Les 14 et 15 septembre prochains, la Cour suprême du Canada siégera au Palais de justice de Québec et vous aurez même l’occasion d’assister aux audiences ou de participer à un échange avec les juges qui se tiendra au Musée de la Civilisation le 14 septembre.

Voici l’occasion parfaite de nous remémorer certains dossiers provenant du Québec. Je vous propose un petit échantillon d’arrêts qui ont fait les manchettes au fil des ans, mais cet exercice n’est aucunement exhaustif. N’hésitez pas à nous faire connaître vos arrêts marquants en commentaires.

1. Droit constitutionnel

Registre des armes à feu

En 2012, le Parlement a adopté la Loi sur l’abolition du registre des armes d’épaule, qui supprimait l’obligation d’enregistrer les armes d’épaule et décriminalisait la possession d’une arme d’épaule non enregistrée. L’article 29 prévoit la destruction de tous les fichiers relatifs à l’enregistrement des armes d’épaule qui se trouvent dans les registres.

Le Québec a fait part de son intention de créer son propre registre des armes d’épaule et a demandé aux autorités fédérales les données du Régime canadien des armes à feu qui ont un lien avec le Québec, ce qui lui a été refusé.

La Cour suprême a conclu que l’article 29 est un exercice licite de la compétence législative en matière de droit criminel conférée au Parlement par la Constitution et elle a précisé:

[3] […] Pour certains, la décision du Parlement de détruire ces données affaiblira la sécurité publique et entraînera le gaspillage de sommes considérables de fonds publics. D’autres y verront le démantèlement d’un régime malavisé et le rétablissement trop tardif du droit à la vie privée des propriétaires d’armes à feu qui respectent les lois. Or, ces opinions divergentes sur le bien-fondé du choix de politique générale du Parlement ne sont pas en litige dans la présente affaire. Comme on l’a dit à maintes reprises, les tribunaux ne doivent pas s’interroger sur la sagesse d’une loi: ils doivent uniquement se prononcer sur sa légalité. À notre avis, la décision de démanteler le registre des armes d’épaule et de détruire les données qu’il contient est un choix de politique générale que le Parlement avait le droit de faire en vertu de la Constitution.

Langue

Dans 2 arrêts, la Cour s’est penchée sur les droits à l’instruction dans la langue de la minorité (art. 23 de la Charte canadienne des droits et libertés).

En 2005, dans Solski, des familles qui avaient demandé des certificats d’admissibilité à l’enseignement en anglais dans une école publique ont vu leurs demandes rejetées au motif que les enfants n’avaient pas reçu la «majeure partie» (art. 73 paragr. 2 de la Charte de la langue française) de leur enseignement dans la langue de la minorité. La Cour a précisé que l’adjectif «majeure» devait recevoir un sens «qualitatif» plutôt que «quantitatif». Certains des enfants visés étaient donc admissibles à l’enseignement en anglais si l’on interprétait correctement l’article 73 paragraphe 2.

En 2009, dans Nguyen, la Cour a conclu que le refus de prendre en considération le parcours scolaire en anglais d’un enfant dans une école privée non subventionnée, au regard du critère de la majeure partie de l’enseignement, était excessif. Elle a donc déclaré inconstitutionnel l’article 73 alinéa 2 de la Charte de la langue française, qui précisait qu’un tel parcours ne devait pas être pris en considération. Le même sort a été réservé à l’alinéa 3 puisqu’il ne respectait pas le principe de la préservation de l’unité des groupes familiaux que reconnaît l’article 23 (2) de la charte canadienne, empêchant totalement le regroupement des enfants d’une famille dans un même système scolaire.

2. Droits et libertés de la personne

Liberté de conscience et de religion

Dans Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), un citoyen de la Ville de Saguenay avait porté plainte à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse au motif que son droit à la liberté de conscience et de religion était atteint en raison de la récitation d’une prière au début de chaque séance du conseil de la Ville et de la présence d’objets religieux. La Cour a conclu que, en récitant la prière en litige lors des séances publiques de délibérations du conseil municipal, les personnes en cause adhéraient sciemment à certaines croyances religieuses à l’exclusion des autres et que, ce faisant, elles contrevenaient à l’obligation de neutralité qui incombe à l’État. 

En 2006, la Cour a affirmé que la prohibition totale de porter le kirpan à l’école dévalorisait ce symbole religieux et envoyait aux élèves le message que certaines pratiques religieuses ne méritent pas la même protection que d’autres.

Droit à la vie

Dans l’affaire Tremblay c. Daigle, un homme tentait d’obtenir une injonction afin d’empêcher son ex-conjointe de se faire avorter. La Cour a notamment conclu qu’il n’existait pas un «intérêt du père» permettant à monsieur d’opposer un veto aux décisions de la femme au sujet du fœtus qu’elle porte.

En 2005, la Cour suprême s’est penchée sur l’interdiction pour les Québécois de s’assurer pour obtenir du secteur privé des services offerts par le régime de santé public. La Cour a conclu qu’il ne revenait pas aux appelants de trouver le moyen de corriger le problème des listes d’attente qui perdurait déjà depuis de nombreuses années et qu’il leur incombait seulement de prouver que leur droit à la vie et à l’intégrité de leur personne était violé par les dispositions en cause, ce qu’ils avaient réussi à faire. Les dispositions législatives en cause avaient donc été déclarées incompatibles avec la Charte des droits et libertés de la personne.

Liberté d’expression

Récemment, la Cour a accueilli le pourvoi déposé par l’humoriste Mike Ward. Elle a notamment conclu que Jérémy Gabriel avait fait l’objet d’une distinction en ayant été exposé à la moquerie dans le spectacle et les capsules humoristiques de Ward. Toutefois, puisque le Tribunal des droits de la personne a conclu que l’humoriste n’avait pas choisi Gabriel à cause de son handicap, mais bien parce qu’il est une personnalité publique, cette distinction n’était pas fondée sur un motif prohibé.

3. Droit de la famille

Dans l’affaire connue sous la désignation Éric c. Lola, la Cour a conclu que l’exclusion des conjoints de fait des mesures de protection en matière de soutien alimentaire et de partage des biens respectait la Charte canadienne des droits et libertés. Au moment de sa séparation d’avec Éric, un homme d’affaires multimilliardaire, après une cohabitation de 7 ans et la naissance de 3 enfants, Lola s’était adressée aux tribunaux pour obtenir une pension alimentaire et un partage du patrimoine familial.

4. Droit pénal

Récemment, dans le dossier bien connu d’Alexandre Bissonnette, l’auteur des meurtres à la grande mosquée de Québec, la Cour a jugé inconstitutionnel l’article du 745.51 du Code criminel, qui permet de condamner un contrevenant à des périodes consécutives d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans en cas de multiples meurtres au premier degré, cette peine constituant une peine cruelle et inusitée.

5. Propriété intellectuelle

Dans Théberge, la Cour a conclu que l’entoilage des œuvres de l’artiste-peintre par les galeries d’art appelantes n’entraînait pas la production d’une nouvelle œuvre artistique, ni d’«une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque», ni une reproduction au sens de l’article 3 (1) de la Loi sur le droit d’auteur et qu’il ne pouvait obtenir la saisie des exemplaires des appelants en vertu de l’article 734 du Code de procédure civile puisqu’il ne remplissait pas les critères prévus à l’article 38 de la loi. Théberge, selon la Cour, tentait de faire valoir un droit moral sous le couvert d’un droit économique et cette tentative devait être repoussée.

On se souviendra enfin de la longue bataille judiciaire remportée en 2013 par le créateur du dessin animé pour enfants Les aventures de Robinson Curiosité, Claude Robinson. La Cour avait alors reconnu que la série Robinson Sucroë, produite par Cinar, constituait un plagiat et lui avait accordé une réparation.

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