Mois de mars, mois de la Journée internationale de la femme. Je profite de l’occasion pour faire un survol des dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) relatives au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite. Et pour en rappeler le but. Je discuterai également d’une décision rendue récemment par la Division de la santé et de la sécurité du travail du Tribunal administratif du travail (TAT) en la matière.
Les dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité du travail applicables
Cette «Loi établit un cadre général de droits en matière de santé et de sécurité et donne aux travailleurs les outils nécessaires pour se prévaloir de ces droits en toute sécurité et en toute confiance» (Dionne c. Commission scolaire des Patriotes, paragr. 26).
C’est ce que la Cour suprême rappelait dans un important arrêt concernant une enseignante suppléante enceinte qui s’était retirée d’un lieu de travail dangereux en raison des risques pour elle et son enfant à naître.
La travailleuse enceinte ou qui allaite a « le droit de travailler sans danger ou d’être immédiatement affectée à d’autres tâches ne comportant pas de dangers et qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir» (le gras est de moi) (Québec, Commission de la santé et de la sécurité du travail, Programme Pour une maternité sans danger, Québec, la Commission, 2015, p. 2).
Il s’agit du droit prévu aux articles suivants de la loi :
- Une travailleuse enceinte qui fournit à l’employeur un certificat attestant que les conditions de son travail comportent des dangers physiques pour l’enfant à naître ou, à cause de son état de grossesse, pour elle-même, peut demander d’être affectée à des tâches ne comportant pas de tels dangers et qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir.
La forme et la teneur de ce certificat sont déterminées par règlement et l’article 33 s’applique à sa délivrance.
- Si l’affectation demandée n’est pas effectuée immédiatement, la travailleuse peut cesser de travailler jusqu’à ce que l’affectation soit faite ou jusqu’à la date de son accouchement.
On entend par «accouchement», la fin d’une grossesse par la mise au monde d’un enfant viable ou non, naturellement ou par provocation médicale légale.
- Une travailleuse qui fournit à l’employeur un certificat attestant que les conditions de son travail comportent des dangers pour l’enfant qu’elle allaite peut demander d’être affectée à des tâches ne comportant pas de tels dangers et qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir.
La forme et la teneur de ce certificat sont déterminées par règlement et l’article 33 s’applique à sa délivrance.
- Si l’affectation demandée n’est pas effectuée immédiatement, la travailleuse peut cesser de travailler jusqu’à ce que l’affectation soit faite ou jusqu’à la fin de la période de l’allaitement.
(Le gras est de moi.)
Lorsqu’une travailleuse enceinte ou qui allaite exerce le droit que ces articles lui accordent, elle conserve tous les avantages liés à l’emploi qu’elle occupait avant son affectation à d’autres tâches ou avant son retrait du travail. Une fois que l’affectation ou le retrait du travail a pris fin, l’employeur doit réintégrer la travailleuse dans son emploi régulier. C’est en substance ce que prévoient les dispositions de l’article 43 LSST.
Le but visé
Le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite constitue une mesure de prévention qui a d’abord pour but de permettre à la travailleuse, qui est par ailleurs apte au travail et disponible pour une affectation, de poursuivre ses activités professionnelles de façon sécuritaire – sans danger pour elle ou son enfant à naître, ou pour l’enfant qu’elle allaite.
L’objectif premier de l’exercice de ce droit n’est donc pas que la travailleuse cesse de travailler. Elle pourra cependant arrêter temporairement de le faire si elle n’est pas affectée à des tâches qui ne comportent pas les dangers mentionnés au certificat qu’elle doit fournir à son employeur. Elle sera alors indemnisée conformément aux dispositions de l’article 36 LSST.
À cet égard, revenons un instant aux propos de la Cour suprême dans Dionne, qui s’exprimait alors plus particulièrement sur le retrait préventif de la travailleuse enceinte :
[27] […] le législateur a en outre ajouté [à la LSST] des mesures de sauvegarde pour répondre spécifiquement aux préoccupations des femmes enceintes en ce qui a trait à la santé et à la sécurité. […] Ces droits ont été conçus pour permettre aux travailleuses enceintes de continuer à travailler ou, si aucun autre lieu de travail sécuritaire n’est disponible, d’empêcher qu’elles soient pénalisées sur le plan pécuniaire […].
La Cour soulignait en outre cet aspect important :
[29] Le retrait préventif s’applique dans le contexte du régime plus large de santé et de sécurité établi par la Loi qui donne aux travailleuses la sécurité de refuser un travail dangereux. En assurant la sécurité financière et la sécurité d’emploi à une travailleuse dont le lieu de travail est dorénavant dangereux en raison de sa grossesse, la Loi évite à la travailleuse enceinte d’avoir à choisir entre son emploi (et son revenu) d’une part, et sa santé et celle de son enfant à naître, d’autre part […].
Regard sur une récente décision du TAT : Brisson et Atelier d’usinage Cormier & Frères
Cette décision est intéressante, notamment en raison de l’une des questions auxquelles le TAT devait répondre, à savoir :
[39] La Commission pouvait-elle mettre fin aux indemnités de remplacement du revenu versées à la travailleuse en alléguant la vente d’une partie de l’entreprise où elle travaillait et la fin de son lien d’emploi avec l’employeur?
Dans cette affaire, la travailleuse, qui exerçait le métier de machiniste, avait bénéficié du programme Pour une maternité sans danger (PMSD) en 2015 alors qu’elle était enceinte. Peu avant la date prévue pour son retour au travail le 12 mai 2017, elle avait avisé son supérieur qu’elle présenterait une demande en vue de bénéficier du PMSD pendant la période d’allaitement.
Dans une décision rendue le 2 juin 2017, la CNESST a d’abord conclu que la travailleuse était admissible au PMSD. En juillet, elle a cependant déclaré que la travailleuse n’était plus admissible à ce programme et qu’elle n'avait plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu (IRR).
Pourquoi ce revirement? Parce que, selon les informations que la CNESST avait reçues, la travailleuse n’avait plus de lien d'emploi avec l'employeur, l'atelier d'usinage où elle travaillait ayant été vendu le 1er juin 2017.
La CNESST a par la suite reconsidéré la décision de juillet, invoquant une erreur quant à la date de la vente de l'atelier, qu’elle situait plutôt au 1er mai 2017.
Le TAT a d’abord retenu que, même si la Loi sur la santé et la sécurité du travail, contrairement à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), ne prévoit pas de disposition permettant à la CNESST de reconsidérer une décision qu’elle a rendue, cette distinction ne l’empêche pas de le faire.
L’article 36 LSST comporte un renvoi à la LATMP pour ce qui est du droit à l’IRR. Appliquant le raisonnement développé dans une autre affaire (portant sur un autre article de la LATMP), le TAT a conclu que, en raison de ce renvoi, l’article 365 LATMP, relatif à la reconsidération d’une décision par la CNESST, pouvait trouver application. Or, la décision de la CNESST reconsidérant celle rendue en juillet 2017 respectait les conditions prévues à cet article. Elle était donc régulière.
Sur le fond, le TAT n’a toutefois pas donné raison à la CNESST.
Appliquant le même raisonnement relatif au renvoi prévu à l’article 36 LSST, le TAT a également eu recours à une disposition de la LATMP afin de déterminer si la CNESST pouvait mettre fin à l’IRR versée à la travailleuse en alléguant la vente d’une partie de l’entreprise où elle travaillait et la fin de son lien d’emploi avec l’employeur.
Sur ce point, il a appliqué l’article 34 LATMP. Cet article énonce que «le nouvel employeur assume les obligations qu’avait l’ancien employeur, en vertu de la présente loi, à l’égard du travailleur».
Le TAT a conclu que, en raison de la vente de l’atelier d’usinage, le nouvel employeur assume les obligations qu’avait l’ancien employeur à l’égard de la travailleuse. Il a constaté que, même si l’employeur avait vendu une partie de son entreprise le 1er mai 2017, il n’avait jamais été question de la fin d’emploi de la travailleuse en raison d’un manque de travail, tant chez l’ancien que chez le nouvel employeur.
De l’avis du TAT, la preuve révélait en fait «une certaine exaspération de la part de [l’employeur] de voir que la travailleuse a bénéficié d’un premier arrêt de travail en raison d’un retrait préventif de la travailleuse enceinte» (paragr. 48).
Ce qui l’a amené à s’exprimer ainsi :
[49] Or, même si le Tribunal peut comprendre la position de l’employeur, il y a lieu de tenir compte de l’enseignement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dionne c. Commission scolaire des Patriotes au sujet du programme PMSD. En effet, la Cour rappelle que le législateur a décidé d’adopter des dispositions législatives s’adressant spécifiquement aux travailleuses enceintes ou qui allaitent. Ces dispositions les protègent si elles sont exposées à des dangers menaçant leur santé ou celle de l’enfant à naître et elles leur assurent aussi une sécurité financière et une sécurité d’emploi. […]
Le TAT a retenu que le lien d’emploi de la travailleuse avec l’ancien employeur n’avait pas été rompu. Dès lors, la travailleuse était admissible à des prestations puisqu’elle satisfaisait à toutes les conditions liées au PMSD.
Conclusion
La protection législative que constitue le droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite est en vigueur depuis plus de 35 ans. Selon les milieux, ce droit a suscité des réactions opposées.
Pour ma part, j’ai envie de vous laisser sur ces mots (Romaine Malenfant et Madeleine Blanchet, «Le droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite : à la recherche d’un consensus», (1993) 25 no 1 Sociologie et sociétés 61, 73) :
Plus qu’une réforme de l’organisation du travail, la politique de santé et de sécurité des travailleurs traçait, à son origine un projet de société qui soutenait que «l’économie qui prétendrait encore faire passer l’homme après les machines serait vouée à l’échec» […]. Le défi est grand et, dans ce cas-ci, le défi de ne pas faire porter uniquement par les femmes les coûts sociaux, professionnels et économiques de la maternité concerne la société québécoise tout entière.
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