L’arrêt Personne désignée c. R., rendu le 23 mars dernier par la Cour d’appel, a dévoilé la tenue récente d’un procès secret au Québec, ce qui constitue «une aberration» au dire de la Cour. La version publique de cet arrêt étant caviardée, il n’est même pas possible de connaître l’identité des avocats ayant représenté les parties, ni celle du juge saisi de l’affaire en première instance, ni même le district judiciaire dans lequel le procès a eu lieu.

On comprend aisément la raison pour laquelle l’identité de la personne accusée est préservée: il s’agit d’une indicatrice (ou d’un indicateur, car le genre de la personne en cause n’est pas mentionné) de police ayant été accusée et condamnée pour une infraction qu’elle-même avait dévoilé aux policiers. Par contre, la nature de l’infraction, les circonstances de sa commission ainsi que l’implication de la personne accusée ne sont pas publiées non plus. On y fait simplement référence au «dossier X» comme étant le crime auquel la personne accusée a participé.

Le déroulement des procédures

Ce que l’arrêt n’occulte pas, c’est la «façon extraordinaire» (paragr. 12) sur laquelle les parties se sont entendues pour procéder, avec l’accord du juge de première instance. La Cour utilise le pléonasme «huis clos complet et total» (paragr. 11) pour mieux illustrer le déroulement des procédures. Aucun numéro de dossier officiel ne figurait sur le jugement de première instance, lui-même ayant été gardé secret. En outre, les témoins ont été interrogés hors cour et le juge a tranché sur la base des transcriptions, dans le cadre d’une audience secrète.

La Cour constate alors qu’«aucune trace de ce procès n’existe, sauf dans la mémoire des individus impliqués» (paragr. 11). Le secret du procès est tel que même la juge en chef de la Cour du Québec, l’honorable Lucie Rondeau, n’aurait pas été en mesure de déterminer le juge qui l’a présidé, comme les médias l’ont rapporté. Elle aurait alors déposé une requête à la Cour d’appel afin d’obtenir l’information.

Fait à noter: la requête en prorogation du délai d’appel et l’appel lui-même ont aussi été entendus dans le secret absolu. Les dates d’audience sont caviardées. Au bout du compte, toutefois, la Cour a conclu que cette façon de procéder était exagérée et contraire aux principes fondamentaux qui régissent notre système de justice. Un dossier d’appel a donc été ouvert et assujetti à une ordonnance de mise sous scellés.

La publicité des débats judiciaires et les droits constitutionnels de l’accusé

Ce faisant, la Cour a rappelé l’importance du principe de la publicité des débats judiciaires et du droit à un procès public garanti par l’article 11 d) de la Charte canadienne des droits et libertés. Une procédure aussi secrète est contraire à un droit criminel moderne et respectueux des droits constitutionnels de même qu’incompatible avec les valeurs d’une démocratie libérale.

La procédure suivie en première instance a notamment privé la personne accusée du droit à une défense pleine et entière. Celle-ci ne pouvait pas, sans risquer de révéler sa participation comme indicatrice de police, appeler des témoins pour contredire la preuve afin d’établir son véritable rôle ou soulever un doute à cet égard. Sa défense reposait uniquement sur sa version.

Les obligations de renseignement et de bonne foi

L’aspect problématique du dossier ne s’arrête pas là. Parmi ses moyens d’appel, la personne accusée faisait valoir que les policiers responsables de son recrutement lui avaient promis implicitement qu’elle ne serait pas poursuivie pour sa participation à des infractions passées dont elle dévoilerait l’existence à titre d’indicatrice. La Cour s’est donc penchée sur le recours aux indicateurs de police et sur la nature de la relation de ceux-ci avec les autorités. Partant d’une revue minutieuse de la jurisprudence en la matière, elle a conclu, entre autres choses, que les principes touchant la bonne foi et l’obligation de renseignement doivent s’appliquer aux ententes intervenues entre l’indicateur et les autorités.

En l’espèce, les policiers ont manqué à ces obligations à l’égard de la personne accusée. Ils ne l’ont jamais informée de son droit de garder le silence ni ne lui ont suggéré de consulter un avocat lorsqu’elle a révélé son implication dans le dossier X. Plus encore, les policiers n’ont donné à la personne accusée aucune explication satisfaisante à propos de l’absence d’immunité d’un indicateur de police, alors que cette information était cruciale dans sa décision de révéler le dossier X, dont les policiers ne savaient rien.

Pour sa part, le juge de première instance a commis une erreur en arrêtant son analyse sur l’absence de promesse officielle d’immunité à la personne accusée, alors qu’il devait considérer les informations réellement transmises à celle-ci. Son refus d’ordonner l’arrêt des procédures a mené à une injustice.

Choquée par le fait que des accusations avaient été portées dans ces circonstances, la Cour d’appel a prononcé l’arrêt des procédures, étant d’avis que l’équité du procès était compromise et que la conduite de l’État risquait de miner l’intégrité du processus judiciaire.

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