Par Me Bianka Savard-Lafrenière, avocate
Administratrice de l'AACQ

Le 14 mars dernier, la Cour suprême rendait une décision où elle analysait la norme de preuve qui devait être applicable en matière disciplinaire provinciale. La norme utilisée jusqu’à maintenant était celle de la prépondérance des probabilités (50 % + 1).

La John Howard Society of Saskatchewan (JHS) demandait de déclarer inopérant l’article prévoyant ce fardeau de preuve, au motif qu’il contrevenait aux articles 7 et 11 d) de la Charte canadienne des droits et libertés.

Inégalité quant aux normes de preuve provinciales et fédérales

Alors que, comme mentionné précédemment, les détentions provinciales appliquaient la norme de la prépondérance des probabilités lors des comités de disciplines, la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoyait quant à elle un fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable.

Il existait donc, pour les mêmes infractions commises à l’intérieur d’un milieu correctionnel, 2 normes de preuve, dont l’application dépendait de la durée de la peine de la personne incarcérée. Au surplus, l’isolement disciplinaire n’est plus possible au niveau fédéral, ayant été aboli en 2019. Ainsi, les sanctions étaient beaucoup plus sévères au niveau provincial, pour une norme de preuve moins exigeante.

Déroulement des procédures

Il faut d’abord préciser que le recours attaquait plus précisément 2 sanctions disciplinaires, soit celle de l’isolement disciplinaire et de la perte de réduction de peine méritée. L’isolement disciplinaire est l’isolement en cellule 23 heures sur 24, que ce soit dans un secteur de vie différent du sien ou non. Pour ce qui est de la perte de réduction de peine méritée, il faut d’abord expliquer que la réduction de peine est calculée à raison de 1 jour de réduction de peine pour 2 jours d’emprisonnement, jusqu’à concurrence du tiers de la peine. Ainsi, la perte de ces jours fait en sorte que la libération probable d’une personne, soit les deux tiers de la peine, soit retardé.

Déboutée en première instance puis en appel concernant l’argument initial qu’il y avait atteinte à l’article 7 de la charte, JHS a demandé à la Cour suprême d’introduire une nouvelle question portant sur l’atteinte à l’article 11 d) de la charte.

Élément plutôt inhabituel, en soumettant sa nouvelle question, JHS demandait à la plus haute cour du pays d’infirmer une décision qu’elle avait précédemment rendue, soit l’arrêt R. c. Shubley. Cette décision avait déjà édicté que l’isolement disciplinaire et la perte de réduction de peine méritée ne faisaient pas intervenir l’article 11 d), car cela n’équivalait pas à de l’emprisonnement.

À la suite de son analyse, la Cour suprême a effectivement renversé sa décision et conclu que les sanctions disciplinaires équivalaient à de l’emprisonnement. Il y avait donc violation de l’article 11 d) de la charte. Elle a aussi déterminé que la présomption d’innocence garantie par l’article 7 exige que les infractions disciplinaires soient prouvées hors de tout doute raisonnable. Il y avait donc aussi violation de l’article 7 de la charte. Ces violations ne pouvaient être sauvegardées par l’article premier.

Dissidence

Même si la majorité a rendu une décision en faveur de JHS, il y avait tout de même une dissidence composée de 3 juges, qui eux auraient confirmé les décisions des instances inférieures. En effet, les juges dissidents concluaient qu’on ne devait pas renverser l’arrêt Shubley. Il n’y avait donc pas d’atteinte à l’article 11 d) ni à l’article 7 de la charte.

Les effets concrets de cette décision

Dans la pratique du droit carcéral, cette décision change bien des choses, tant pour les avocats que pour les divers intervenants du milieu correctionnel.

Les comités de disciplines ont été suspendus pendant une courte période afin de permettre au ministère de la Sécurité publique de déterminer la lignée qu’elle allait prendre ainsi que de pouvoir transmettre ses directives aux différents établissements de détention.

Depuis la reprise des comités de discipline, la norme de preuve applicable est maintenant celle hors de tout doute raisonnable. Cependant, dans la pratique, le fardeau de cette norme de preuve leur est abstrait. Puisque les membres du comité ne sont pas juristes, ils ne l’ont jamais appliquée. Quand un juré doit appliquer cette norme lors d’un procès devant jury, il reçoit beaucoup d’indications du juge.

Ainsi, bien que la norme de preuve soit maintenant plus adaptée, il n’en reste pas moins que du chemin reste encore à faire quant à l’application adéquate de celle-ci. Notamment, l’instruction provinciale qui précise le processus disciplinaire devra être réécrite en partie. Il sera important de rester à l’affût des différents changements qui auront lieu dans les prochains mois!