Le Barreau du Québec a récemment rendu public le rapport d’une enquête menée auprès de ses membres qui montre des problèmes de harcèlement dans le milieu juridique. Plus particulièrement, les répondants ayant volontairement participé à l’enquête ont fait état d’une culture professionnelle «qui favorise le silence et l’impunité face au harcèlement et aux violences à caractère sexuel» (p. 8).

Ce rapport insiste sur les répercussions importantes de ces violences, qui y sont divisées en 3 catégories, soit le harcèlement, les comportements non désirés et la coercition, ainsi que sur le fait que les personnes qui ont vécu l’une ou l’autre de ces formes de violence les ont plus volontiers dévoilées que signalées ou dénoncées. Ainsi, «seulement 1 % des hommes et des femmes ayant répondu à la question 19 («Avez-vous signalé ou dénoncé un ou des événements au syndic du Barreau?»)» (p. 47) ont indiqué l’avoir fait.

Professionnels sanctionnés

L’inconduite sexuelle, qui est depuis longtemps décriée lorsqu’elle vise des patients ou des clients, peut aussi l’être lorsque les gestes commis ou les propos tenus visent des collègues, des stagiaires et également d’autres membres du personnel de soutien.

D’ailleurs, ces inconduites ne se produisent pas uniquement chez les avocats. Au cours de la dernière année, le Conseil de discipline du Collège des médecins du Québec et celui de la Chambre des notaires du Québec ont sanctionné des professionnels qui se sont vu reprocher de tels comportements répréhensibles.

Conduite irréprochable

Dans le premier cas, il était reproché à un médecin de ne pas avoir eu une conduite irréprochable envers une personne avec laquelle il était entré en relation dans l’exercice de sa profession. Selon ce qui est rapporté dans la décision sur culpabilité, il lui aurait notamment demandé s’il pouvait sentir son parfum en s’approchant d’elle et lui aurait embrassé le cou. Le Conseil de discipline du Collège des médecins l’a déclaré coupable sous le seul chef de la plainte qui lui reprochait d’avoir contrevenu à l’article 17 du Code de déontologie des médecins et à l’article 59.2 du Code des professions (C.prof.). Puisque la personne avec laquelle le médecin était entré en relation, d’abord stagiaire, n’était ni médecin ni une professionnelle au sens du Code des professions, le Conseil de discipline a jugé que les articles 110 et 111 du Code de déontologie des médecins ne pouvaient lui être applicables, ces 2 articles se trouvant dans la section X du Code de déontologie des médecins (art. 110 à 115), intitulée «Relation avec les confrères et autres professionnels».

Dans sa décision sur sanction, le Conseil de discipline a d’abord eu à déterminer s’il devait utiliser le nouveau cadre de sanction prévu à l’article 156 alinéa 2 C.prof., visant les infractions à caractère sexuel, et imposer au professionnel le seuil minimal, soit une radiation de 5 ans et une amende de 2 500 $. Le syndic adjoint faisait en effet valoir que l’infraction dont ce dernier avait été reconnu coupable était «un acte de même nature» (paragr. 106) que ceux prévus à l’article 59.1 C.prof. Le Conseil a conclu que ce n’était pas le cas puisque le médecin n’avait pas abusé d’une relation professionnelle pour commettre les gestes dont il avait été déclaré coupable alors que la personne mentionnée à la plainte lui offrait des services de secrétariat. Pour sa conduite répréhensible, il lui a imposé une radiation de 15 mois, tout en indiquant que cette sanction aurait «le mérite d’envoyer un message clair aux membres de la profession qu’il est indéfendable pour un médecin d’avoir un comportement irrespectueux et vexatoire qui se manifeste par des gestes répétés et non désireux à l’égard du personnel de soutien au point de constituer du harcèlement sexuel» (paragr. 370).  

Honneur et dignité de la profession

Ce message a été réitéré par le Conseil de discipline de la Chambre des notaires du Québec, qui a, dans une seconde affaire, tenu à préciser «qu’il est indéfendable pour un notaire d’avoir un comportement irrespectueux et vexatoire qui se manifeste par des gestes répétés et non désirés à l’égard du personnel de soutien» (paragr. 190 de la décision sur sanction). Dans la décision sur culpabilité, le notaire en cause avait été déclaré coupable, sous le premier chef de la plainte, qui en comportait 4, d’avoir contrevenu à l’article 59.2 C.prof. et à l’article 1 du Code de déontologie des notaires pour des propos tenus et des gestes commis à l’endroit d’une personne lors de son embauche et par la suite, alors qu’elle était devenue son employée, soit un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la profession.

Le Conseil a retenu le témoignage de la personne mentionnée à la plainte, tout en soulignant que le professionnel en cause avait reconnu certains des événements décrits par cette dernière, expliquant qu’il s’agissait alors d’un jeu de séduction. Pour le Conseil, le comportement de ce dernier dans un contexte de travail était inacceptable puisque sa conduite de nature sexuelle était non sollicitée et qu’il avait ainsi abusé de son pouvoir, d’abord comme futur employeur, et, par la suite, comme employeur, en «imposant des gestes sexuels inopportuns et des demandes sexuelles explicites qui n’ont pas leur place dans un tel contexte.» (paragr. 156). Il a également souligné le caractère répétitif et en crescendo des gestes posés. Dans sa décision sur sanction, le Conseil a tenu à souligner que les gestes non désirés avaient portés atteinte «à la dignité et à l’intégrité» (paragr. 158) de la personne mentionnée à la plainte, qu’ils l’avaient ultimement forcée à démissionner et que celle-ci avait également présenté une réclamation devant la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail pour un trouble de l’adaptation avec humeur anxieuse. Le Conseil s’est dit d’avis que le comportement du notaire en cause ne pouvait «constituer une simple erreur de sa part dans le cadre d’un jeu de séduction, mais bien une faute d’une gravité telle qu’elle constitue une faute déontologique» (paragr. 184). Il lui a imposé une radiation temporaire de 18 mois sous ce chef, soit une sanction qui assurera la protection du public «à une époque où la société n’accepte plus ce genre de comportement.» (paragr. 189).

Ces décisions ont fait l’objet d’appels devant le Tribunal des professions.

Une note d’espoir

En attendant que des actions concrètes et effectives soient mises en places, comme celles suggérées dans le rapport d’enquête préparé par le Barreau du Québec, afin que les milieux professionnels deviennent exempts de harcèlement, ces 2 illustrations jurisprudentielles permettent de constater ce à quoi s’expose un professionnel faisant l’objet d’une plainte disciplinaire pour ce type d’inconduite, en plus de faire entrevoir le chemin parcouru et celui qu’il reste encore à parcourir.

Selon ce qui est mentionné dans le rapport, certains récits des répondants soutiennent que, dans le milieu juridique, les comportements harcelants et de violences sexuelles tendent à être moins acceptés. Le «rôle important que peuvent jouer les témoins et confident·e·s» (p. 55) est également souligné. Enfin, «l’importance de la prévention et de la sensibilisation est fortement ressortie des données» (p. 59). À cet égard, le rapport indique qu’une «enquête de l’International Bar Association a révélé qu’au Canada, les répondant·e·s étaient significativement moins susceptibles d’avoir vécu du harcèlement sexuel lorsqu’il y avait des formations contre le harcèlement ou les violences sexuelles dans leur lieu de travail. Ceci suggère donc que ces formations peuvent être efficaces» (p. 60).