«Sois belle et tais-toi !» ? Le silence sert bien le harceleur sexuel. Sa victime, elle, ne prend pas toujours des traits féminins… Cette expression ne trouve pas écho chez le législateur québécois. En effet, des recours sont prévus à la Charte des droits et libertés de la personne et à la Loi sur les normes du travail (L.N.T.). Voici un bref aperçu.
La Charte des droits et libertés de la personne
Dans une affaire très récente, Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gomez, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) a déposé un recours devant le Tribunal des droits de la personne en faveur d’une interprète de danse contemporaine ayant conclu un contrat avec une compagnie de danse afin d’accompagner une troupe en Europe. Elle s’est plainte de harcèlement sexuel de la part d’un collègue, un directeur technique, invoquant notamment l’article 10.1 de la charte.
Plusieurs questions intéressantes se posaient, mais je veux simplement exposer les critères qui ont été retenus par le Tribunal afin de décider du harcèlement sexuel prévu à l’article 10.1 de la charte.
10.1. «Nul ne doit harceler une personne en raison de l'un des motifs visés dans l'article 10.»
Cette disposition s’applique non seulement au travail, mais également de façon générale. De plus, le sexe fait partie de l’un des motifs de discrimination illicites prévus à l’article 10.
Le Tribunal mentionne d’abord l’arrêt Janzen c. Platy Enterprises Ltd., rendu par la Cour suprême en 1989, qui demeure la référence selon lui. La Cour suprême y a défini le harcèlement sexuel au travail comme étant :
- une conduite de nature sexuelle
- non sollicitée
- qui a un effet défavorable sur le milieu du travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d’emploi pour les victimes de harcèlement.
Le Tribunal ajoute que le critère de la conduite non sollicitée a été précisé ainsi par la juge Deschamps, de la Cour d’appel, dans l’arrêt Habachi c. Commission des droits de la personne :
«Tout en écartant la motivation du harceleur ou son intention, les faits reprochés doivent pouvoir être objectivement perçus comme non désirables». Elle mentionne également que la répétition du geste reproché n’est pas un facteur essentiel de harcèlement sexuel au travail.
Le juge Baudouin ajoute qu’un seul acte, à condition qu’il soit grave et produise des effets continus dans l’avenir, peut constituer du harcèlement.
Application aux faits
À la lumière de ces critères, le Tribunal a conclu que le collègue de travail de cette danseuse, qui l’avait maintenue dans une position de confinement sur un lit pendant une période de 10 à 15 minutes même si elle s’était débattue, qui avait remonté la serviette enroulée autour d’elle jusqu’à la cuisse alors qu’elle était nue et qui l’avait embrassée dans le cou en rigolant même si elle lui avait manifesté son refus à plusieurs reprises, avait commis du harcèlement sexuel à son égard.
Cet incident, bien qu’il ne soit survenu qu’une seule fois, a été considéré comme grave et a eu des effets défavorables ou préjudiciables en matière d’emploi. En effet, par la suite, la plaignante s’est sentie mal à l’aise de danser nue à l’occasion de la chorégraphie pour laquelle elle avait été engagée, prestation qui devait nécessairement être faite devant ce collègue.
Au surplus, le fait que l’agression se soit produite le soir, dans l’appartement où logeaient, tous deux, l’interprète en danse contemporaine (la victime) et son collègue (le harceleur), n’a pas empêché le Tribunal de conclure que les gestes reprochés avaient eu lieu dans le contexte du travail.
Ce collègue a été condamné à payer à la plaignante 5 000 $ à titre de dommages moraux.
La Loi sur les normes du travail
D’autre part, la Loi sur les normes du travail crée un recours pour la victime et prévoit des obligations pour l’employeur aux articles 81.18, 81.19, 81.20, 123.7, 123,15 et 123.16. Ce sont des dispositions d’ordre public qui s’appliquent à tous les salariés, qu’ils soient syndiqués ou non, et même aux cadres supérieurs. Voici un bref aperçu de ces dispositions.
La notion de «harcèlement sexuel» est incluse dans celle de «harcèlement psychologique» et doit satisfaire aux mêmes conditions (A et Compagnie A). Selon l’article 81.18 L.N.T., pour conclure à du harcèlement psychologique, les gestes reprochés doivent correspondre à :
- une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés,
- qui sont hostiles ou non désirés,
- laquelle porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique du salarié et
- qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.
Il est à noter que cette disposition ajoute qu’«[u]ne seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié».
L’article 81.19 L.N.T. énonce un droit pour le salarié «à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique» et crée une obligation pour l’employeur de «prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu'une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser».
En vertu de l’article 123.6 L.N.T., «[l]e salarié qui croit avoir été victime de harcèlement psychologique peut adresser, par écrit, une plainte à la Commission [des normes du travail]», qui, elle, fera enquête. Si elle accepte de donner suite à la plainte, elle la déférera sans délai à la Commission des relations du travail (CRT) par l’application de l’article 123.12 L.N.T. En cas de refus, le salarié peut demander lui-même que sa plainte soit déférée à la CRT (art. 123.9 L.N.T.).
La CRT peut rendre toute décision qui lui paraît juste et raisonnable en vertu de l’article 123.15 L.N.T., notamment «ordonner à l'employeur de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement».
Notion de «harcèlement psychologique» : précision de la Cour d’appel
Dans l’affaire Centre de réadaptation en déficience intellectuelle du Saguenay—Lac-St-Jean (CRDI) c. Fortier, des dénonciations avaient été faites à l’employeur par sept femmes qui se disaient avoir été victimes de harcèlement sexuel à un moment donné ou à un autre de la part d’un collègue, un auxiliaire aux services de santé et sociaux affecté au quart de nuit, pendant une période de quatre ou cinq ans.
L’employeur a réagi et a imposé un congédiement à ce salarié.
Le harceleur a contesté son congédiement par le dépôt d’un grief. Or, l’arbitre de griefs a annulé le congédiement parce que, selon lui, chacune des présumées victimes, prise individuellement, n’avait pas établi de harcèlement sexuel au sens de l’article 81.18 L.N.T.
La Cour d’appel a cassé la décision de l’arbitre de griefs, déclarant que sa démarche était erronée. Elle a précisé la notion de «harcèlement psychologique» et a établi que le «harcèlement» auquel fait référence l'article 81.18 L.N.T. ne se limite pas à la situation où une ou plusieurs victimes, prises individuellement, ont subi des gestes vexatoires répétitifs. Il comprend aussi la conduite d'un prétendu harceleur qui, successivement, porte atteinte à plusieurs victimes, même si chacune d'elles n'a pas nécessairement fait l'objet, individuellement, de gestes vexatoires répétés.
Quelques exemples de harcèlement sexuel
- Des propos vulgaires à connotation sexuelle tenus de façon répétée, A et Ma garderie à moi inc.
- Gestes et utilisation d’un cellulaire pour photographier des parties intimes; suggestion de relations sexuelles; position inappropriée, Drummondville (Ville de) et Alliance de la fonction publique du Canada
Rire d’un tel comportement sans intervention équivaut à une faute par omission, Drummondville (Ville de) et Alliance de la fonction publique du Canada
Propos déplacés à connotation sexuelle à plusieurs reprises et toucher les cheveux et la nuque, Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 2907 et Nominingue (Municipalité de)
- Tout attouchement sexuel non désiré, A et BMS Groupe Finance
- Blagues grivoises et plaisanteries, Purolator Courrier ltée et Teamsters Québec, section locale 931 ; Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (TCA-Canada) et TEVA Canada (Ratiopharm) inc.; Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, section locale A et Compagnie A.
Obligations de l’employeur
L’employeur est bien avisé d’avoir une politique de «tolérance zéro» en matière de harcèlement et de la porter à la connaissance de tous les salariés. D’ailleurs, en plus de constituer un moyen raisonnable d’assurer un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique, la jurisprudence considère que l’existence d’une telle politique est un facteur qui aggrave le comportement répréhensible du harceleur.
L’employeur a également, en vertu de ses droits de direction, un pouvoir de sanction. Il a été rappelé par la jurisprudence que l’exercice de ce pouvoir, selon les circonstances, constitue l’un des moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement et vise à assurer un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique. L’employeur peut démontrer, comme dans l’affaire Centre de réadaptation en déficience intellectuelle Saguenay–Lac-St-Jean, qu’imposer un congédiement ou toute autre mesure disciplinaire contribue à satisfaire à son obligation légale prévue à l’article 81.19 L.N.T.
«Sois belle et tais-toi ?» Non, la Belle ou le Beau ne sont pas condamnés à se taire… bien au contraire !
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