Ce billet s’adresse à ceux qui aimeraient en savoir un peu plus sur le principe de «l’honneur de la Couronne» et qui se questionnent sur sa portée plutôt qu’à ceux pour qui la trilogie Nation haïda, Première nation Tlingit de Taku River et Première nation cri Mikisew n’a plus de secrets.
Après une brève présentation de ce principe constitutionnel non écrit qui régit les relations entre l’État et les peuples autochtones ainsi que des obligations qui en découlent, nous mentionnerons quelques décisions récentes afin d’en illustrer l’application. Mais, d’abord, pourquoi ne pas se pencher sur les termes mêmes de ce principe, lesquels ont une charge symbolique et forment, en quelque sorte, une métaphore?
Honneur
Qu’est-ce que l’honneur? Suivant la définition tirée du Dictionnaire de l’Académie française, l’honneur se définit ainsi: «Sentiment d’une dignité morale, estimée au plus haut, et qui porte à des actions loyales, nobles et courageuses. Les lois, les règles de l’honneur. Code de l’honneur, ensemble des règles que doit observer une personne soucieuse de sa dignité.» Quant au terme dignité, on peut lire: «valeur éminente, excellence qui doit commander le respect».
Couronne
Maintenant, de quelle «couronne» parle-t-on? D’un ornement de tête, d’une coiffe de métal destinée à réparer une dent, d’une unité monétaire, d’un avocat de la poursuite? Non! Ici, la Couronne est symbole de la puissance souveraine et, plus prosaïquement, de l’État, voire d’une société d’État.
Le principe de l’honneur de la Couronne
Dans l’arrêt charnière, Nation haïda, ce principe dont découlent plusieurs obligations est évoqué ainsi:
[17] […] Dans tous ses rapports avec les peuples autochtones, qu’il s’agisse de l’affirmation de sa souveraineté, du règlement de revendications ou de la mise en œuvre de traités, la Couronne doit agir honorablement. […]
[18] […] Lorsque la Couronne assume des pouvoirs discrétionnaires à l’égard d’intérêts autochtones particuliers, le principe de l’honneur de la Couronne donne naissance à une obligation de fiduciaire […] pour s’[en] acquitter, la Couronne doit agir dans le meilleur intérêt du groupe autochtone lorsqu’elle exerce des pouvoirs discrétionnaires à l’égard des intérêts autochtones en jeu. […]
[19] […] Lorsqu’elle conclut et applique un traité, la Couronne doit agir avec honneur et intégrité, et éviter la moindre apparence de «manœuvres malhonnêtes». […]
[20] Tant qu’un traité n’a pas été conclu, l’honneur de la Couronne exige la tenue de négociations menant à un règlement équitable des revendications autochtones […]. Les traités permettent de concilier la souveraineté autochtone préexistante et la souveraineté proclamée de la Couronne, et ils servent à définir les droits ancestraux garantis par l’art. 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. L’article 35 promet la reconnaissance de droits […]. Un processus de négociation honnête permet de concrétiser cette promesse et de concilier les revendications de souveraineté respectives. L’article 35 a pour corollaire que la Couronne doit agir honorablement lorsqu’il s’agit de définir les droits garantis par celui‑ci et de les concilier avec d’autres droits et intérêts. Cette obligation emporte à son tour celle de consulter et, s’il y a lieu, d’accommoder. [Nos soulignements.]
Plus récemment, dans Québec (Procureur général) c. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan, la Cour suprême du Canada s’est exprimée au sujet de l’objectif qui sous-tend le principe de l’honneur de la Couronne et a précisé qu’il «est celui de faciliter la réconciliation des intérêts de la Couronne et des peuples autochtones en favorisant notamment la négociation et le règlement juste des revendications autochtones» et qu’il «transcende la justice corrective qui est au cœur du droit privé pour faire place à la réparation et au maintien de la relation spéciale avec les peuples autochtones à qui des lois et coutumes d’origine européenne ont été imposées», soit une «justice axée sur la réconciliation ou justice réconciliatrice.» (paragr. 148).
[Nos soulignements.]
Elle a ajouté:
[149] […] L’honneur de la Couronne est un principe constitutionnel qui se trouve «au cœur de l’objectif de réconciliation entre la Couronne et les peuples autochtones dans le cadre d’une “relation à long terme empreinte de respect mutuel”» […]. [Nos soulignements.]
Obligation de consulter
À propos de l’obligation de consulter, la Cour suprême du Canada a récemment rappelé qu'elle:
«s’applique jusqu’à la décision définitive sur les revendications» et que «tout argument voulant que l’obligation de consulter n’entre en jeu qu’une fois les revendications de titre et de droits réglées est incompatible avec la jurisprudence de notre Cour. L’obligation de consulter pourvoit à "la protection des droits ancestraux et issus de traités" pendant que des terres ou des ressources font l’objet de revendications, et elle favorise la réalisation de "l’objectif de conciliation des intérêts des Autochtones et de ceux de la Couronne"» (paragr. 50).
De plus, elle a énuméré les 3 conditions devant être réunies pour que cette obligation prenne naissance:
- la connaissance réelle ou imputée de l’existence possible d’un droit ou titre ancestral;
- une mesure envisagée par la Couronne;
- et un effet préjudiciable potentiel sur le droit invoqué (paragr. 52).
Illustrations jurisprudentielles
Innus de Uashat et de Mani-Utenam c. Hydro-Québec: développement d’un projet hydroélectrique
En janvier dernier, la Cour supérieure a tranché que, dans le contexte du projet hydroélectrique de la Romaine, Hydro-Québec, à titre de mandataire de l’État -- la Couronne provinciale --, avait notamment manqué au principe de l'honneur de la Couronne et fait preuve de mauvaise foi institutionnelle. Elle a jugé que les demandeurs avaient droit à des dommages-intérêts pour le préjudice subi et elle a condamné la société d’État à payer 5 millions de dollars.
De plus, la Cour supérieure a déclaré nulle l'entente de principe intervenue entre les parties, notamment parce qu’une étape importante n’avait pas été accomplie par Hydro-Québec, soit de la transmettre à son conseil d'administration comme convenu, un manquement contrevenant à l'un des principes des relations entre la Couronne et les peuples autochtones, puisque alors cette dernière ne s'est pas acquittée d'une promesse.
Québec (Procureur général) c. Pekuakamiulnuatsh Takuhikan: ententes tripartites visant le maintien d’un corps de police autochtone
Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a rejeté, avec dissidence, un arrêt de la Cour d'appel du Québec ayant infirmé un jugement de la Cour supérieure. La Cour suprême a indiqué que les ententes tripartites intervenues entre les gouvernements du Canada et du Québec et un conseil de bande afin de permettre notamment à une communauté autochtone d'établir et de maintenir un corps de police autochtone devaient être qualifiées de contrats mettant en jeu l'honneur de la Couronne et que les dommages-intérêts devaient être déterminés à l'aide d'une analyse axée sur la justice réconciliatrice, de manière à s'assurer que l'ordonnance rendue aura pour effet de rétablir cet honneur. La Cour suprême a d’ailleurs tenu à faire cette mise en garde: «Il est attendu que, à l’avenir, le Québec se comporte de façon honorable dans l’exécution d’ententes similaires, suivant les principes établis dans ce jugement» (paragr. 236).
Première Nation des Innus Essipit c. Dufour (Procureur général du Québec): protection du caribou
Dans cette affaire, la Cour supérieure a jugé que le gouvernement du Québec avait manqué, envers les Premières Nations demanderesses, à son obligation de consultation au sujet de la stratégie qu'il désirait mettre en place pour protéger le caribou forestier et le caribou montagnard et que ce manquement était toujours en cours.
Elle a ordonné la mise en place d’un processus distinct de consultation en lien avec l'élaboration et la mise en œuvre de cette stratégie, tout en précisant que, une fois le processus achevé, il serait alors possible de déterminer si des accommodements devaient être prévus afin d’éviter un préjudice irréparable ou de réduire les conséquences d’une atteinte aux droits revendiqués.
Conclusion
Le principe de l’honneur de la Couronne et son application récente illustrent bien le caractère évolutif du droit. S’appuyant sur le passé, il accompagne la société qui est en perpétuelle transformation, mais il la guide aussi et l’éclaire, d’une certaine manière, afin qu’elle tende, dans son ensemble, vers un idéal de justice que nous devrions tous souhaiter atteindre, particulièrement envers les peuples autochtones.
Les auteurs du Blogue ne peuvent donner d'opinion ni de conseil juridique relativement aux situations personnelles des lecteurs.
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