a commis une faute grave, compte tenu de l’occupation d’une fonction d’inspecteur. Il a aggravé sa faute en n’admettant pas à la première occasion que c’était lui qui avait fait les déclarations. Cependant, le congédiement imposé doit être remplacé par une suspension de deux mois. Le plaignant comptait 23 ans d’ancienneté, il regrette d’avoir donné cette entrevue et il n’a pas agi dans son intérêt personnel. D’autre part, la réputation du Ministère n’a pas été ternie à jamais puisque, de toute façon, le plaignant n’a pas ajouté d’éléments nouveaux dans un débat qui était déjà dans l’espace public. Le plaignant a servi de bouc émissaire pour tous les commentaires négatifs reçus par le Ministère. Les risques de récidive sont minimes. L’employeur aurait dû appliquer le principe de la progression des sanctions.» (Caractères gras ajoutés.)

Cette sentence arbitrale a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire, laquelle a été rejetée. La Cour supérieure a refusé d’intervenir, estimant que la décision n’était pas déraisonnable. 

Il faut souligner qu’au moment des faits reprochés au salarié dans Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SFPQ), la Loi facilitant la divulgation d’actes répréhensibles à l’égard des organismes publics n’était pas en application. Cette dernière est entrée en vigueur le 1er mai 2017. L’article 30 de cette loi énonce ce qui suit :

Il est interdit d’exercer des représailles contre une personne pour le motif qu’elle a de bonne foi fait une divulgation ou collaboré à une vérification ou à une enquête menée en raison d’une divulgation.

Il est également interdit de menacer une personne de représailles pour qu’elle s’abstienne de faire une divulgation ou de collaborer à une vérification ou à une enquête menée en raison d’une divulgation.

La personne qui s’estime victime de telles représailles ne bénéficie pas d’un recours semblable à ce que l’on trouve dans certaines lois du travail. Elle peut toutefois porter plainte auprès du Protecteur du citoyen pour que celui-ci examine la situation et propose des recommandations, le cas échéant.

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