[1] L'article 145 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles1 (LATMP) prévoit que: «Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.»

[2] La loi énonce par ailleurs que la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), avec la collaboration du travailleur, prépare et met en oeuvre un plan de réadaptation pour assurer l'exercice du droit à la réadaptation2. Un tel plan peut notamment comprendre un programme de réadaptation professionnelle, celle-ci ayant «pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable3».

[3] Le présent article porte essentiellement sur une dimension de la réadaptation professionnelle, à savoir l'emploi convenable, et plus particulièrement sur l'appellation de l'emploi elle-même et l'incidence de son imprécision sur le processus d'évaluation du caractère convenable.

[4] L'emploi convenable est défini dans la loi comme «un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion4». L'emploi déterminé par la CSST doit satisfaire à l'ensemble de ces critères afin de constituer un emploi convenable.

[5] Il arrive que l'emploi déterminé soit imprécis, qu'il soit de type générique. Est-on en mesure, dans un tel cas, d'établir s'il satisfait aux critères énoncés dans la loi? La Commission des lésions professionnelles (CLP) s'est prononcée sur cette question à plusieurs occasions.

Impossibilité de vérifier le respect des critères en raison d'une appellation d'emploi imprécise

[6] Dans certains cas, la CLP a refusé de considérer comme un emploi convenable un emploi imprécis.

[7] Dans Farinacci et Embouteillage Coca-Cola ltée5, la CSST avait déterminé, de façon unilatérale - étant d'avis que le travailleur proposait des solutions irréalistes et ne manifestait aucun intérêt à l'égard des emplois proposés -, l'emploi convenable de commis vendeur. Selon la CLP, cet emploi était trop général. La CSST, qui reconnaissait que le travailleur n'avait pas la capacité d'exercer tous les emplois de commis vendeur, avait analysé la possibilité raisonnable d'embauche en fonction de tous les genres de postes et non uniquement de ceux que le travailleur serait capable d'occuper. Elle avait laissé à ce dernier le soin de choisir un emploi qui respecterait ses limitations fonctionnelles. Étant donné l'impossibilité de déterminer si l'emploi retenu respectait la capacité résiduelle du travailleur et s'il présentait une possibilité raisonnable d'embauche, la CLP a déclaré qu'il ne s'agissait pas d'un emploi convenable.

[8] Dans Auger et Epm Multi-Services6, le travailleur avait été déclaré capable d'exercer l'emploi convenable de représentant des ventes techniques. Un document d'Emploi-Québec contenu au dossier indiquait «des dizaines d'appellations d'emplois spécifiques reliés au terme générique de "spécialistes des ventes techniques7"». La CLP constatait que 8 :

[...] l'emploi de représentant des ventes techniques-agent commercial en informatique, celui d'agent commercial en instruments médicaux ou celui d'agent commercial en fournitures agricoles existent réellement et sont tous des emplois de spécialistes des ventes techniques. Ce dernier n'est cependant pas un emploi en soi et pour en devenir un, il doit se préciser dans un regroupement de tâches qui se retrouve réellement sur le marché du travail. Le tribunal estime que l'emploi désincarné de représentant des ventes techniques n'existe pas réellement sur le marché du travail et qu'il est trop imprécis pour permettre la vérification spécifique des critères retenus par le législateur. C'est le sens de la décision rendue dans l'affaire Alarie et 136847 Canada-Trépanier Touring, alors que la Commission d'appel en matière de lésions professionnelles affirme qu'un emploi convenable doit être précis et non de type générique afin que le travailleur puisse vérifier s'il répond véritablement aux critères prévus à l'article 2 de la loi.

[9] Dans Carignan et Fondation Sourds du Québec inc. 9, le travailleur contestait l'emploi convenable d'assembleur déterminé par la CSST. Il était atteint de daltonisme et n'avait jamais pu obtenir un tel travail. En effet, parmi les 10 emplois correspondant au terme générique «assembleur» dans le système Repères, 8 avaient pour exigence la capacité de distinguer les couleurs. La CLP a conclu que la CSST n'avait pas «déterminé d'emploi convenable, mais plutôt une catégorie d'emplois possibles10». À son avis, si une telle approche peut être adéquate pour amorcer le processus de détermination d'un emploi convenable, «il n'est pas conforme à la loi que c'en soit le résultat final11». En raison du «manque d'informations suffisamment précises et concrètes quant à la nature véritable de l'emploi déterminé pour le travailleur12», la CLP ne pouvait établir si les critères prévus par la loi étaient remplis. Elle a donc retourné le dossier à la CSST afin que celle-ci mette en oeuvre un plan individualisé de réadaptation adéquat avec la collaboration du travailleur.

[10] C'est également parce qu'elle a considéré qu'il était de type générique et beaucoup trop vague pour savoir si les critères énoncés à l'article 2 LATMP sont respectés que la CLP a déclaré, dans Dupuis et Régie d'aqueduc de Grand Pré13, que l'emploi de vendeur ne pouvait constituer un emploi convenable. Elle soulignait que14:

Un vendeur d'automobiles, un vendeur de produits pharmaceutiques, un vendeur de produits électroniques, un vendeur de crème glacée et un vendeur de souliers font des tâches différentes, ont besoin d'une formation différente, reçoivent des salaires différents, remplissent des tâches qui font appel à des goûts et des aptitudes différents et qui sont exercées dans des conditions différentes avec nécessité d'efforts physiques différents.

[11] Au surplus, même en tenant pour acquis que l'emploi n'était pas imprécis, la CLP était d'avis qu'il n'était pas approprié - le travailleur ne pouvant supporter la vente à pression -, qu'il ne permettait pas au travailleur d'utiliser ses qualifications professionnelles - étant donné son absence de formation et son expérience de travail antérieure - et que, dans ces circonstances, il ne présentait pas de possibilité raisonnable d'embauche.

Emploi englobant plusieurs postes aux exigences différentes

[12] Il arrive que la difficulté vienne plus particulièrement du fait que l'emploi déterminé englobe plusieurs postes comportant des exigences professionnelles divergentes.

[13] À cet égard, la décision rendue dans Gravel et Composantes Nadtech inc. 15 constitue une illustration particulièrement éloquente. La CLP était appelée à déterminer si l'emploi de préposé au service à la clientèle constituait un emploi convenable. Elle a d'abord constaté que, tel qu'il est défini au système Repères, il vise précisément le service à la clientèle dans des établissements de vente au détail et est alors suffisamment précis. Envisagé sous cet angle, il ne satisfait toutefois pas au critère de la capacité résiduelle puisqu'il ne respecte pas les limitations fonctionnelles du travailleur, ce que la CSST reconnaissait par ailleurs.

[14] Toutefois, la CSST invoquait l'existence d'autres types de postes, notamment dans des centres d'appels. Sur ce point, la CLP a déclaré que «l'emploi de préposé au service à la clientèle devient trop imprécis lorsque la CSST [...] cherche à englober sous cette appellation des emplois d'agent, de représentant et même de préposé dans une série de secteurs d'activités qui visent une multitude d'emplois dont les caractéristiques sont divergentes. [...] Cet emploi est trop large pour permettre d'évaluer tous les critères prévus à la loi relativement à son caractère convenable. Outre le bilinguisme requis largement et que le travailleur ne possède pas, plusieurs secteurs d'activités demandent une formation académique beaucoup plus avancée que celle détenue par le travailleur. La CSST n'a pas tenu compte de cette situation en déterminant un emploi convenable [...] sans cibler et analyser les secteurs pouvant correspondre aux capacités résiduelles, aux qualifications professionnelles du travailleur et à une possibilité raisonnable d'embauche16». Par conséquent, la CLP a conclu que l'emploi visé ne pouvait constituer un emploi convenable.

Utilité de conserver une marge de manoeuvre

[15] Dans certains cas, la CLP a rappelé qu'il n'est pas approprié de circonscrire de façon trop précise le domaine ou le secteur dans lequel l'emploi sera exercé.

[16] Ainsi, dans St-Pierre et Salon de quilles St-Romuald17, la CLP a rejeté la prétention du travailleur suivant laquelle l'emploi de vendeur était trop général. Retenant les explications de la conseillère en réadaptation, qui avait «voulu préserver la possibilité d'embauche du travailleur en ne spécifiant pas davantage le secteur de commerce ou d'industrie dans lequel il pouvait exercer son emploi18», la CLP a déclaré que rien ne permettait «douter de la justesse de cette approche, dans le cas d'un sujet encore jeune et jouissant d'une expérience variée dans ses rapports avec le public19». Elle ajoutait20:

Il serait même contre-productif de le limiter inutilement dans ses choix de carrière à l'aube de sa vie professionnelle, sous prétexte de faciliter l'analyse des critères énumérés à l'article 2, d'autant plus que cet exercice d'analyse est loin d'être rendu impossible par la généralité du libellé de l'emploi déterminé. Il s'agit d'un cas aux circonstances particulières où il n'est pas à propos de spécifier davantage les tenants et aboutissants de l'emploi convenable.

[17] Eu égard à ces dernières remarques, il est important de signaler que dans cette affaire la preuve révélait que le travailleur,  âgé de 35 ans à l'époque de la détermination de l'emploi convenable,  détenait un diplôme de cinquième secondaire - ce qui constituait une formation adéquate pouvant être complétée par une formation pratique en entreprise -, qu'il manifestait de l'intérêt pour le travail de vendeur et qu'il possédait les qualités requises pour réussir dans ce métier. Enfin, la CLP a souligné que le travailleur n'avait «mis en lumière aucun secteur (commerce de détail, commerce en gros, secteur manufacturier ou industries de services) dans lequel ses possibilités d'embauche seraient restreintes en raison de sa capacité résiduelle, de ses qualifications professionnelles ou de ses intérêts21».

[18] De façon similaire, dans Beaudoin et Asphaltex22, la CLP siégeant en révision a conclu que le premier commissaire n'avait pas commis d'erreur manifeste en reconnaissant que l'emploi de vendeur constituait un emploi convenable23. Elle soulignait que le décideur avait «considéré qu'il était dans l'intérêt du travailleur de ne pas restreindre l'emploi convenable de vendeur à un domaine en particulier de façon à lui permettre de se trouver plus facilement un emploi puisqu'il avait travaillé dans plusieurs domaines et qu'il avait une expérience professionnelle variée. [...] L'emploi de vendeur n'est pas un emploi générique mais bien un emploi mentionné à la Classification nationale des professions et il est possible de déterminer si le travailleur a les capacités physiques et les qualifications professionnelles pour l'exercer même si aucun domaine en particulier n'est précisé. L'opportunité de restreindre un emploi convenable de vendeur à un domaine précis dépend des circonstances et relève de l'appréciation de la preuve24».

[19] Enfin, dans Brody et Osram Sylvania ltée25, la CLP, rejetant l'argument de la travailleuse, qui prétendait que l'emploi d'aide-commis de magasin était trop vague et imprécis, a jugé qu'il était possible «de cerner les composantes de cet emploi et de l'analyser en regard des critères prévus à la loi26». À cet égard, la CLP constatait que l'emploi était «abondamment décrit dans la monographie retrouvée au dossier et [qu'il était] mis en parallèle avec des emplois d'aide-commis dans d'autres domaines26». À son avis, «[l]es tâches [étaient] précisées ainsi que les intérêts, qualifications et capacités nécessaires à leur exercice27». Elle ajoutait par ailleurs que «le fait que la description de l'emploi fasse référence à l'exécution de "toute autre tâche générale assignée par le personnel de supervision", sans plus de précision28», était insuffisant pour conclure que l'emploi n'était pas convenable. Selon la CLP, «ce type de clause standard a pour but de rendre moins rigides les descriptions d'emploi et de permettre l'exécution d'un travail connexe29».

Conclusion

[20] Ainsi qu'il ressort de cette courte revue de la jurisprudence, il n'y a pas d'automatisme lorsqu'il s'agit de déterminer si un emploi est trop imprécis pour constituer un emploi convenable. Le travailleur doit pouvoir vérifier la conformité de l'emploi avec les critères prévus dans la loi. Cependant, devant une appellation d'emploi qui semble trop générale au premier abord, il ne faut pas adopter une approche trop restrictive qui risque de priver le travailleur d'une possibilité d'embauche.