D’importantes modifications ont été apportées à la Loi sur la protection de la jeunesse dans la foulée de la Commission spéciale sur les droits des enfants et de la protection de la jeunesse (commission Laurent). Les milliers de décisions rendues chaque année par la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec témoignent de l’effet de cette loi modernisée sur la vie de tant d’enfants ayant besoin de sa protection.

À travers une présentation de courts extraits de 25 décisions rendues par la Cour du Québec, réparties dans 2 billets, tentons de mettre en lumière de quelle façon les juges ont analysé, appliqué et interprété certaines des récentes modifications apportées à la loi depuis qu’elles sont entrées progressivement en vigueur, en 2022 et en 2023.

Modernisation de la Loi sur la protection de la jeunesse: un vaste chantier (première partie)

Les récentes modifications apportées à la loi font partie des actions à entreprendre proposées par la commission Laurent, dont la mise en place a été provoquée par le décès tragique d’une enfant, survenu en 2019.  

La Loi sur la protection de la jeunesse, une loi novatrice au moment de son entrée en vigueur, en 1979, résulte de 40 ans d’évolution, comme l’a rappelé la commission Laurent, qui a notamment invité le législateur à lui ajouter un préambule, à préciser les principes directeurs et certains droits de l’enfant et à mentionner de façon explicite les obligations et les responsabilités des parents.

De plus, à la lumière des intitulés des chapitres du résumé du rapport de la commission, il importait également, aux yeux de celle-ci:

  • de «Passer à l’action pour les enfants autochtones»;
  • d’«Adapter les services aux communautés ethnoculturelles»; et
  • de «Reconnaître les impacts des conflits familiaux et de la violence conjugale sur les enfants». 

C’est ainsi que le chantier de la modernisation de la loi a été lancé, tel que le détaillent les documents sur l'état d'avancement et le Bilan détaillé de la Phase 1. Les modifications apportées à la loi ont été sanctionnées en avril 2022 et, depuis, la plupart des nouvelles dispositions sont entrées progressivement en vigueur. Les principales modifications apportées à la loi ont été présentées dans un billet rédigé en juin 2022 par ma consœur Me Joannie Langlois. Parmi les changements, notons, en plus du préambule, l’ajout d’un nouveau motif de compromission, soit celui de l’exposition à la violence conjugale, qui se trouve à l’article 38 c.1), et le fait que les dispositions particulières aux autochtones sont désormais rassemblées sous le chapitre V.1.

SOQUIJ bonifie son plan de classification
Dans le but de permettre le repérage des décisions portant sur ces changements, des modifications ont été apportées au Plan de classification, lequel est accessible dans Recherche juridique. Les rubriques existantes ont ainsi été remaniées et 2 nouvelles rubriques ont été ajoutées afin de faciliter les recherches jurisprudentielles portant sur ces modifications législatives.

Nouvelles sous-rubriques surlignées:  «exposition à  la violence conjugale» et «disposition particulières aux autochtones».

Pour consulter les fiches d’annotations, il suffit de cliquer sur le l'icône . À titre d’exemple, voici la fiche de la rubrique concernant le nouveau motif de compromission, soit celui d’exposition à la violence conjugale. Il est à noter que, déjà, une trentaine de décisions y sont répertoriées en raison de leur intérêt jurisprudentiel.

Fiche d'annotation portant sur le motif de compromission «exposition à la violence conjugale».

Survol de la jurisprudence

Afin de saluer les premiers pas de la loi modernisée, voici maintenant la présentation de brefs extraits tirés de décisions rendues par la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, exposant, article par article, l’interprétation donnée à certaines des dispositions nouvelles ou illustrant l’application qui en a été faite. Ces quelques exemples tirés de la jurisprudence mettront en lumière le fait que ces dispositions ont été appliquées et discutées par les juges, qui, au fil de leurs décisions, ont rendu la modernisation de la loi bien concrète pour plusieurs enfants et adolescents.

Préambule de la loi: «un cadre interprétatif des intentions du législateur»

À cet égard, soulignons que la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse s’est penchée sur la nature du préambule alors qu’elle était saisie d’une demande en rejet d’une contestation constitutionnelle, indiquant ce qui suit:

«En ce qui concerne le préambule de la loi, son contenu n’est pas constitutif de droits, offrant plutôt un cadre interprétatif des intentions du législateur quant au dispositif de la loi dont "à en expliquer l’objet et la portée"» (paragr. 34).

[Nos soulignements.]

Dans une autre affaire, il a été mentionné que:

«Les modifications législatives récentes ajoutent un préambule contenant les principes fondamentaux à la LPJ, sous la forme de plusieurs «considérant». Ils servent de guide pour interpréter la loi et sont donc particulièrement utiles dans l’application de la méthode moderne» (paragr. 57).

[Nos soulignements.]

Définition du terme «organisme» (art. 1 d)): une interprétation large

Dans cette même affaire, où il était allégué qu’une régie intermunicipale avait lésé les droits d’un enfant, il a par ailleurs été tranché qu’un «corps de police répond tant à la définition de personne que d’organisme» et qu’il «fait donc partie des entités qui peuvent léser les droits d’un enfant» (paragr. 15).

Il a ainsi été précisé: «L’objectif visé par le législateur d’élargir la définition doit donc être pris en considération dans l’interprétation de la notion d’organisme» (paragr. 56).

De même que: «En élargissant la notion d’organisme, le législateur ne peut ignorer qu’il étend ainsi les entités pouvant être visées par une lésion de droits. Cet élargissement des entités pouvant être visées par une telle demande est cohérent avec le principe de responsabilité collective concernant les enfants vulnérables et la primauté de leur protection» (paragr. 76).

[Nos soulignements.]

Objet de la loi (art. 2): la protection des enfants

Comme cela a été clairement rappelé dans Protection de la jeunesse — 232410, la loi, qui revêt un caractère curatif de même que préventif, a «comme objet la protection des enfants dont la sécurité ou le développement est ou peut être considéré comme compromis», mais aussi de «mettre fin à la situation qui compromet la sécurité ou le développement de l’enfant et d’éviter qu’elle ne se reproduise» (paragr. 17).

Intérêt de l’enfant (art. 3): «une considération primordiale»

Dans une affaire où une enfant âgée de 4 ans a été confiée à ses grands-parents paternels jusqu’à la majorité, la juge a précisé que l’intérêt de l’enfant ne constituait pas une «notion statique» après avoir mentionné que «[l]e nouveau préambule de la Loi met à l’avant-scène l’intérêt de l’enfant qui constitue une "considération primordiale"» (paragr. 24).

[Nos soulignements.]

Dans une autre décision, le tribunal a indiqué la loi ne donnait pas une définition précise du concept de l’«intérêt de l’enfant», tout en précisant:

«Néanmoins, le législateur stipule que l’intérêt de l’enfant est la considération primordiale dans l’application de la LPJ. Sont pris en considération, outre les besoins moraux, intellectuels, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, sa santé, son caractère, son milieu familial incluant les conditions socioéconomiques dans lesquelles il vit, et les autres aspects de sa situation» (paragr. 32).

[Nos soulignements.]

Maintien dans le milieu familial (art. 4): l’intérêt de l’enfant avant le «lien du sang»

Toujours dans cette affaire, il a été souligné que le lien biologique d’un enfant avec son parent n’était qu’un élément parmi d’autres à prendre en considération:

«L’abrogation de l’article 2.2 LPJ et les amendements législatifs apportés à la LPJ témoignent d’ailleurs de l’intention du législateur de ne pas considérer le lien du sang comme un élément décisif du meilleur intérêt de l’enfant» (paragr. 44).

[Nos soulignements.]

Le tribunal expliquant que, si l’ancien libellé des articles 4 et 91.1 paragraphe 4 de la loi pouvait laisser croire que le retour de l’enfant dans son milieu familial était un élément déterminant de son «meilleur intérêt», désormais, «[le] retour de l’enfant dans son milieu doit être privilégié à la condition qu’il soit dans l'intérêt de l'enfant» (paragr. 34).

[Nos soulignements.]

Dans Protection de la jeunesse — 236871, le tribunal a conclu que X, une fillette âgée de 5 ans, devait être maintenue dans sa famille d’accueil actuelle jusqu’à sa majorité tandis que sa sœur Y, âgée de 1 an, devait être confiée aux amis de ses parents, soit Mme C et M. D, tout en précisant:

«La famille d’accueil actuelle de X est celle qui peut lui permettre, au sens de l’article 4 LPJ, la continuité des soins et la stabilité des liens auxquelles elle a droit. Ce sont eux qui sont aujourd’hui les personnes qui lui sont les plus significatives de par leur investissement soutenu à répondre à ses besoins depuis plus de deux ans» (paragr. 23).

[Nos soulignements.]

Compte tenu des faits particuliers de cette affaire, les 2 sœurs n’ont pas été réunies, le tribunal retenant, entre autres choses, que Mme C et M. D n’étaient pas des personnes significatives pour X, qui ne les avait vues que 2 fois.

Fratrie (art. 4.1): favoriser le maintien des frères et sœurs dans un même milieu de vie

L’importance de réunir la fratrie a toutefois été mentionnée dans plusieurs décisions. Dans cet autre dossier, le tribunal ayant appris à l’audience que les 2 frères étaient dans des familles d’accueil différentes, a tenu à souligner qu’il recommandait que les enfants soient dans la même famille après avoir précisé que, selon l’article 4.1 de la loi, «lorsqu’un enfant est retiré de son milieu familial, le maintien de ce dernier avec sa fratrie dans un même milieu de vie substitut doit être favorisé à condition qu’il soit dans l’intérêt de cet enfant» (paragr. 31). Il a relevé que, dans le cas dont il était saisi:

«[…] il serait définitivement dans l’intérêt de Y et X d’être dans la même famille d’accueil puisqu’ils fréquenteront la même garderie, et que l’objectif ultime est de les retourner dans leur milieu familial maternel le plus rapidement possible» (paragr. 32).

[Nos soulignements.]

Dans Protection de la jeunesse — 234790, saisie de demandes similaires pour 2 sœurs, l’une âgée de 6 ans et l’autre de 8 ans, la juge a indiqué que, compte tenu de leur âge respectif lors de leur retrait du milieu familial, le délai maximal prévu à l’article 91.1 de la loi était atteint pour l’une, mais pas pour l’autre. Elle a dit souscrire à la recommandation formulée par la procureure des enfants de rendre une ordonnance semblable pour chacune d’elles:

«En effet, les enfants ont toujours partagé le même milieu de vie et le Tribunal considère que leur intérêt milite en faveur du maintien de cette situation, d’autant plus que cela a pour effet de répondre à l’objectif prévu à la Loi concernant la stabilité des liens de l’enfant» (paragr. 45).

[Nos soulignements.]

Et ce, non sans souligner que cette considération était désormais prévue précisément à la l’article 4.1 de la loi.

Projet alternatif (art. 4.2): nécessité d’un projet «viable à long terme»

Dans Protection de la jeunesse — 228855, informé par la directrice de la protection de la jeunesse (DPJ) du fait qu’elle avait l’intention de déplacer l’enfant en cause dans une famille de type banque mixte, le tribunal a indiqué que cela était précipité. Tout en mentionnant que l’article 4.2 de la loi prévoit notamment que la DPJ doit planifier un projet de vie alternatif lorsqu'un enfant est retiré de son milieu familial, il a tenu à préciser que le terme «planifier» n'avait pas le même sens qu'«actualiser», et ce, «même si le pronostic de retour de l'enfant auprès de son parent est extrêmement sombre» (paragr. 38).

[Nos soulignements.]  

Dans un autre dossier, le tribunal a conclu qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’enfant, âgée d’à peine quelques mois, d'être confiée à sa grand-mère paternelle, qui était elle-même aux prises avec des difficultés personnelles importantes et qui n'avait pas vu l'enfant depuis sa naissance. Le juge a indiqué:

«Sa grande vulnérabilité, ainsi que la nécessité de prévoir un projet de vie alternatif viable à long terme, amène le Tribunal à conclure qu’il est dans son intérêt d’être confiée à une famille d’accueil en mesure de lui offrir cette stabilité» (paragr. 33).

[Nos soulignements.]

Participation active de l’enfant et de ses parents (4.3): un bénéfice pour diminuer le stress d’une audience

Le tribunal, qui a accueilli une demande en révision d’une ordonnance, a mentionné que le fait de procéder par projet d'entente était bénéfique pour les adolescentes en cause puisque cela leur permettait de participer pleinement au processus (citant l’article 4.3 de la loi dans ses notes de bas de page), et d'éviter le stress d'une audience, et ce, en ces termes:

«Proceeding by draft agreement allows the adolescents (1) to participate more fully in the process (ie. set out the relevant facts and the most appropriate measures), which is one of the guiding principles of the Act, and (2) to avoid the stress of a hearing» (paragr. 25).

Obligations des personnes effectuant des interventions auprès de l’enfant (4.4): diligence et respect des caractéristiques ethnoculturelles

Dans Protection de la jeunesse — 236871, un dossier cité plus haut, le tribunal a indiqué que la loi imposait aux décideurs de tenir compte de différents facteurs lorsqu’un enfant devait être confié à un milieu de vie substitut et que, notamment à l’article 4.4 d), la loi mentionnait les caractéristiques des communautés ethnoculturelles. Le tribunal a ajouté:

«Il est ainsi bien établi qu’un enfant bénéficie de pouvoir continuer d’évoluer, lorsque possible, dans un milieu qui lui permet de garder des liens étroits avec sa communauté culturelle et d’y développer son identité» (paragr. 20).

Dans une autre affaire, le tribunal a constaté les difficultés de la DPJ à respecter les caractéristiques ethnoculturelles des enfants en cause et il a retenu qu’elle avait lésé les droits des enfants garantis par les articles 3 alinéa 2 et 4.4 de la loi. Il a notamment dénoncé que:

«Les commentaires des différents intervenants, y compris de la déléguée, sur le déroulement des visites démontrent une méconnaissance flagrante des caractéristiques ethnoculturelles de cette famille» (paragr. 458).

[Nos soulignements.]  

Le tribunal a indiqué, en outre, qu’il déplorait «[…] le manque d’intérêt et de curiosité des intervenants quant aux caractéristiques ethnoculturelles des enfants» (paragr. 461).

Dans un autre dossier, le tribunal a également conclu que les droits des enfants en cause avaient été lésés, cette fois en raison du délai entre la réception des signalements et leur évaluation, alors que le devoir d’agir avec diligence est précisé à loi, mentionnant:

«En l’espèce, le délai de 8 mois est nettement déraisonnable compte tenu du délai moyen pour évaluer un signalement, de la récurrence de la situation signalée, de l’âge des enfants et des constats déjà faits par le CLSC; le droit protégé par l’article 4.4 b) n’a pas été respecté» (paragr. 105).

Collaboration optimale (art. 4.5): le «travail en silo n’a pas sa place»

Dans un dossier dans lequel le tribunal était saisi d’une demande de déclaration de compromission d’une enfant âgée de 14 mois, il a été informé que, en raison de l’intervention de la DPJ auprès de l'enfant, le centre de santé et de services sociaux (CSSS) ne semblait plus en mesure d'offrir à celle-ci une place en garderie. Le tribunal a alors mentionné que «de telles tracasseries administratives n’ont pas leur place lorsqu’il est question de l’intérêt de l’enfant» (paragr. 53), tout en rappelant que l’article 4.5 de la loi est clair lorsqu'il énonce que les établissements, les organismes et les personnes auxquels la loi confie des responsabilités envers un enfant doivent collaborer entre eux et obtenir de façon optimale la collaboration des ressources du milieu. Le tribunal a tenu à préciser que le «travail en silo n'a pas sa place» (paragr. 55). Dansson dispositif, ila pris acte du fait que la DPJ ferait «les démarches nécessaires auprès du CSSS afin de s'assurer que le principe de concertation entre les organismes prévu à la loi soit respecté et que l'enfant puisse bénéficier d'une place protocole en vertu du programme [de Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance] ou de tout autre programme offert par le CSSS» (paragr. 65).

Communication d’un renseignement confidentiel (art. 4.6): «lorsque l’intérêt et la protection de l’enfant sont en jeu»

Dans Protection de la jeunesse — 237603, la DPJ, en plus de demander la prolongation d’une ordonnance, souhaitait être autorisée à obtenir l'acte de naissance de la mère, son attestation d’études et de l’information sur son état durant la grossesse et les soins prénataux reçus. Le tribunal s’est questionné sur son pouvoir d’ordonner l’accès aux documents recherchés. Il a précisé: «Afin de donner plein effet aux dispositions de la Loi dans la poursuite de son objectif de protection de l’enfance, la règle d’interprétation commande de lire ces paragraphes de l’article 91 conjointement avec l’article 4.6 qui prévoit la communication de renseignements confidentiels lorsque l’intérêt et la protection de l’enfant sont en jeu» (paragr. 33).

Les extraits tirés de la jurisprudence illustrant l’application des articles 6.1, 8, 8.1, 9.1, 38 c.1), 38.2.2, 57.2.2 et 62.1, 76.3 et 131.1 et ss. seront présentés dans la deuxième partie de ce billet, qui sera diffusée prochainement.

Conclusion

Lorsque des modifications législatives surviennent, il est toujours passionnant, en tant que conseillers juridiques chez SOQUIJ, de découvrir de quelle façon les tribunaux se les approprieront, et quels sont les cas d’espèce qui leur permettront d’étayer leur analyse et interprétation de ces nouvelles dispositions. Nous avons en quelque sorte le privilège d’être aux premières loges. En ce qui concerne la modernisation de la loi, nous continuerons de suivre avec attention le développement de la jurisprudence, tant devant la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, que devant les tribunaux supérieurs.