Dans un jugement récent, la Cour du Québec a donné raison à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) et a condamné un concessionnaire d’automobiles à verser des commissions à un ex-vendeur. Pour ce faire, elle a dû interpréter le contrat de travail en lui donnant un sens qui est conforme à ce que prévoient les articles 1432 du Code civil du Québec (C.C.Q.) et 46 de la Charte des droits et libertés de la personne.

Les faits

Le salarié a été engagé le 26 janvier 2015 à titre de vendeur chez Les Automobiles Popular inc., à Montréal. Après quelques mois passés à la division Volkswagen, il a été recruté par la division Audi, dont l’établissement est situé de l’autre côté de la rue. Le 3 février 2016, il a été congédié sans qu’aucun motif lui soit fourni.

L’employeur a refusé de payer la commission sur les offres d’achat que le salarié avait obtenues avant son congédiement au motif que toutes les étapes de la transaction n’avaient pas été conclues en date du 3 février 2016. La CNESST a entrepris un recours en vertu de la Loi sur les normes du travail afin d’obtenir le paiement d’une somme de 8 350,16 $, représentant les commissions ainsi que l’indemnité de congé annuel dues au salarié.

Les clauses pertinentes du contrat de travail

En défense, l’employeur a invoqué les clauses suivantes de l’entente de rémunération signée par le salarié quelques jours après son embauche :

Rémunération des employés

L’employé est payé chaque jeudi pour la semaine se terminant le vendredi précédent. La rémunération versée à titre de commission sur véhicule vendu (ou loué) sera considérée comme gagnée lorsque le véhicule est physiquement et légalement livré, et que l’acheteur (locataire) a signé tous les documents requis à cette fin. Il est important de souligner que tous les documents officiels doivent être approuvés par l’employeur avant la livraison finale d’un véhicule.

Salaire de base

L’employé recevra un salaire de base hebdomadaire de $150.00.

9. Remise de commission

Pour les besoins du département de la comptabilité, la paie d’une semaine est établie par les commissions gagnées sur les livraisons qui parviendront au bureau du lundi au vendredi suivant. Les déductions d’impôt et autres ainsi que les montants inscrits aux comptes recevables du vendeur seront faits régulièrement.

L’employé reconnaît que les commissions versées par l’employeur constituent son salaire et que ces commissions compensent pour le salaire minimum tel que requis par la Loi sur les normes du travail. L’employeur garantit à l’employé qu’il recevra en commissions au moins le salaire minimum prévu à la Loi sur les normes du travail pour le nombre d’heures de plancher obligatoire travaillées par l’employé au cours d’une année.

10. Avances sur commission

À la discrétion de l’employeur, une avance sur commission pourra être versée à l’employé. Cette avance équivaudra à un montant de _____300.00______ $.

Lorsque l’employé cesse de travailler chez l’employeur et ce, pour quelque raison que ce soit, il est tenu de rembourser à l’employeur les avances sur commission non gagnées, et l’employeur versera, s’il y a lieu, les commissions dues au vendeur.

11. Commission sur véhicules neufs et usagés

Les commissions concernant les ventes sur véhicules neufs et usagés se calculent selon l’Annexe I jointe à la présente entente.

Pour une location à long terme, l’employé reçoit la commission décrite en Annexe I, en autant qu’il complète entièrement la transaction et qu’elle soit approuvée par le Directeur des ventes ou son supérieur.

Lorsque l’employé quitte définitivement son emploi chez l’employeur, et qu’il n’a pas, au sens de l’article 9, complété une vente (location), il n’aura alors droit à aucune commission sur ce véhicule.

Les motifs

  • Selon le libellé du contrat, le droit de l’employé à une commission n’est pas acquis tant que toutes les étapes de la transaction n’ont pas été accomplies. D’ailleurs, la preuve démontre que la commission n’est payée qu’après la signature du contrat de vente et la livraison du véhicule au client.
  • L’étape déterminante du processus de vente menant au bout du compte à la livraison du véhicule au client est celle de la signature d’une offre de vente ou de location. C’est à ce moment que le client donne son consentement à l’achat d’un véhicule (paragr. 24).
  • Il serait manifestement contraire au cadre de rémunération énoncé dans l’entente que l’employeur puisse unilatéralement transférer l’accomplissement des étapes subséquentes à un autre représentant et refuser de payer une commission à celui qui a trouvé le client et lui a fait signer une offre de vente (paragr. 26).
  • C’est dans cet esprit qu’il faut interpréter le troisième paragraphe de la clause 11 de l’entente de rémunération. Si l’employé quitte volontairement son emploi (démission) avant d’avoir terminé le processus de vente, son départ peut équivaloir à une renonciation à sa commission. Par contre, lorsque l’employeur met fin à l’emploi du vendeur, il prive ce dernier de la possibilité d’accomplir toutes les étapes menant à la concrétisation de la vente (paragr. 27 à 29).
  • L’employeur dominait nettement le rapport de force lors de la signature de l’entente de rémunération. Selon la règle énoncée à l’article 1432 C.C.Q., tout doute dans l’interprétation de cette entente doit bénéficier au salarié (paragr. 30).
  • Le salaire de base prévu à l’entente de rémunération est si peu élevé que, pour préserver l’équité du contrat pour le salarié, il est nécessaire de donner aux dispositions lui accordant le droit à une commission une interprétation qui favorise de façon maximale la possibilité qu’il puisse toucher une commission (paragr. 31).
  • Une telle interprétation de l’entente est la seule qui soit conforme à la garantie énoncée à l’article 46 de la charte : toute personne qui travaille a droit, conformément à la loi, à des conditions de travail justes et raisonnables (paragr. 32).
  • Une entente de rémunération qui prévoit un salaire mensuel de base de 150 $ pour 40 heures de travail force l’employé à supporter un risque financier substantiel. Le droit garanti par l’article 46 de la charte ne peut donc être respecté que si l’entente de rémunération est interprétée de manière à procurer à l’employé une possibilité véritable de bénéficier du fruit de son travail et de gagner le droit à des commissions (paragr. 33).

Le tribunal a fait droit à la demande et a condamné l’employeur à payer les sommes réclamées.

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