Le décès d’une fillette de 7 ans à la suite des sévices qu’elle a subis de la part de son père et de la conjointe de celui-ci a soulevé l’indignation des Québécois au début du mois de mai, surtout parce que l’on a appris que la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) était au courant de sa situation et qu’un signalement avait été fait quelques jours avant son décès.

Ce décès donne lieu à une prise de conscience. Une commission parlementaire spéciale sur la protection de la jeunesse est en voie d’entreprendre des travaux sur le fonctionnement de ce système de protection. Mais, déjà, en janvier dernier, nous apprenions dans La Presse que 3 000 enfants étaient en attente d’évaluation par la DPJ. D’ailleurs, nos tribunaux ont lancé des signaux d’alarme au cours des dernières années. Voyons quelques cas d’espèce récents de situations où les tribunaux ont conclu à des manquements du système :

Protection de la jeunesse — 191256

Au mois de mars 2017, l’enfant a intégré un foyer de groupe pour une période de 9 mois. Pendant son séjour, elle a été victime d’agressions sexuelles répétées de la part d’une autre résidente pendant 6 mois. 

Bien que la DPJ ait retenu un signalement quant à la situation de X au mois d’août 2017, au moment des observations devant la Cour, soit le 24 janvier 2019, le suivi de l’enfant n’avait toujours pas débuté.

À la suite du signalement, X a été maintenue dans le milieu où les agressions étaient survenues. Même si l’«agresseuse» en a été retirée, le milieu non protégeant est demeuré identique puisque les intervenants du foyer et ceux de la DPJ ont continué de prétendre que tout avait bien été fait, dans le respect de leurs normes et de leurs protocoles.

Or, selon la juge, non seulement les intervenants ont eu besoin de 6 mois pour se rendre compte du problème d’agressions, qui touchait 5 autres jeunes filles, mais la DPJ a laissé perdurer la situation puisque les services nécessaires n’ont pas été mis en place en temps opportun.

Les droits de l’enfant ont donc été lésés.

Protection de la jeunesse — 189722

X et Y sont respectivement âgés de 3 et 5 ans. Au mois d’août 2017, le directeur de la DPJ a reçu un signalement en lien avec des abus physiques les concernant. L’évaluation de ce signalement a révélé que les enfants se faisaient frapper par leur père et que la relation entre les parents était conflictuelle.

Selon le tribunal, la DPJ n’a pas agi avec diligence pour assurer la protection des enfants. Sa décision d’appliquer un programme qui ne se prêtait pas à la situation et qui contrevenait au protocole établi a entraîné un retard dans l’évaluation du signalement et dans la prise en charge de la situation pour protéger les enfants.

Le jugement conclut que le délai de 5 mois entre la réception du signalement et les mesures de protection est déraisonnable, d’autant plus dans un cas où le motif de compromission consiste en des abus physiques de la part du père des enfants et de l’aveuglement volontaire de leur mère. Le DPJ a lésé les droits de X et Y en omettant d’agir pour assurer leur intérêt, leur sécurité et leur développement.

Protection de la jeunesse — 187856

Une adolescente de 14 ans placée dans un centre de réadaptation a subi de la négligence sur le plan des soins de santé. Le 30 janvier 2018, elle s’est heurté la tête sur le sol de béton alors que les agents de sécurité appliquaient la méthode dite de «sortie sécuritaire» pour l’emmener dans une pièce.

L’enfant a été enfermée en raison de son état d’agitation et du danger qu’elle représentait pour le personnel; une éducatrice surveillait son état régulièrement. Deux jours plus tard, le médecin de famille de X a diagnostiqué chez elle un traumatisme crânien léger avec entorse cervicale et céphalées secondaires.

Le tribunal a conclu que le délai de 3 jours entre l’impact subi à la tête et l’examen médical était injustifié et choquant.

Le 20 février suivant, l’adolescente s’est de nouveau cogné la tête fortement au cours de l’intervention mise en branle après qu’elle eut refusé de remettre le livre qu’elle avait avec elle en salle de retrait. Ce n’est que le 1er mars qu’elle a vu un médecin.  

Dans cette affaire, le juge a conclu que les droits de l’adolescente avaient été lésés par le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) puisque le personnel du centre de réadaptation relève de lui. Le tribunal a ordonné au CISSS de mettre en œuvre, dans un délai raisonnable, un protocole de gestion des commotions cérébrales en centre de réadaptation. Il a conclu que les intervenants de première ligne de ces établissements ne devront plus être laissés à eux-mêmes lorsqu’un enfant subira une blessure à la tête; ils devront en outre recevoir une formation adéquate à cet égard.

Protection de la jeunesse — 1884 

X est un enfant inuit né en 2011. Peu après sa naissance, au mois de février, sa mère biologique a consenti à son adoption par une collègue. Le 20 mars, la mère adoptive, excédée par les pleurs de l’enfant, l’a remis à la DPJ. Dans un intervalle de 1 mois, X a été placé dans 11 foyers d’accueil différents. Enfin, le 17 avril, il a été placé auprès de la mère d’accueil, sans évaluation préalable de l’environnement de cette dernière. Ce placement devait être d’une durée de 30 jours, mais la mère d’accueil n’a eu aucune nouvelle de la DPJ par la suite, le dossier de X ayant été fermé le mois suivant. 

La DPJ a abandonné X en le laissant avec la mère d’accueil sans que cette dernière soit certifiée famille d’accueil, laissant un état de fait se cristalliser durant une longue période, au terme de laquelle il serait maintenant contre-indiqué de déplacer l’enfant.

La DPJ a lésé les droits de l’enfant, notamment en ne fournissant aucune information à la mère d’accueil quant aux soins requis par l’état de santé de l’enfant et en ne prenant aucune mesure pour tenir compte du fait que ce dernier ne connaissait aucunement la mère d’accueil à ce moment.

La juge a souligné que la DPJ n’avait pas traité l’enfant et ses mères avec courtoisie, équité et compréhension, dans le respect de leur dignité et de leur autonomie, et qu’elle ne s’était pas assurée de la compréhension par la mère des informations ou des explications données.

Le jugement mentionne que la DPJ a abusé de son autorité, agissant de manière immorale et non nécessaire, lorsqu’elle a entrepris des démarches pour que soit reconnu le statut de mère légale à la mère biologique, faisant pression sur la mère adoptive à cette fin.

Ce ne sont là que quelques cas répertoriés dans notre jurisprudence récente provenant de la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec. Il faut toutefois contextualiser ces cas. En effet, la Chambre de la jeunesse rend plus de 10 000 décisions par année; de ce nombre, on peut très bien imaginer le volume de dossiers que les différents intervenants doivent traiter, bon an mal an. Souhaitons que la discussion se poursuive et que les travaux de la commission parlementaire portent leurs fruits au bénéfice de tous et particulièrement à celui des enfants dont la sécurité ou le développement sont compromis.

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