[1] Le premier alinéa de l’article 146 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] prévoit que : «Pour assurer au travailleur l'exercice de son droit à la réadaptation, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur, un plan individualisé de réadaptation qui peut comprendre, selon les besoins du travailleur, un programme de réadaptation physique, sociale et professionnelle» (l'italique est de la soussignée).

[2] Le présent article porte sur la collaboration requise du travailleur dans un contexte de réadaptation professionnelle, plus particulièrement lorsqu’il est question de déterminer un emploi convenable qu’il est capable d’exercer.

[3] Quand peut-on conclure qu’un travailleur a véritablement collaboré à la mise en œuvre du plan individualisé de réadaptation ou qu’il a omis de le faire? Quel est le rôle de la CSST? Et qu’arrive-t-il si le travailleur ne collabore pas? Nous vous proposons de répondre à ces questions à la lumière de quelques décisions récentes de la Commission des lésions professionnelles (CLP).

Le comportement attendu du travailleur

[4] Dans Landry et Agro Distributions inc.[2], la CLP a précisé qu’il n’est pas suffisant, pour le travailleur, «d’affirmer vouloir collaborer et se présenter aux rencontres. Il faut aussi participer activement afin d’aider à l’évaluation, la recherche et la détermination de l’emploi convenable».

[5] Sa collaboration au processus de réadaptation «implique une participation active aux rencontres fixées avec les ressources spécialisées ainsi qu’une réflexion à l’égard des différentes suggestions qui lui sont faites[3]».

[6] Enfin, dans DB et Compagnie A[4], la CLP a souligné que l’obligation de collaborer avec la CSST «implique, à tout le moins, la participation la plus empressée et efficace possible du travailleur dans la fourniture des informations pertinentes à l’élaboration d’un plan réaliste, soit celles relatives aux limitations fonctionnelles permanentes qu’il conserve de sa lésion professionnelle, celles relatives à ses goûts et à ses aptitudes, de même que celles se rapportant à sa scolarité et à ses expériences de travail».

Le rôle de la CSST

[7] La mise en œuvre du plan individualisé avec la collaboration du travailleur dépend à la fois du comportement actif de ce dernier et des démarches entreprises par la CSST.

[8] À cet égard, dans Brais et Med-I-Pant inc.[5], la CLP a souligné que «l’article 146 de la loi impose implicitement à la CSST une obligation importante qui est d’éveiller, de susciter et de stimuler la collaboration du travailleur. Cette obligation découle du rôle central joué par la CSST dans le cadre de la réadaptation d’un travailleur».

[9] Par ailleurs, comme la CLP l’a précisé dans Lucas et Entreprises agricoles et forestières de la Péninsule inc.[6], «[u]n plan de réadaptation professionnelle ne constitue pas un simple exercice d'identification d'un emploi convenable respectant les critères prévus par la loi. Il doit impliquer un véritable processus de réadaptation, qui doit comprendre un minimum de soutien au travailleur afin de l'aider à cheminer et à envisager un retour au travail, notamment lorsqu'il se croit difficilement employable et que cette croyance n'est pas farfelue».

Omission du travailleur de collaborer

[10] Il arrive que la collaboration du travailleur soit «déficiente» lorsque, «par son inaction, sa passivité ou son refus, [il] ne collabore pas volontairement[7]».

[11] C’était notamment le cas dans Landry et Agro Distributions inc. Dans cette affaire, dès que des solutions d'emploi ont été proposées au travailleur, il a affirmé être incapable de travailler et a demandé qu’on le déclare inemployable. Par ailleurs, même s’il avait accepté de participer aux démarches d’orientation, il a fait preuve d’un désintérêt total à l’égard des activités qui lui étaient proposées. En outre, lorsque la CSST lui a demandé, après avoir reçu le rapport du conseiller en orientation, de faire certaines suggestions, le «travailleur lui a répondu qu'elle n'avait qu'à rendre sa décision et qu'il n'était pas intéressé au soutien à la recherche d'emploi[8]». La CLP a conclu que «[l]e comportement du travailleur démontre une absence de collaboration[9]».

[12] Dans Asselin et Entretien ménager Philippe Paquet[10], la travailleuse se croyait incapable d’exercer tout emploi et exprimait cette perception personnelle lors de chaque rencontre ou communication qu’elle avait avec la CSST. La CLP a conclu que, «[p]ar ses propos et ses refus, la travailleuse a renoncé à participer à la démarche visant à explorer les possibilités professionnelles[11]» et n’avait donc pas offert une collaboration réelle à la détermination de l’emploi convenable.

[13] Dans Poupart et Filtro-Net enr.[12], la «démarche nonchalante et passive» du travailleur – qui avait indiqué à la CSST qu’il n’avait pas l’intention d’entreprendre une démarche de réinsertion au travail – a amené la CLP à conclure qu’il n’avait pas collaboré au plan de réadaptation.

[14] Enfin, dans Phamvan et Saint-Gobain Bayform Canada inc.[13], la CLP, se référant à la définition du dictionnaire, a précisé que le terme ««collaborer» signifie «travailler avec d’autres à une œuvre commune[14]» et que dans un contexte de réadaptation professionnelle, «l’œuvre commune, c’est le retour au travail dans un emploi que le travailleur est en mesure de faire compte tenu de ses limitations fonctionnelles[15]». Elle a conclu que, en opposant de la résistance à chaque démarche entreprise par la CSST, le travailleur n’avait pas offert «une faible collaboration, mais bien [un] semblant de collaboration[16]» qui ne satisfait pas à l’obligation que lui impose l’article 146 LATMP. 

Incapacité du travailleur de collaborer

[15] On trouve dans la jurisprudence certains cas où l’omission du travailleur de collaborer résulte d’une incapacité de sa part plutôt que d’un refus de participer activement à l’élaboration du plan individualisé.

[16] Dans Ciarlo et Sécurité Polygon inc.[17], le travailleur avait indiqué à la CSST qu’il avait l’intention de se retirer du marché du travail compte tenu de son état de santé et la CSST lui avait déterminé un emploi convenable de façon unilatérale. La CLP a conclu que la CSST était fondée à agir de la sorte. Cependant, elle a constaté que le travailleur n’était pas en mesure de collaborer au plan de réadaptation, tant physiquement que psychologiquement, au moment de sa mise en œuvre par la CSST. Selon la CLP, son absence de collaboration à la détermination de l’emploi convenable était «justifiée par des motifs raisonnables[18]». Considérant, «en toute équité, […] que les problèmes de santé du travailleur sont choses du passé et que celui-ci exprime son intérêt à retourner sur le marché du travail et à collaborer à un processus de réadaptation[19]», elle a conclu qu’il y avait lieu de reprendre le processus de réadaptation.

[17] Dans Boisvert et Commission scolaire de la Rivière-du-Nord[20], la CLP a considéré que le travailleur n’avait pu offrir la collaboration nécessaire à la mise en œuvre du plan individualisé en raison de son état psychologique. À son avis, même si le travailleur avait dit être d’accord avec l’emploi convenable, cet «accord était vicié par la dépression qui s’installait[21]». Le dossier a été retourné à la CSST afin qu’elle mette en œuvre un autre plan individualisé avec la collaboration du travailleur.

La détermination unilatérale d’un emploi convenable

[18] Lorsqu’un travailleur omet de collaborer à la détermination de l’emploi convenable, la jurisprudence reconnaît que la CSST peut déterminer un tel emploi de façon unilatérale.

[19] Elle doit alors «s'assurer de détenir un minimum d'informations lui permettant d'être renseignée de façon adéquate sur la situation particulière du travailleur et ainsi pouvoir procéder à l'évaluation et à la détermination d'un emploi qui respecte les critères d'emploi convenable[22]».

[20] Par ailleurs, ainsi que la CLP l’a souligné dans Sicard et Réparations Jocelyn Marcil inc.[23], la CSST «doit […] avoir déployé les efforts nécessaires et avoir eu recours à toutes les ressources appropriées pour inciter le travailleur à s'impliquer et à participer activement au processus de réadaptation».

[21] Dans cette affaire, la CLP avait notamment constaté ce qui suit à l’égard des démarches entreprises par la CSST[24] :

En l'espèce, ce processus s'est étalé sur une période de plusieurs mois. Constatant l'état de découragement du travailleur face à la gestion de la douleur et à son avenir, la conseillère en réadaptation, dès la première rencontre, a évalué certains besoins en matière de réadaptation sociale et lui a offert un soutien psychologique, malgré l'absence de diagnostic de nature psychologique. L'objectif du suivi proposé par la conseillère était d'aider le travailleur à gérer le stress et la douleur, dans le but d'un éventuel retour au travail. […] Le travailleur a aussi bénéficié d'une évaluation en ergothérapie qui avait été jugée utile par la conseillère. Ainsi, avant d'enclencher le processus de réadaptation professionnelle visant la détermination d'un emploi convenable, la CSST a évalué globalement les besoins du travailleur et a mis en oeuvre les mesures appropriées. Dans ce contexte, on ne peut prétendre qu'elle n'a pas déployé d'efforts afin de permettre au travailleur d'entrevoir une possibilité de retour sur le marché du travail.

[22] Lors de la seule rencontre qui avait porté sur la réadaptation professionnelle, le travailleur avait réaffirmé être invalide et avait avisé la conseillère de son intention de ne faire aucune recherche d’emploi. De l’avis de la CLP, «[c]ompte tenu des mesures de réadaptation déjà mises sur pied pour tenter de susciter son intérêt face à un retour sur le marché du travail, la conseillère ne pouvait faire plus devant un tel discours. La détermination unilatérale de l'emploi convenable, dans ce contexte, est une solution justifiée puisque rien ne permet de conclure que le travailleur est inapte à tout travail[25]».

[23] Dans Brais et Med-I-Pant inc.[26], un emploi convenable a été déterminé à une travailleuse qui avait avisé la CSST qu’elle était invalide et qu’elle avait l’intention de contester tout emploi convenable. Or, selon la CLP, il appartenait «au conseiller en réadaptation de valider cette information auprès de la travailleuse, ce qu’il n’a pas fait[27]».

[24] En ce qui a trait aux démarches du conseiller et à l’attitude de la travailleuse, la CLP a retenu ce qui suit[28] :

[Le conseiller] a procédé en vase clos à l'analyse de différents emplois sans communiquer avec la travailleuse pour l'informer de ses démarches. La seule communication avec la travailleuse a eu lieu afin de valider certaines informations relatives à l'informatique et à l'anglais. La détermination unilatérale de l'emploi convenable sans chercher à solliciter la participation de la travailleuse s'explique d'autant plus difficilement qu'elle a manifesté une participation active à sa réadaptation lorsque la CSST a sollicité celle-ci. En effet, une fois l'emploi convenable déterminé, la travailleuse n'a pas hésité à suivre pendant sept semaines une formation en recherche d'emploi et à effectuer une recherche d'emploi active. Ce comportement témoigne de sa volonté à participer à sa réadaptation.

[25] Par ailleurs, dans une autre affaire où un travailleur affirmait être invalide, la CLP a conclu que la CSST ne pouvait se reposer sur «une perception du travailleur face à sa capacité de travail[29]» pour déterminer un emploi convenable de façon unilatérale à la suite de trois rencontres de moins d’une heure, dont l’une avait eu lieu avant la consolidation de la lésion et la détermination des limitations fonctionnelles. La CLP a jugé qu’une telle démarche de la part de la CSST était insuffisante. S’il est vrai que le travailleur alléguait être invalide, c’est toutefois ce que son médecin avait indiqué dans son rapport final ainsi que dans son rapport d’évaluation médicale, de sorte qu’il ne s’agissait pas d’une simple perception de sa part.

[26] À cette occasion, la CLP a notamment rappelé que la détermination d’un emploi convenable de façon unilatérale a un caractère exceptionnel[30] :

La détermination d'un emploi convenable ne peut se résumer à mettre en parallèle les informations contenues dans le système Repères et les caractéristiques du travailleur. Elle doit se faire avec la collaboration de ce dernier, qui est au centre de la mise en oeuvre du plan de réadaptation. Ce n'est que de façon exceptionnelle que la CSST pourra passer outre à cette prescription de la loi. Il faut prendre le travailleur avec ses forces et ses faiblesses et l'aider à cheminer vers un retour au travail, et non prétexter une perception d'invalidité afin de se permettre d'élaborer un plan de réadaptation minimal consistant à déterminer unilatéralement l'emploi convenable, ce qui a pour effet de placer le travailleur sur la voie d'évitement.

[27] Ainsi que nous l’avons mentionné précédemment, la CSST doit, par ses actions, susciter la collaboration du travailleur. Dans Larose et M&S dépanneur[31], la CLP a considéré que les démarches entreprises par la CSST dans le dossier de la travailleuse, soit la tenue de deux rencontres à la suite de la consolidation de la lésion professionnelle, n’étaient pas suffisantes. De l’avis de la CLP, même si la CSST avait proposé certaines options à la travailleuse et que cette dernière avait offert une participation mitigée, elle aurait dû «prendre en considération qu'elle demeure dans un milieu éloigné de la région urbaine, qu'elle ne désire pas faire partie d'un groupe de thérapie, qu'elle a de multiples problèmes de santé et, surtout, que la dépression et le trouble somatoforme dont elle souffre ne sont pas consolidés à cette époque[32]». La CLP ajoutait qu’il ne fallait pas négliger «le fait que les limitations fonctionnelles de la lésion psychologique, soit la diminution de son seuil de tolérance à la douleur, la peur de se blesser et d'aggraver ses douleurs et la diminution de la capacité de tolérance au stress jouent un rôle dans la faible participation de la travailleuse à l'élaboration du plan de réadaptation[33]».

[28] Dans Gauthier et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation[34], la CLP a également rappelé que la CSST doit «faire une véritable tentative pour susciter et faire naître [la] collaboration nécessaire de la part de la personne victime de la lésion professionnelle[35]». Dans cette affaire, le conseiller en réadaptation avait conclu, sans jamais avoir rencontré le travailleur et après une conversation téléphonique de quelques minutes avec celui-ci, qu’il refusait de collaborer à la détermination d’un emploi convenable. La CLP a déclaré que même si le travailleur avait informé le conseiller de son intention de contester toute décision déterminant un tel emploi, cela ne lui permettait pas d’agir comme il l’avait fait et qu’«une seule conversation téléphonique d'à peine quelques minutes est nettement insuffisante pour pouvoir constituer une démarche de réadaptation et justifier la détermination unilatérale d'un emploi convenable[36]». 

Conclusion

[29] Ainsi qu’il ressort de ce bref aperçu de la jurisprudence, la collaboration d’un travailleur au plan individualisé de réadaptation professionnelle et à la détermination d’un emploi convenable implique des obligations tant pour celui-ci que pour la CSST. Par ailleurs, l’appréciation de cette collaboration par cette dernière nécessite la prise en considération de multiples éléments et ne peut se limiter, par exemple, au seul constat d’un discours pouvant sembler négatif, au premier abord, ou essentiellement fondé sur une perception personnelle de sa capacité.