Dans Aubry, la Cour suprême a établi qu’il y avait violation du droit à l’image, en tant que composante du droit au respect de la vie privée, lorsque la photographie d’une personne était publiée sans son consentement, alors qu’elle est identifiable, à une fin autre que l’information légitime du public.

Mouakarrassou

Récemment, dans Mouakarrassou, la demanderesse réclamait 15 000 $ en dommages-intérêts à Google pour avoir diffusé sur le site Google Maps une image captée de l’extérieure de sa résidence où elle se trouvait en présence de sa fille mineure. Occupant une fonction sensible au sein de la fonction publique, elle a été préoccupée par cette publication en raison de la nécessité d’assurer la confidentialité de son lieu de résidence. Selon elle, bien que les visages soient brouillés sur l’image, sa fille et elle sont facilement reconnaissables sur la photographie diffusée.

Google a contesté cette réclamation en soutenant notamment qu’il était impossible de reconnaître la demanderesse et sa fille en raison des modifications apportées à l’image. De plus, Google a soutenu que les images contenues sur le site Google Maps constituent de l’information légitime et publique puisqu’elles sont visibles depuis les voies publiques.  

Le juge a rappelé qu’il n’existait aucun endroit au monde où une personne possédait une attente plus grande en matière de vie privée qu’à son domicile. Il a toutefois ajouté que ces attentes étaient infiniment moins grandes à l’extérieur de sa résidence.

Le juge a indiqué que l’image faisant l’objet du litige avait été prise à partir de la voie publique, sans qu’il y ait eu intrusion sur la propriété de la demanderesse. Il a mentionné que la photographie permettait de voir la façade de la résidence, une jeune fille et la demanderesse, mais que l’expectative de vie privée de la demanderesse restait faible à l’égard de ces éléments. Pour le tribunal, l’identification de la demanderesse était impossible en raison des modifications apportées aux visages sur l’image. Il a souligné également que la demanderesse n’avait subi aucun préjudice. Dans ces circonstances, il a conclu au rejet de la demande.

Le tribunal a tout de même poursuivi son analyse et a conclu que les circonstances ne permettaient pas de voir une «atteinte illicite», c’est-à-dire «injustifiée», au droit de la demanderesse au respect de sa vie privée. 

[24] […] [L]e Tribunal estime que les «valeurs démocratiques», l’«ordre public» et le «bien-être général des citoyens du Québec» sont ici mieux servis par la reconnaissance d’un certain droit à l’erreur favorable au droit du public à l’information et à la diffusion des connaissances. Il s’agit là d’une «fin légitime» qui doit l’emporter sur une atteinte somme toute négligeable au droit au respect de la vie privée […].

Il est particulièrement intéressant de mettre en parallèle ce passage du jugement avec une décision rendue en 2014 dans un dossier qui opposait également Google à une propriétaire indisposée par la diffusion de son image sur le site Google Maps.

Pia Grillo

Dans Pia Grillo, la demanderesse réclamait des dommages-intérêts totalisant 7 000 $ à Google en lien avec la photo de sa résidence paraissant sur le site Internet Google Maps. Sur cette photographie, elle se trouve sur une marche extérieure de sa maison, pieds nus et portant un vêtement sans manches qui exposerait une partie de sa poitrine. Bien que son visage soit brouillé sur l’image, elle soutenait qu’elle était facilement reconnaissable, du moins par son entourage et ses collègues. Le véhicule automobile de la demanderesse se trouve également sur la photo, sans que la plaque d’immatriculation ait été camouflée. L’adresse de sa maison est également visible.

Selon le tribunal, le fait que la demanderesse était à l’extérieur de sa résidence et qu’elle était visible de la voie publique ne fait pas en sorte qu’elle ait, de ce seul fait, renoncé à la protection de sa vie privée et de son image. Dans ces circonstances, elle était en droit de s’attendre à ce que sa vie privée et son image demeurent protégées et respectées.

Pour le tribunal, une personne ne devient pas méconnaissable du seul fait que son visage a été brouillé. Les autres informations ou données se trouvant sur l’image doivent aussi être prises en considération et peuvent tout autant conduire à son identification.

Le tribunal a conclu que Google n’avait pas démontré que la diffusion de l’image de la demanderesse se justifiait par l’intérêt public ou le droit du public à l’information.

[64] L’utilité (ou la valeur) informationnelle des services rendus par Google n’est pas à ce point déterminante ou dominante ici qu’elle justifie un empiètement sur les droits de la personnalité en litige ou une violation de l’un d’entre eux. […]

Ainsi, selon le tribunal, en s’appropriant et en utilisant l’image de la demanderesse, Google a commis une faute en droit civil québécois et est responsable du préjudice qui lui a été causé. Le tribunal a établi que la demanderesse avait subi un préjudice moral qui ne se limitait pas à un simple inconfort ressenti ou à quelques tracas et lui a accordé une indemnité de 2 250 $.

Information publique légitime

Les conclusions dans ces 2 affaires semblent à première vue incompatibles. Est-ce que le concept de l’information publique légitime est évolutif? Ou est-ce que les faits particuliers à chacune de ces affaires justifiaient des conclusions différentes?

Quoi qu’il en soit, il peut certainement être préoccupant de lire dans le jugement Mouakarrassou que les attentes en matière de vie privée sont infiniment moins grandes à l’extérieur de la résidence «[…] surtout si celle-ci est visible et librement accessible à partir de la voie publique et qu’aucun aménagement particulier ne la place à l’abri des regards» (paragr. 16). [Nos soulignements.]

Est-ce là l’imposition d’une importante responsabilité qui incombe à chaque individu souhaitant préserver son droit fondamental à la protection de son image et de sa vie privée?

 

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