Depuis bientôt 2 ans, en raison de la pandémie de la COVID-19, nous passons davantage de temps à la maison. Pour plusieurs d’entre nous, notre logement est devenu notre bureau, notre salle de cours ou notre lieu d’entraînement…

Alors que nous avons dû nous adapter à cette nouvelle réalité, les tribunaux ont eux aussi été aux prises avec de nouvelles problématiques en matière de droit au logement. Comment le Tribunal administratif du logement (TAL, antérieurement la Régie du logement) a-t-il interprété les obligations des locataires et des locateurs lorsque la jouissance paisible du logement a été touchée par le contexte pandémique? Est-ce que la situation sanitaire permettait de limiter l’accès aux lieux loués et, si oui, dans quelles circonstances? De quelle façon les consignes sanitaires ont-elles influé sur les obligations des parties au bail?

Je vous propose ici un petit tour d’horizon de la jurisprudence.

Quand la jouissance paisible des lieux loués est touchée

Le TAL a reconnu que la pandémie de la COVID-19 constituait une situation de force majeure. À ce titre, le locateur ne pouvait être tenu responsable de la perte de jouissance paisible des lieux loués qui en résultait. En contrepartie, le locataire privé de services prévus au bail avait droit à une diminution de loyer.

Par exemple, dans Lacroix, le locataire habitait une résidence pour aînés. Le bail comprenait plusieurs services, tels que des allées de quilles, une piscine, des cours d’informatique et des repas en salle à manger. Toutefois, ceux-ci sont devenus inaccessibles ou restreints en raison de la situation sanitaire. Comme le prix du loyer incluait ces services dorénavant indisponibles, une diminution du loyer a été consentie jusqu’à leur reprise.

De façon similaire, dans Bigeault, la terrasse sur le toit, la salle d’exercice et la piscine de l’immeuble ont été fermés en raison du confinement. Là encore, les locataires ont eu droit à une diminution du loyer.

Le principe a été confirmé en appel à la Cour du Québec dans Mooncrest Investment inc. Dans cette affaire, la Cour a conclu que le TAL n’avait pas commis d’erreur en accordant une diminution de loyer à la locataire qui n’avait plus accès au balcon ni à la cour arrière en raison de la pandémie.

L’essor du télétravail a également intéressé le TAL. Ainsi, plus récemment, le Tribunal s’est penché sur une situation où une locataire voyait sa prestation de télétravail compromise en raison de travaux dans son immeuble. Dans Laplante, les travaux devaient être effectués sur une période de 2 semaines, mais ils se sont finalement prolongés durant 3 mois. Le Tribunal a jugé que les bruits incessants avaient engendré une perte de jouissance paisible du logement. Ici, la situation n’a pas été analysée sous l’angle de la force majeure, ce qui aurait libéré le locateur de son obligation. Le Tribunal a plutôt retenu que le locateur n’avait pas agi pour régler ou tenter de régler la situation lorsque la locataire lui a fait part de sa difficulté à travailler. En conséquence, une diminution de loyer et des dommages moraux ont été accordés à cette dernière.

Quand le virus empêche la délivrance du logement

Comme nous l’avons vu, il arrive que la COVID-19 restreigne pour les locataires la jouissance paisible de leur logement. Dans d’autres circonstances, les conséquences de la pandémie ont fait en sorte que des locataires n’ont pas pu prendre possession d’un nouveau logement et que le bail a été résilié.

Dans l’affaire 9350-3480 Québec inc., la situation d’urgence sanitaire a engendré un retard dans la construction de l’immeuble où la locataire devait emménager, si bien que les travaux n’étaient toujours pas terminés à la date de délivrance prévue. Cet arrêt du chantier de construction causé par la COVID-19 a été reconnu comme une situation de force majeure, de sorte que la locatrice a été libérée de son obligation de livrer le logement à la date prévue. Cependant, comme le logement était impropre à l’habitation à la date de délivrance prévue, le bail a été résilié de plein droit.

Dans Boisé Notre-Dame, les locataires ont refusé de prendre possession du logement. S’ils avaient emménagé dans celui-ci, ils auraient été confinés à leur appartement et la majorité des services offerts dans l’immeuble leur auraient été inaccessibles. Encore une fois, en raison de la situation de force majeure, la locatrice ne pouvait délivrer le logement et les locataires ont obtenu la résiliation du bail.

La situation sanitaire et l’accès au logement

Au cours des 2 dernières années, il est arrivé que des locataires et des locateurs refusent l’accès au logement en raison de la situation sanitaire. Cependant, dans les décisions qui ont retenu notre attention, le Tribunal a estimé que ces refus n’étaient pas justifiés.

À titre d’exemple, dans Héon, la locataire a refusé une visite du locateur parce qu’elle craignait les conséquences possibles du coronavirus. La Régie du logement a rendu une ordonnance qui lui enjoignait de donner accès au logement, à la condition que le locateur respecte certaines formalités, comme se laver les mains et porter un masque. De même, dans Chartrand, le Tribunal a ordonné au locataire de donner accès au logement alors qu’il refusait l’entrée à la personne non vaccinée désignée pour y exécuter des travaux.

Dans Société en commandite Le Dufferin, la locataire a dû quitter sa résidence privée pour personnes âgées en raison de problèmes de santé. Pendant les 3 mois ayant suivi son départ, la locatrice a refusé de lui donner accès au logement afin de lui permettre de récupérer ses effets personnels. Selon elle, les directives en vigueur interdisaient les déménagements. Le TAL a plutôt conclu que le déménagement était indispensable au sens de la Directive pour les RPA d’avril 2020, notamment parce que la locataire souhaitait récupérer son lit thérapeutique, et que la locatrice avait conservé ses biens sans droit.

Le respect des mesures sanitaires et les obligations des parties au bail

D’une part, les pratiques adoptées en raison de la pandémie ont parfois modifié les conditions du bail. Dans Deleuze, les locataires de l’immeuble payaient leur loyer par virement bancaire en raison des consignes sanitaires, et ce, avec l’accord du locateur. Lorsque ce dernier a tenté de mettre fin à cette pratique plus de 1 an plus tard, le Tribunal a considéré que les usages entre les parties avaient modifié les modalités du bail et que les locataires pouvaient continuer à utiliser le même mode de paiement.

D’autre part, le non-respect des mesures sanitaires a fait l’objet de demandes pour mettre fin au bail. Par exemple, dans Résidences Soleil Pointe-aux-Trembles, le locataire d’une résidence pour aînés refusait notamment de porter le masque et insultait les employés de la locatrice. Le Tribunal a conclu que la conduite du locataire causait un préjudice sérieux à la locatrice et il a mis fin au bail. 

En contrepartie, dans Lacourcière, la locatrice alléguait que la locataire mettait en danger la sécurité et la santé d’autres locataires puisqu’elle enfreignait les règles de confinement en recevant son fiancé chez elle. Celui-ci se rendait directement au logement de la locataire et évitait de demeurer dans les espaces communs. La locatrice n’a pas démontré dans ce cas en quoi le non-respect du décret gouvernemental lui causait un préjudice sérieux et la Régie du logement a rejeté sa demande en résiliation du bail.

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