Tout récemment, nous avons reçu plusieurs décisions en lien avec les différents arrêtés et décrets pris par le gouvernement depuis le début de la pandémie de la COVID-19. En voici quelques-unes:

L’enseignement à distance

Karounis c. Procureur général du Québec 

Le décret 885-2020, du 19 août 2020 (Décret concernant l’ordonnance de mesures visant à protéger la santé de la population dans la situation de pandémie de la COVID-19), a levé la suspension des services éducatifs et a rétabli l’obligation de fréquentation scolaire.

Il a prévu une exception à l’obligation de fréquentation scolaire en personne aux élèves dont l’état de santé — ou celui d’une personne avec laquelle ils résident — les met à risque de complications graves s’ils contractent la COVID-19. Dans ces cas, l’élève n’est pas dispensé de fréquenter l’école, mais il n’est pas tenu de le faire en personne puisque le gouvernement lui offre des services éducatifs à distance.

Cette exception a été reprise dans le décret 943-2020, du 9 septembre 2020 (Décret concernant l’ordonnance de mesures visant à protéger la santé de la population dans la situation de pandémie de la COVID-19), et élargie pour couvrir les élèves dont les classes sont fermées en raison d’une éclosion de COVID-19.

Les demanderesses, craignant que la fréquentation scolaire en personne ne mette leurs enfants, leur famille ou la population à risque, ont attaqué la constitutionnalité du décret. Elles ont demandé au tribunal de maintenir l’obligation du gouvernement d’offrir des services éducatifs à distance en éliminant toute condition requise pour obtenir ces services.

Le tribunal a conclu que la mesure attaquée ne portait pas atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Celui-ci précise que rien n’interdit aux parents d’offrir l’école à la maison à leurs enfants s’ils ne souhaitent pas qu’ils fréquentent l’école en personne.

Les rassemblements interdits

Conseil des juifs hassidiques du Québec c. Procureur général du Québec 

À la suite de nombreuses arrestations pour rassemblements illégaux, les demandeurs, invoquant notamment une atteinte à la liberté de religion, ont attaqué l’arrêté ministériel 2021-003 du 21 janvier 2021 (Arrêté concernant l’ordonnance de mesures visant à protéger la santé de la population dans la situation de pandémie de la COVID-19), lequel prévoit qu’un maximum de 10 personnes peut faire partie de l’assistance d’un lieu de culte, sauf à l’occasion d’une cérémonie funéraire, auquel cas la limite de 25 personnes est applicable.

La juge a accueilli en partie la demande sur le plan administratif et a déclaré que le maximum de 10 personnes pouvant faire partie de l’assistance d’un lieu de culte au sens de l’arrêté ministériel s’appliquait à chaque salle d’un édifice desservie par un accès indépendant à la rue sans partager d’espace commun avec les autres salles. Elle a ainsi rejeté l’interprétation du gouvernement selon laquelle la limite de 10 personnes ne permettait pas les rassemblements simultanés dans plusieurs salles à une même adresse, et ce, même en respectant la condition d’y accéder par des entrées séparées et sans qu’il y ait partage d’espace commun avec les autres salles.

En ce qui concerne les arguments constitutionnels, elle a conclu ainsi:

«[27]       Ainsi, les atteintes aux droits fondamentaux invoqués, même en les tenant pour démontrées, advenant qu’elles s’avèrent justifiées à la lumière de tels éléments de preuve, seraient considérées constitutionnelles.

[28]       C’est pourquoi les tribunaux ne peuvent intervenir à une étape aussi préliminaire que celle d’une demande de sursis provisoire ou ordonnance de sauvegarde, en suspendant l’application ou en accordant l’exemption constitutionnelle d’une mesure présumée prise dans l’intérêt public en temps de pandémie, que dans des cas extrêmement clairs.»

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Roussil-Chabot

Le défendeur a été accusé d’avoir refusé d’obéir à l’ordre de ne pas se rassembler à l’extérieur à moins de 2 mètres de distance d’autres personnes en violation du décret 543-2020 (Décret concernant l’ordonnance de mesures visant à protéger la santé de la population dans la situation de pandémie de la COVID-19), pris en vertu de l’article 123 paragraphe 8 de la Loi sur la santé publique.

Le défendeur a été acquitté en vertu de l’exception prévue au décret, ayant été considéré comme une personne qui recevait d’une autre personne un service ou un soutien.

Étant donné un bris mécanique de sa voiture, le défendeur s’était arrêté dans un stationnement où se trouvaient une quinzaine de personnes, dont des enfants. Lui et un autre homme étaient penchés au-dessus de son véhicule. Ils s’affairaient à une possible réparation. Selon la juge de paix, dans ce contexte précis, ce service rendu spontanément à quelqu’un constitue du soutien, de la protection et du secours. Rendre service ou soutenir quelqu’un, même en temps de pandémie, demeure un geste acceptable. Punir l’action ou rendre impossible le soutien de cette nature ne correspond pas à l’objectif d’éliminer les rassemblements futiles ou non essentiels.

Le couvre-feu

Desrochers c. Procureur général du Québec

Le demandeur a déposé un pourvoi en contrôle judiciaire attaquant la validité du décret 2-2021, du 8 janvier 2021 (Décret concernant l’ordonnance de mesures visant à protéger la santé de la population dans la situation de pandémie de la COVID-19), qui impose l’interdiction à toute personne de se trouver hors de sa résidence entre 20 h et 5 h.

Selon lui, le couvre-feu a pour effet d’interdire la marche, la course à pied ou la circulation en voiture seul ou avec des personnes vivant à la même adresse, ce qui n’aurait pas de lien rationnel avec la protection de la santé publique.

Il a demandé un sursis d’application du décret durant l’instance à l’égard des activités visées par le pourvoi.

Le juge a rappelé qu’il existe une présomption selon laquelle la loi ou un acte réglementaire est adopté pour le bien commun et l’intérêt public. Selon lui, il a été démontré que le décret a été adopté dans l’intérêt du public et qu’il a pour but de protéger la population des risques liés à la propagation du virus. Dans le contexte particulier de la pandémie, il a conclu que le législateur avait prévu une interdiction ciblée en se fondant sur les informations scientifiques actuelles en sa possession et qu’il n’appartenait pas au tribunal à cette étape de s’ériger en arbitre de l’opportunité d’une telle décision.

Clinique juridique itinérante c. Procureur général du Québec

Dans les jours qui ont suivi son adoption, le décret prévoyant le couvre-feu partout au Québec a défrayé les manchettes, et plus particulièrement à la suite du décès d’un itinérant dans le centre-ville de Montréal.

Le 26 janvier 2021, la Cour supérieure a suspendu «l’application de l’article 29 du décret numéro 2-2021» (paragr. 19) quant aux personnes en situation d’itinérance, «la vie, la sécurité et la santé de celles-ci [étant] mises en péril par l’application qui est actuellement faite de cette mesure suivant la preuve non contredite, ce qui relève également de l’intérêt public et non d’un intérêt purement privé» (paragr. 14).

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