La pénurie de personnel dans le réseau québécois de la santé et des services sociaux ne date pas d’hier et il va sans dire que la pandémie de la COVID-19 n’a pas amélioré la situation. Dans ce contexte, les primes salariales de 15 000 $ annoncées par le gouvernement du Québec en septembre 2021 ont pu sembler un bon moyen d’attirer et de retenir du personnel dans le réseau public de la santé, du moins à première vue.

Or, le 9 août dernier, le Tribunal administratif du travail a conclu que le gouvernement avait contrevenu au Code du travail (C.tr.) en annonçant ces mesures sans avoir négocié avec les associations qui représentent les salariés admissibles à ces primes ni même les avoir avisées, et ce, alors même que les nouvelles conventions collectives étaient en cours de rédaction.

Le droit applicable

La Cour suprême du Canada a déclaré que la négociation collective est protégée par l’article 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui garantit le droit à la liberté d’association.

L’entrave à une telle négociation collective empêche le plein exercice du droit d’association. La négociation collective est une composante centrale du rôle de l’association de salariés.

La notion d’«entrave» se trouve à l’article 12 C.tr., qui prévoit qu’«[a]ucun employeur, ni aucune personne agissant pour un employeur ou une association d’employeurs, ne cherchera d’aucune manière à dominer, entraver ou financer la formation ou les activités d’une association de salariés, ni à y participer».

L’article 53 alinéa 2 C.tr. prévoit quant à lui que les négociations «doivent commencer et se poursuivre avec diligence et bonne foi».

Le contexte

Les conventions collectives applicables aux infirmières, aux infirmières auxiliaires et au personnel en soins infirmiers et cardiorespiratoires étaient échues depuis le 31 mars 2020. Après de nombreuses propositions de part et d’autre, une entente de principe a été annoncée le 15 juin 2021. Des votes ont eu lieu et l’entente a été entérinée par les salariés, de sorte que la rédaction des conventions collective a débuté.

Le 23 septembre 2021, le gouvernement a annoncé des mesures visant à régler les problèmes d’effectif dans le réseau public de la santé et des services sociaux, dont des primes de 15 000 $ aux infirmières ainsi que des primes de fin de semaine, de soir et de nuit. L’arrêté ministériel prévoyant ces mesures a été pris le 16 octobre suivant (Arrêté concernant l’ordonnance de mesures visant à protéger la santé de la population dans la situation de pandémie de la COVID-19).

Le 9 novembre 2021, lors d’une conférence de presse, le ministre de la Santé et des Services sociaux a exprimé sa déception à l’égard du comportement des associations et a affirmé que les mesures prévues à l’arrêté ministériel «n’attir[aient] pas le personnel comme elles devraient parce que les associations diraient aux salariés de ne pas s’en prévaloir en raison de l’inadmissibilité des délégués [syndicaux] aux primes» (paragr. 137).

C’est dans ces circonstances que les associations ont déposé leurs plaintes pour entrave (art. 12 C.tr.) et négociation de mauvaise foi (art. 53 al. 2 C.tr.).

L’analyse du TAT

La juge administrative n’a pas retenu la prétention du gouvernement selon laquelle l’urgence liée à la pandémie de COVID-19 justifiait l’adoption de mesures sans négociation préalable avec les associations de salariés, car les nouvelles conventions collectives et l’arrêté ministériel devaient entrer en vigueur quasiment au même moment.

La juge a plutôt estimé que: «Le Gouvernement a laissé croire qu’un véritable processus de négociation était en cours pendant qu’il travaillait de façon concomitante à établir unilatéralement d’autres conditions de travail qu’il a imposées et qui ont stérilisé celles adoptées par la voie de la négociation» (paragr. 199).

Elle poursuit en précisant que «[l]e fait pour un employeur de décider unilatéralement de conditions de travail de salariés syndiqués avec qui il vient à peine de conclure une nouvelle convention collective, de les annoncer publiquement, sans négociation et sans même en aviser les associations accréditées constitue de l’entrave» (paragr. 202).

La juge a également conclu que «les propos dénigrants tenus par le ministre constitu[aient] sans équivoque des gestes d’entrave à l’action syndicale. Le fait d’afficher publiquement ses opinions négatives sur les associations en ne soulevant que la seule question des libérations syndicales révèle une intention d’entraver l’action syndicale» (paragr. 236) alors que rien «ne justifi[ait] de tels propos qui ont par ailleurs suscité grogne, insatisfaction et opprobre» (paragr. 237).

Les plaintes des associations de salariés ont donc été accueillies. En plus d’ordonner au gouvernement de cesser son entrave aux activités syndicales et sa négociation de mauvaise foi, la juge a également ordonné que sa décision soit publiée sur le site Web du ministère de la Santé et des Services sociaux.

Conclusion

Les conventions collectives dont il était question dans ce billet viennent à échéance le 31 mars 2023. Les parties seront donc bientôt de retour à la table des négociations où, comme nous l’avons vu, elles auront l’obligation de négocier de bonne foi. 

La question de l’entrave aux activités syndicales dans le réseau de la santé reste également d’actualité. Des médias ont récemment rapporté que des plaintes avaient été déposées en lien avec des mesures prises pour pallier la pénurie de personnel durant la période estivale, dont le paiement d’heures supplémentaires à taux majoré de 100 %. Nous resterons à l’affût de tout développement dans cette nouvelle affaire.  

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