Dans un texte d'opinion récent publié dans La Presse, un juge retraité de la Cour supérieure, Daniel W. Payette, s'est exprimé sur le sujet de l'emprisonnement avec sursis, une peine introduite dans le Code criminel (C.Cr.) en 1996. L'article 742.1 C.Cr. prévoit que «[l]e tribunal peut ordonner à toute personne qui a été déclarée coupable d’une infraction de purger sa peine dans la collectivité afin que sa conduite puisse être surveillée […], si elle a été condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans» et si plusieurs conditions sont réunies. Le tribunal doit être convaincu que cette mesure ne crée pas un danger pour la sécurité de la collectivité et «est conforme à l'objectif essentiel et aux principes» (art. 742.1 a) C.Cr.) de détermination de la peine. Par ailleurs, l'infraction pour laquelle l'accusé a été reconnu coupable ne doit pas être punissable d'une peine minimale d'emprisonnement. De surcroît, différentes infractions sont exclues et ne peuvent faire l'objet d'une telle mesure (la torture, par exemple).
Comme le rappelle le juge Payette, cette peine offre de nombreux avantages, qu'il énumère dans son texte:
- Cette peine est réellement punitive. Le délinquant voit sa liberté restreinte en étant enfermé chez lui, ses sorties étant limitées et surveillées.
- Le tribunal fait preuve de souplesse dans la détermination des différentes conditions qu'il impose. Comme le mentionne le juge Payette: «La sévérité des conditions qui y sont reliées ajoute à son châtiment».
- Cette peine peut être plus longue que la peine d'incarcération que le tribunal aurait pu prononcer pour le crime commis. La période de détention provisoire (celle qui précède la déclaration de culpabilité) est déduite de la peine d'incarcération, réduisant ainsi cette dernière. Il n'y a pas de telle déduction dans le cas d'une peine à purger dans la collectivité.
- La durée de celle-ci ne peut non plus être réduite au moyen d'une libération conditionnelle, ce qui représente une différence notable, encore une fois, avec l'incarcération.
- Enfin, comme le rappelle le juge Payette, le non-respect des conditions de l'ordonnance de purger sa peine dans la collectivité peut faire prendre le chemin de la prison au délinquant pour le résidu de sa peine. La menace de l'incarcération constitue une épée de Damoclès qui plane au-dessus de sa tête.
Cette peine, tout en constituant une solution de rechange efficace au problème de la surincarcération au Canada, offre donc des avantages non négligeables. Pourtant, elle n'a pas bonne presse auprès d'une partie de la population, de commentateurs et de certains acteurs du système judiciaire. Le qualificatif de «peine bonbon» est souvent brandi par les contempteurs de cette mesure, qui ne fait pas l'unanimité.
Voici une brève présentation de jugements récents qui discutent la possibilité d'imposer cette peine. Certains l'imposent, d'autres préfèrent prononcer l'incarcération ou d'autres peines. Cette présentation, qui n'a pas pour objectif d'être exhaustive, vise à illustrer les questionnements des juges lorsqu'ils doivent décider s'il y a lieu d'imposer une peine dans la collectivité. Plus largement, elle vise à susciter une réflexion sur cette mesure, dont l'importance dans l'arsenal des peines n'est plus à démontrer.
Jugements dans lesquels une peine d'emprisonnement avec sursis a été imposée
Dans l'arrêt Rondeau c. R., rendu le 15 octobre dernier, la Cour d'appel a substitué une peine d'emprisonnement avec sursis de 12 mois à la peine d'emprisonnement de 8 mois qui avait été prononcée en première instance à l'endroit d'un accusé reconnu coupable de conduite dangereuse causant la mort.
Après avoir aperçu une famille de canards qui traversait la chaussée, l'accusé a arrêté son véhicule à l'entrée d'une courbe, puis il a entrepris une manoeuvre pour contourner les animaux, de sorte que son véhicule s'est retrouvé dans la voie opposée et a ainsi créé un obstacle incontournable pour le motocycliste qui arrivait en sens inverse, à haute vitesse, et qui est décédé sur le coup.
Le juge Martin Vauclair a déterminé que le juge de première instance avait commis plusieurs erreurs de principe ayant eu une incidence sur la sanction prononcée. Celui-ci a orienté sa décision uniquement en fonction de la conséquence tragique pour la victime, «faisant de la gravité objective de l’infraction un facteur aggravant qui empêche une autre mesure que l’emprisonnement en milieu carcéral» (paragr. 48). Or, la peine doit punir à la fois l'infraction et l'accusé. Le juge, qui a également noté, à juste titre, que le degré de culpabilité morale de l'accusé était bas, a aussi erré en écartant les principes de réhabilitation et en minimisant indûment l'effet des facteurs atténuants présents dans ce dossier.
S'il est vrai que le législateur a augmenté la peine maximale pour cette infraction, il a également réintégré, en 2022, la possibilité de purger la peine dans la collectivité pour la conduite dangereuse causant la mort. Le juge Vauclair a estimé que l'emprisonnement dans la collectivité convenait au profil positif de l'accusé puisqu'il était «patent que la réhabilitation militait en faveur de la peine proposée» (paragr. 77).
Dans une affaire d'agression sexuelle, cette fois, R. c. Gagné, la Cour du Québec devait déterminer la peine juste et appropriée à l'endroit de l'accusé, un sergent et instructeur pour les Forces armées canadiennes qui s'était livré, lors de fouilles préalables à un entraînement de combat, à des attouchements sexuels aux fesses d'une réserviste militaire en formation. La poursuite suggérait une peine d'emprisonnement se situant entre 30 et 60 jours, assortie d’une probation de 2 ans. La défense, quant à elle, recommandait d’absoudre conditionnellement l’accusé et de le soumettre à une ordonnance de probation de 2 ans.
Cette affaire comportait plusieurs facteurs aggravants, dont l'abus d'autorité en raison du lien hiérarchique, le double statut de militaire et de policier de l'accusé (compte tenu des conséquences d’une condamnation criminelle sur la confiance du public envers ces institutions), la répétition des gestes d’attouchement au cours de la journée et les conséquences importantes pour la victime, qui comprenaient les répercussions professionnelles résultant de sa dénonciation. La juge Bouillon a également relevé plusieurs facteurs atténuants, dont l'absence d'antécédents de l'accusé, le risque de récidive sous la moyenne et son désir de continuer les démarches thérapeutiques entreprises.
L'option de l'absolution a été rejetée par la juge, qui considérait cette peine comme inappropriée, compte tenu du degré de responsabilité de l'accusé et de la gravité de l’infraction. Elle a plutôt imposé un emprisonnement avec sursis, lequel permettait d'atteindre les objectifs de dénonciation et de dissuasion tout en donnant à l'accusé la possibilité de continuer les démarches thérapeutiques entreprises, favorisant ainsi sa réhabilitation.
Dans l'affaire R. c. Gauthier, rendue le 26 août 2024, la Cour du Québec devait déterminer la peine juste et appropriée dans le cas d'un jeune accusé présentant des limitations cognitives ayant plaidé coupable sous des chefs d'accusation de distribution et de possession de matériel de pornographie juvénile ainsi que d'accès à celui-ci (certains des fichiers saisis par la police montraient des scènes dégradantes dont certaines impliquaient des enfants en très bas âge subissant des viols). Le juge Ladouceur a estimé que les limitations cognitives de l'accusé auraient pour effet de rendre son incarcération extrêmement difficile, «en plus d’avoir le potentiel de nuire à sa réhabilitation sociale et de l’exposer à de l’intimidation» (paragr. 213). Il a donc imposé une peine d'emprisonnement avec sursis de 10 mois, suivie d'une ordonnance de probation d'une durée de 3 ans. Le juge a, dans cette optique, déclaré que la peine minimale obligatoire de 1 an d'emprisonnement prévue à l’article 163.1 (3) C.Cr. et relative au crime de distribution de pornographie juvénile violait l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés et était inopérante à l’égard de l’accusé.
Le juge a reconnu que l'argument de la poursuite selon lequel une peine dans la collectivité aurait peu d'effet sur la liberté de l'accusé, compte tenu du profil très sédentaire de celui-ci, n'était pas sans valeur. Toutefois, il a souligné le fait que l'accusé ne restait pas continuellement chez lui et qu'il effectuait occasionnellement des sorties en famille. Le juge a cependant tenu compte de la réalité du mode de vie de l'accusé en prolongeant la période d’assignation à domicile au-delà de la moitié de la durée de l’ordonnance d’emprisonnement avec sursis.
Dans un jugement rendu en septembre dernier, R. c. Boulé,la Cour du Québec a imposé une peine totale d'emprisonnement de 6 mois à purger dans la collectivité (suivie d'une ordonnance de probation de 1 an) à un prêteur ayant accordé 3 prêts à des taux d'intérêt annuels criminels (entre 76 % et 118 %). Il s’agissait de contrats notariés impliquant 3 différents emprunteurs. La juge Gauthier, qui a estimé que l'absolution n'était pas appropriée, a déterminé que les objectifs de dénonciation et de dissuasion - prépondérants dans ce dossier, compte tenu de la gravité et de la répétition des gestes, de leur planification, de l’utilisation des services d'un notaire et de l’exploitation de personnes financièrement vulnérables - pouvaient être atteints par une peine d’emprisonnement avec sursis, vu l’absence d’antécédents, l’âge de l'accusé (70 ans) et l’arrêt d’agir dès l’intervention des policiers. La juge a ajouté que le risque de récidive était faible et qu'elle ne pouvait «voir l’intérêt de la société à ce que, dans les circonstances propres à l’affaire, l'accusé soit envoyé en milieu carcéral pour y purger sa peine » (paragr. 48). En l’espèce, une peine d’emprisonnement avec sursis respectait les objectifs essentiels et les principes pénologiques.
Dans l'arrêt R. c. Bernier, la Cour du Québec a prononcé une peine d'emprisonnement avec sursis de 14 mois à l'égard des accusés, lesquels ont été déclarés coupables d'extorsion pour avoir, lors d'une rencontre d'affaires, exhibé l'emblème d'un groupe de motards criminels afin d'exercer une pression sur les victimes (qui travaillaient au sein d'une entreprise accordant du financement hypothécaire) pour qu'elles acceptent une transaction de rachat de créance.
La juge Riendeau n'a fait droit ni à la suggestion des accusés (un sursis de peine), ni à celle de la poursuite (un emprisonnement ferme de 15 mois). Même si la juge a noté le fait que l'un des 2 accusés était toujours membre d’un groupe de motards criminels au moment des événements (et dont il s'est dissocié depuis), elle n'a pas retenu à leur pleine valeur ses antécédents judiciaires, qui dataient généralement d'une vingtaine d'années, «n’étant face à rien qui écarte une vraie réhabilitation jusqu’aux événements» (paragr. 40). La juge a aussi pris en compte les conséquences de la médiatisation de l'affaire sur lui (retraite anticipée et risque d'être la cible d'agressions). Pour la juge, l'emprisonnement avec sursis ne mettrait pas en danger la sécurité de la collectivité, et cette mesure était par ailleurs conforme à l’objectif essentiel et aux principes de détermination de la peine. Toutefois, elle a déterminé que cette mesure ne devait pas être traitée sur le même pied que l'emprisonnement ferme puisqu'elle est généralement plus clémente. Ainsi, même si la juge avait conclu précédemment que la peine juste était de 12 mois, elle a évalué à 14 mois la durée appropriée de la peine d’emprisonnement avec sursis.
Dans une affaire traitée récemment par la Cour d'appel (Vandal c. R.), l'appelante avait plaidé coupable sous une accusation de vol pour avoir détourné à son usage personnel des sommes d’argent auxquelles elle avait accès, pendant une période de 7 ans, alors qu'elle était l’administratrice du syndicat de copropriétaires d’un immeuble détenu en copropriété divise dans lequel elle était propriétaire d’un appartement. Elle a été condamnée en première instance à une peine de 6 mois d’emprisonnement avec sursis. En appel, elle a contesté la décision du juge de première instance d'avoir écarté l'absolution inconditionnelle. Le juge Cournoyer n'a pas fait droit au grief de l'appelante.
Si l'on tient compte de l’observation contenue dans l’arrêt Proulx selon laquelle «une peine d’emprisonnement avec sursis est généralement une peine plus clémente qu’un emprisonnement de même durée» (paragr. 54), il s’avère difficile de soutenir le grief qui blâme le juge de ne pas avoir considéré des sanctions moins contraignantes.
De façon semblable, dans l'arrêt Z.F. c. R., la Cour d'appel n'est pas non plus intervenue à l'égard de la peine d’emprisonnement avec sursis d’une durée globale de 15 mois, assortie d’une probation de 2 ans, imposée par la Cour du Québec à l'appelante. Celle-ci avait été déclarée coupable de voies de fait armées, de menaces et de voies de fait à l’encontre de son beau-fils, alors âgé de 11 ans.
Les faits étaient très graves: l'appelante avait notamment giflé la victime, l'avait saisie par le bras, lui avait donné un coup de louche sur la tête ainsi que des coups de poing et des coups de pied. Armée d'un couteau, elle lui avait également fait une coupure sur la main et l'avait menacée de lui trancher tous les doigts la prochaine fois. L'agression avait laissé une cicatrice très apparente. L'appelante considérait que la juge avait erré en refusant de lui accorder une absolution. Cette prétention a été écartée par la Cour d'appel, qui a souligné que la juge n'avait pas commis d'erreur en concluant que cette mesure serait «contraire à l’intérêt public dans les circonstances où une jeune victime a subi de mauvais traitements et des voies de fait aux mains de sa belle-mère» (paragr. 13).
Jugements dans lesquels l'emprisonnement avec sursis a été écarté
Dans l'affaire R. c. Marchand, l'accusé, un homme de 27 ans, a plaidé coupable sous une accusation de conduite avec les facultés affaiblies causant la mort. Le jour de l'événement, il avait passé une partie de la journée dans un pub et y avait consommé de l'alcool. Dans l'après-midi, il avait quitté l'établissement au volant de son véhicule utilitaire sport et était entré en collision mortelle avec la voiture d'un enseignant à la retraite, alors que celui-ci effectuait un virage. La défense suggérait une peine de 2 ans moins 1 jour à purger dans la collectivité assortie de 240 heures de travaux communautaires.
Le juge Michel, de la Cour du Québec, a relevé les nombreux facteurs atténuants (remords réels et regrets sincères de l'accusé, absence d'antécédents, rapport présentenciel positif, etc.), mais a conclu qu'il ne pouvait imposer une peine à purger dans la collectivité puisqu'une telle mesure aurait été «incompatible avec les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale et de la responsabilité de l’accusé» (paragr. 40), qui sont prépondérants pour une telle infraction. Il a cependant conclu que le profil favorable de l'accusé militait «pour une peine d'emprisonnement au plus bas niveau imposée en semblable matière» (paragr. 42), soit 18 mois d'emprisonnement.
Un autre jugement de la Cour du Québec mérite que l'on s'y attarde: R. c. Martin. Dans cette affaire, l'accusé a volontairement endommagé le condom que les victimes, des travailleuses du sexe, l’avaient obligé à porter lors d’une pénétration vaginale, commettant ainsi 2 agressions sexuelles. Le tribunal n'a pas fait droit à la suggestion de la défense d'imposer une peine d’emprisonnement avec sursis. Le risque de récidive était toujours présent dans le cas de l'accusé. Ce risque n'était pas minime, et des conséquences très graves étaient susceptibles de découler d’une récidive (risque d'infections transmises sexuellement et de grossesses non désirées). Le facteur lié à la sécurité de la collectivité n'était donc pas respecté, pas plus que celui de la conformité du sursis à l’objectif et aux principes de détermination de la peine. Dans les circonstances, l'emprisonnement dans la collectivité ne représentait donc pas une peine raisonnable «qui [tenait] compte du tort causé aux victimes et à la collectivité» (paragr. 105). C'est une peine totale de 20 mois d'incarcération que le tribunal a finalement imposée.
Enfin, dans un jugement datant du 10 septembre 2024, R. c. Tremblay, la Cour du Québec a estimé qu'une peine dans la collectivité serait inappropriée à l'endroit de l'accusée, une femme de 57 ans qui avait fraudé son employeur, une petite entreprise familiale. Plus précisément, pendant 4 mois, l'accusée a utilisé la marge de crédit de la victime et frustré celle-ci de 516 639 $, somme qu'elle avait utilisée pour tenter d'éponger ses pertes résultant de sa dépendance au jeu.
Le juge Daoust s'est référé à la doctrine selon laquelle, dans le cas de fraudes d’aussi grande importance, l'emprisonnement avec sursis constituait une mesure exceptionnelle. Il a admis que, dans le cas de l'accusée, la sécurité de la collectivité ne serait sans doute pas menacée par l'emprisonnement dans la collectivité. Cependant, même si le risque de récidive était amoindri par les démarches entreprises par cette dernière et malgré plusieurs facteurs atténuants, les circonstances de l'affaire ne permettaient pas d'atteindre les autres objectifs de la peine:
[58] En fait, en raison des circonstances propres à l’affaire, des […] facteurs aggravants et principalement en raison du degré de sophistication, des conséquences sur les victimes et de la récurrence des gestes (un arrêt d’agir aurait pu survenir bien avant), une peine dans la collectivité serait inappropriée.
L'accusée a été condamnée à une peine de détention ferme de 2 ans moins 1 jour; le juge a également rendu une ordonnance de remboursement (art. 738 C.Cr.) totalisant 516 639 $.
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