Sanctionnée et entrée en vigueur le 4 décembre 2024, la Loi visant à contrer le partage sans consentement d’images intimes et à améliorer la protection et le soutien en matière civile des personnes victimes de violence a entraîné la modification de plusieurs lois en droit du travail afin d’y inclure une présomption de non-pertinence de certains éléments de preuve. C’est notamment le cas du nouvel article 100.9.1 du Code du travail (C.tr.), dont le libellé est identique au nouvel article 2858.1 du Code civil du Québec, lequel a récemment fait les manchettes dans le contexte de l’affaire Rozon.
L’article 100.9.1 C.tr.
Cette nouvelle disposition stipule que:
100.9.1. Malgré toute règle de preuve, lorsqu’une affaire comporte des allégations de violence à caractère sexuel ou de violence conjugale, sont présumés non pertinents:
1 tout fait relatif à la réputation de la personne prétendue victime de la violence;
2 tout fait lié au comportement sexuel de cette personne, autre qu’un fait de l’instance, et qui est invoqué pour attaquer sa crédibilité;
3 le fait que cette personne n’ait pas demandé que les gestes, pratiques, paroles, comportements ou attitudes cessent;
4 le fait que cette personne n’ait pas porté plainte ni exercé un recours relativement à cette violence;
5 tout fait en lien avec le délai à dénoncer la violence alléguée, sauf pour démontrer l’existence ou l’absence d’un motif raisonnable pour prolonger un délai ou pour relever ou non une personne des conséquences de son défaut de le respecter;
6 le fait que cette personne soit demeurée en relation avec l’auteur allégué de cette violence.
L’article 209 du Code de procédure civile (chapitre C-25.01) s’applique à tout débat relatif à la recevabilité en preuve d’un tel fait. Un tel débat se tient à huis clos, malgré l’article 23 de la Charte des droits et libertés de la personne (chapitre C-12).
[Nos soulignés.]
Comme nous le verrons dans le cas d’application examiné ci-dessous, la présomption de non-pertinence de la preuve est simple et peut être repoussée.
L’affaire Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Saguenay--Lac-Saint-Jean (CIUSSS – Saguenay – Lac-Saint-Jean)
Le plaignant a été suspendu 30 jours et s’est vu retirer sa classification supérieure d’assistant infirmier-chef après qu’une firme externe eut conclu qu’il avait harcelé sexuellement une collègue. L’employeur lui reprochait notamment d’avoir échangé des messages texte à connotation sexuelle avec sa collègue, d’avoir commis des attouchements sexuels sur les lieux du travail et d’avoir eu une relation sexuelle au domicile de cette dernière. Pour l’employeur, le plaignant avait abusé de son autorité envers sa collègue, qui n’avait donc pu consentir de manière libre et volontaire aux gestes reprochés.
Devant l’arbitre de griefs, le syndicat affirmait qu’il n’y avait pas eu de harcèlement sexuel et donc de faute sanctionnable puisque la relation entre le plaignant et sa collègue était consensuelle. Au soutien de ses prétentions, le syndicat invoquait notamment le fait que la collègue du plaignant était l'instigatrice des rapprochements, parlait ouvertement de sa sexualité, avait eu une relation avec un autre salarié et faisait des blagues à connotation sexuelle.
À première vue, ces faits étaient visés par la présomption de non-pertinence énoncée à l’article 100.9.1 C.tr.
Dans sa décision, l’arbitre a souligné que la partie qui veut introduire un fait présumé non pertinent doit démontrer que «l’objectif poursuivi par la preuve vise une fin légitime et qu’elle ne servira pas à appuyer un argument fondé sur les mythes et stéréotypes ciblés par le nouvel article, ou qu’elle a pour but de permettre au Tribunal d’appréciation la fiabilité d’un témoignage, notamment, en présence de versions contradictoires» (paragr. 100).
Dans ce cas-ci, le syndicat a réussi à repousser la présomption en démontrant que les faits qu’il voulait mettre en preuve étaient un fait de l’instance permis par le paragraphe 2 de l’article 100.9.1 C.tr., qu’ils n’avaient pas de lien avec les mythes et stéréotypes visés par cette disposition ou qu’ils servaient à contredire la collègue du plaignant.
Dans son analyse, l’arbitre a précisé que l’«[u]ne des particularités du présent dossier est que [l’employeur reproche au plaignant], dans la mesure disciplinaire, ses discussions à connotation sexuelle et intrusives avec [sa collègue] par messages textes» (paragr. 110). Le comportement sexuel de la collègue du plaignant, dont il était question dans les messages texte reprochés par l’employeur, faisait donc partie des faits intrinsèques à l’instance.
La preuve du syndicat ayant été jugée recevable, l’arbitre a conclu que «les propos et le comportement de [la collègue du plaignant tendaient] à démontrer qu’elle consentait aux messages textes, aux attouchements, mais aussi à la relation sexuelle, et ce, sans contrainte» (paragr. 169).
L’arbitre a également conclu que la fonction supérieure du plaignant ne suffisait pas pour conclure à «l’existence d’un rapport inégal ayant eu un impact sur le consentement de [sa collègue]» (paragr. 200). Le plaignant s’était d’ailleurs assuré du consentement de sa collègue à chacune de leurs activités et discussions de nature sexuelle.
Estimant que la collègue du plaignant avait consenti aux gestes reprochés par l’employeur, l’arbitre a conclu que le harcèlement sexuel n’avait pas été démontré. En l’absence de faute, la suspension disciplinaire et le retrait de la classification supérieure du plaignant ont été annulés.
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