Il est difficile d’exagérer la gravité, voire la tragédie, de la violence domestique. L’attention accrue portée à ce phénomène par les médias au cours des dernières années a fait ressortir aussi bien son caractère généralisé que ses conséquences terribles pour des femmes de toutes les conditions sociales.  

Ce constat de la juge Wilson, dans l’arrêt R. c. Lavallée, est encore d’actualité presque 32 ans plus tard.

C’est d’ailleurs pour faire face à ce phénomène que le législateur a récemment créé un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et de violence conjugale au sein d’une nouvelle division de la Chambre criminelle et pénale, soit la Division spécialisée en matière de violence sexuelle et de violence conjugale.

En attendant de connaître les pratiques et la jurisprudence qui verront le jour dans le contexte du tribunal spécialisé, faisons un survol des décisions rendues par la Cour d’appel au fil des années en matière de violence conjugale.

Évolution de la société

Déjà, en septembre 1988, la Cour, sous la plume de la juge Mailhot, faisait état de «l’évolution positive de la conscience d’une société» (p. 2) et constatait la réprobation sociale grandissante à l’égard de la violence conjugale. Dans cette affaire, la peine d’emprisonnement de 14 ans imposée à l’accusé, déclaré coupable de l’homicide involontaire de son épouse, a été maintenue même si elle s’écartait de la fourchette de l’époque. On parlait alors de l’évolution de la jurisprudence afin que celle-ci accompagne l’évolution de la société.

En octobre 1994, la Cour a accueilli l’appel de la poursuite et a substitué à la peine de 2 ans moins 1 jour une peine d’emprisonnement de 4 ans à l’égard d’un accusé ayant plaidé coupable sous des chefs d’accusation d’introduction par effraction, de voies de fait graves, de menaces et de méfait dans un contexte conjugal. Dans ses motifs, la juge Rousseau-Houle note que la peine imposée en première instance était insuffisante pour dissuader l’accusé, mais surtout «pour faire prendre conscience à tous les hommes de la réprobation de la société à l’égard de la violence faite aux femmes» (p. 6).

Quelques années plus tard, en 2007, devant le cas d’un policier récidiviste qui avait notamment commis des voies de fait à l’égard de sa conjointe enceinte, la Cour a déclaré que «[l]a peine imposée en matière de violence conjugale répond[ait] à deux impératifs. Celui de dénoncer le caractère inacceptable et criminel de la violence conjugale et celui d’accroître la confiance des victimes et du public dans l’administration de la justice» (paragr. 19). Sans exclure en principe la possibilité d’une absolution conditionnelle dans les cas de violence conjugale, la Cour a substitué à l’absolution accordée à l’accusé une peine d’emprisonnement de 6 mois à purger dans la collectivité.

Le comportement de la victime

Tout récemment, dans J.L. c. R., la Cour a abordé un autre aspect important, soit celui du comportement «attendu» des victimes de violence conjugale et de l’utilisation de stéréotypes pour apprécier leur crédibilité. Dans cette affaire, l’accusé avait été acquitté sous des chefs de harcèlement à l’égard de 2 ex-conjointes, le juge de première instance ayant estimé que les plaignantes ne craignaient pas l’accusé. L’une, parce qu’elle avait gardé contact avec l’accusé et avait tenté de refaire vie commune avec lui; l’autre, parce qu’elle avait continué de vivre avec lui et que, après la séparation, elle n’avait pas fermé la porte à une réconciliation. La juge Marcotte note alors que: «[l]a conclusion sur l’absence de crainte est fondée essentiellement sur des stéréotypes qui ne doivent pas être utilisés et qui vicient cette conclusion.» (paragr. 86).

La crédibilité

Les dossiers de violence conjugale portent souvent sur la crédibilité de la plaignante et de l’accusé. Lorsqu’une déclaration de culpabilité survient, les appels reprochent aux juges de première instance d’avoir utilisé un double standard dans l’analyse de la preuve à charge et de celle en défense, ou d’avoir rendu un verdict déraisonnable. La norme d’intervention applicable étant très élevée, ce type d’argument est difficilement retenu. Les arrêts Guigua c. R., Gaudreau c. R. et Duchesne c. R. constituent des exemples où ces moyens d’appel ont été rejetés.

Dans Gosselin c. R., curieusement, l’appelant se plaignait que le juge aurait erré dans son appréciation du témoignage de la victime, qui niait la commission de l’infraction de voies de fait à son égard. Cet arrêt soulève aussi la question de l’application du concept de minimis non curat lex dans le contexte de la violence conjugale, l’appelant ayant retenu la victime par le bras. Le juge Kasirer, alors à la Cour d’appel, était d’avis qu’appliquer ce concept dans les circonstances de l’affaire aurait «l’effet pervers de nier le mal social ‑ la violence conjugale ‑ dont la conduite de l’appelant [était] une manifestation claire» (paragr. 42). Le concept a été également écarté dans le cadre de l’appel de la peine, la Cour n’ayant pas retenu l’argument selon lequel le caractère peu important du geste commis aurait dû inciter le juge à imposer une peine moins lourde que 30 mois d’emprisonnement.

Les peines

En matière de peine, la Cour est intervenue pour l’augmenter lorsque le juge de première instance n’a pas tenu suffisamment compte des objectifs de dénonciation et de dissuasion générale et individuelle qui doivent primer dans les cas de violence conjugale. Cela a été le cas, par exemple, dans R. c. Chénier; R. c. Garneau et R. c. Pilon.

Dans R. c. Lachance, la Cour a annulé la peine imposée en première instance et y a substitué une peine d’emprisonnement de 12 mois notamment parce que le juge avait omis d’évaluer le danger que l’emprisonnement avec sursis de l’accusé comportait pour la collectivité et pour la victime.

Dans R. c. N.L., la Cour a conclu que le juge de première instance avait commis une erreur de principe en diminuant le caractère aggravant de la répétition des infractions en raison du délai entre leur commission et leur dénonciation. En outre, en tempérant ainsi l’importance du nombre d’événements, le juge avait commis une erreur de droit. Par conséquent, la peine globale a été augmentée de 22 à 31 mois d’emprisonnement. La Cour a rappelé, à cette occasion, que les victimes de crimes liés à la violence conjugale, familiale ou sexuelle hésitent à dénoncer ceux-ci pour de multiples raisons, et que l’accusé ne peut donc bénéficier du délai de dénonciation.

Enfin, parmi les cas où la Cour d’appel a refusé d’intervenir, il y a lieu de mentionner l’arrêt Lalande c. R., où une peine d’emprisonnement de 9 ans, jugée «très sévère» (paragr. 38), avait été maintenue puisque cette sévérité ne la rendait pas manifestement non indiquée en raison de la violence de l’agression (l’appelant avait aspergé la victime de poivre de Cayenne et lui avait asséné 17 coups de couteau).  

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