Le 28 avril prochain sera jour d'élection au Canada. Cet événement important aura-t-il pour conséquence d'occulter le fait que cette même date est celle de la Journée mondiale de la santé et de la sécurité au travail, dont le thème portera cette année sur le rôle de l'intelligence artificielle et de la numérisation au travail?
Le 28 avril est également une journée de commémoration des personnes blessées ou décédées à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Comme le souligne notamment le Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail, cette journée est «l’occasion de renouveler collectivement notre engagement à améliorer la santé et la sécurité au travail et à prévenir la survenue d’autres blessures, maladies et décès».
En matière de santé et sécurité au travail, les métiers à risque, les métiers physiquement exigeants ou encore les métiers de la construction, pour ne nommer que ceux-là, et les décisions rendues par les tribunaux judiciaires ou administratifs dans certains dossiers touchant ces métiers retiennent sans doute davantage l'attention des médias.
À titre d'exemple, au cours des derniers mois, il a notamment été question d'une décision dans laquelle le Tribunal administratif du travail (TAT), après avoir constaté que la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) dérogeait à plusieurs des obligations que lui impose l'article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) et mettait en danger la santé, la sécurité et l'intégrité physique et psychologique des contrôleurs routiers, ordonnait à la SAAQ de suspendre l'exécution des interventions non planifiées sur les routes.
Une décision de la Cour du Québec ayant déclaré une entreprise spécialisée dans le montage et le démontage de systèmes d'échafaudages coupable d'une infraction à l'article 237 LSST à la suite d'un accident survenu lors de l'effondrement d'un échaudage d'une hauteur de 39 mètres ayant entraîné le décès de 2 travailleurs ainsi que plusieurs blessés a également fait l'objet d'une couverture médiatique.
Enfin, on rapportait, dans un reportage de TVA Nouvelles, une autre décision de la Cour du Québec ayant condamné à une peine de 55 343 $ un employeur qui avait plaidé coupable, en tant que maître d'œuvre, d'avoir contrevenu à l'article 237 LSST lors de l'exécution de travaux de maçonnerie, et ce, en omettant de fournir un bâtiment sécuritaire. Les 3 maçons qui se trouvaient au troisième étage de ce bâtiment avaient été emportés par l'effondrement soudain de celui-ci et avaient été gravement blessés.
À l'opposé, des conditions de travail susceptibles d'affecter la santé ou le bien-être des employés sont souvent invisibilisées, comme celles des caissières et des caissiers des commerces de détail qui travaillent en position debout.
Dans un article paru au mois de février dernier, l'autrice mentionne que «[d]epuis des années, des caissières réclament le droit de pouvoir s'appuyer au besoin pendant leur quart de travail pour éviter les blessures». Cependant, pour de nombreux employeurs, «l'utilisation d'un banc assis-debout nuirait à l'image professionnelle des caissières». L'autrice fait par ailleurs état des résultats d'une enquête menée par Léger auprès de 1 011 Québécois du 6 au 8 décembre 2024, desquels il ressort notamment que «près de 86 % des consommateurs québécois estiment qu'un préposé de caisse devrait avoir le choix de pouvoir s'appuyer ou de rester debout».
Or, à la lecture de cet article, j'ai pensé qu'il était dommage que l'autrice, qui rapporte les doléances de certains employés de caisse quant à la posture de travail, ne mentionne pas du même coup l'existence des dispositions légales portant sur des mesures ergonomiques particulières qui sont prévues dans le Règlement sur la santé et la sécurité du travail adopté en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. À cet égard, l'article 170 du règlement prévoit que «[d]es chaises ou des bancs doivent être mis à la disposition des travailleurs lorsque la nature de leur travail le permet». En traitant des conditions de travail des employés de caisse sans évoquer le fait que leurs doléances peuvent par ailleurs être supportées par des dispositions légales, ne prive-t-on pas celles-ci d'une part de légitimité?
Bien peu de décisions portent sur l'interprétation ou l'application de l'article 170 du règlement, et le but n'est pas ici d'en faire une revue.
Dans un billet publié il y a quelques années, je discutais d'une décision du TAT ayant interprété l'article du règlement. Dans cette affaire, qui portait sur l'obligation de l'employeur de mettre des bancs à la disposition des caissières et des libraires de l'une de ses succursales, le TAT soulignait notamment «que l’article 170 […] n’a pas pour objet de donner des bancs quand la nature du travail l’exige, mais quand il le permet. Ces derniers termes plaident en faveur d'une interprétation large de cette obligation et n’imposent pas une obligation de démontrer un risque ou un danger pour la santé pour que le règlement soit appliqué» (paragr. 49). La Cour supérieure a jugé que l'interprétation retenue par le TAT était raisonnable.
Le TAT s'est également prononcé sur l'interprétation et l'application de l'article 170 du règlement dans Société des Casinos du Québec, affaire dans laquelle il a ordonné à l'employeur de mettre des bancs à la disposition des préposés aux jeux vidéo aux tables de blackjack. Le TAT y souligne notamment que cet article n'est pas subordonné aux droits de direction de l'employeur. Selon lui, «laisser à l’employeur la discrétion de mettre à la disposition des travailleurs des bancs et des sièges rendrait obsolète le critère selon lequel la présence de bancs ou de sièges dépend de la nature du travail exercé.» (paragr. 36).
Les auteurs du Blogue ne peuvent donner d'opinion ni de conseil juridique relativement aux situations personnelles des lecteurs.
Consultez un avocat ou un notaire pour obtenir des réponses appropriées à votre situation : visitez la Boussole juridique pour trouver des ressources gratuites ou à faible coût.