La Cour d’appel va-t-elle intervenir pour substituer une peine d’emprisonnement à l’absolution conditionnelle accordée à Simon Houle, cet ingénieur qui a plaidé coupable relativement à des chefs d’accusation d’agression sexuelle et de voyeurisme?

Voilà la question que plusieurs personnes se sont posée après que le Directeur des poursuites criminelles et pénales a annoncé son intention de porter en appel le jugement sur la peine dans le dossier de M. Houle. La requête pour permission d’interjeter appel a effectivement été déposée au mois de juillet et devrait être entendue en décembre, selon les informations disponibles au plumitif.

À titre de rappel, M. Houle a inséré ses doigts dans le vagin de la victime et lui a touché les seins en plus d’avoir pris des photographies de ses parties intimes alors qu’elle était inconsciente. Malgré la gravité de ces gestes, le juge de première instance a conclu qu’une condamnation aurait des conséquences disproportionnées à son égard, alors qu’il pourrait difficilement voyager à l’extérieur du pays, ce qui risquerait d’entraver sa carrière.

Sans me lancer dans un exercice de prédiction de la décision qui sera rendue, je vous propose des pistes de réflexion pour que vous puissiez former votre opinion sur la question qui ouvre ce texte.  

La requête pour permission d’interjeter appel de la peine

D’abord, avant qu’une formation de 3 juges de la Cour d’appel ne se prononce sur le caractère raisonnable de la peine, encore faut-il que la requête de la poursuite soit autorisée par l’un des juges d’appel ou que celle-ci soit déférée à la formation qui entendra l’appel.

Cela n’est pas toujours le cas. Par exemple, dans R. c. A.B., l’accusé, déclaré coupable relativement à des infractions de voyeurisme et de publication non consensuelle d’images intimes de sa conjointe, avait été absous conditionnellement. La poursuite faisait valoir que cette peine ne reflétait pas la gravité subjective des infractions et que le juge avait accordé un poids excessif à la réhabilitation de l’accusé. La Cour a rejeté la requête au motif que la poursuite l’invitait à substituer son opinion à celle du juge.  

La requête pour permission d’interjeter appel sera toutefois accueillie ou déférée à la formation si le juge est d’avis que l’appel n’est pas voué à l’échec. Une fois cette étape franchie, la Cour déterminera si les erreurs alléguées justifient son intervention.

La norme d’intervention

La norme d’intervention de la Cour d’appel est particulièrement exigeante en raison du large pouvoir discrétionnaire dont le juge de première instance dispose en matière de peine:

[26]        Il découle de cette norme que la Cour doit s’abstenir d’intervenir afin de simplement substituer son opinion à celle du juge d’instance pour la seule raison qu’elle aurait imposé une peine différente ou reconnu un poids différent aux facteurs pertinents et qu’elle doit se limiter, en ce qui a trait à son opportunité, à déterminer si le juge de première instance a appliqué les bons principes et tenu compte des faits pertinents.

[27]        Elle permet toutefois son intervention si la peine imposée n’est manifestement pas indiquée ou si le juge ayant imposé la peine a commis une erreur de droit ou de principe ayant eu un impact sur le résultat.

[28]        De façon générale, la peine nettement ou manifestement déraisonnable, excessive ou inadéquate, ou encore celle qui s’écarte de façon marquée et importante du principe de proportionnalité sera qualifiée de manifestement non indiquée alors que l’omission de prendre en considération un facteur pertinent ou l’insistance trop grande sur l’un de ces facteurs au détriment de certains autres pourra constituer une erreur de principe.

[29]        Dans l’un et l’autre de ces cas de figure, l’erreur devra toutefois avoir eu une influence sur la peine infligée pour justifier une intervention.

La jurisprudence de la Cour d’appel

Les arrêts de la Cour d’appel concernant une absolution accordée à un accusé déclaré coupable d’agression sexuelle sont peu nombreux, ce qui s’explique par le fait que des peines de détention sont généralement privilégiées en la matière.

Ce constat a été fait dans l’arrêt R. c. Gravel, en 2018. Dans cette affaire, l’accusé, qui travaillait comme technicien pour une compagnie de télécommunication, avait profité du fait que la victime dormait pour lui toucher les seins et lui faire une pénétration digitale et un cunnilingus. Il avait démontré que l’absence de casier judiciaire était une condition pour le maintien de son emploi.

Même si elle a conclu que l’absolution conditionnelle était clémente par rapport aux gestes commis par l’accusé (paragr. 7), la Cour d’appel n’a pas décelé d’erreur déterminante ni d’erreur de principe pouvant justifier la substitution de la peine. Elle a d’ailleurs rejeté l’argument voulant que les principes de dénonciation et de dissuasion doivent toujours conduire à de l’emprisonnement ferme en cas d’agression sexuelle: «Cette prétention enfreint l’idée que l’absolution prévue à l’article 730 C.cr. n’exclut aucun crime, sauf ceux passibles d’une peine minimale ou de quatorze ans ou plus.» (paragr. 26).

En 2017, dans R. c. Umakanthan, la Cour a souligné que l’absolution n’était pas déraisonnable même si un autre juge aurait pu imposer une peine différente. L’accusé, qui faisait des études pour devenir ingénieur, a couru vers la victime alors que celle-ci marchait dans la rue. Il l’a prise par le cou, tout en se masturbant, et a essayé de la toucher. 

Ces 2 décisions sont les plus récentes rendues par la Cour d’appel en matière d’absolution dans un contexte d’agression sexuelle. Toutefois, en 2003, dans Popov c. R., la Cour a elle-même accordé une absolution à un accusé auquel une peine d’emprisonnement avait été imposée. Elle a conclu que le juge de première instance avait mal appliqué l’article 730 (1) du Code criminel en ce qu’il n’avait pas tenu compte de la situation de l’accusé ni de l’ensemble des circonstances de la commission de l’infraction.

Dans R. c. Nguyen, rendu en 2005, la Cour d’appel a substitué à la peine d’emprisonnement de 23 mois avec sursis imposée en première instance une peine de même durée devant être purgée en détention. Le juge avait commis des erreurs dans l’évaluation du risque de récidive que présentait l’accusé ainsi que de la gravité et des circonstances des agressions sexuelles. La Cour a conclu que «[l]a peine imposée [était] déraisonnable parce que non proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’intimé» (paragr. 13).

Bien que les faits soient différents de l’affaire Houle et qu’il ne soit pas question d’absolution, cet arrêt donne un aperçu du raisonnement de la Cour et du type d’erreur pouvant mener à son intervention à l’égard de la peine.

Changement jurisprudentiel à venir?

Enfin, comme il a été mentionné par le professeur Hugues Parent dans un entretien publié par La Presse dans la foulée des réactions à l’absolution de Simon Houle, la compréhension actuelle de la violence sexuelle pourrait aussi mener la Cour d’appel à réviser la peine dans ce cas: «Sans écarter complètement l’absolution en matière d’agression sexuelle, il est fort possible que celle-ci soit limitée éventuellement à des attouchements de nature plus superficielle».

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