Le Tribunal administratif du travail, Division de la santé et de la sécurité du travail (TAT-SST), a récemment été saisi de la demande de rejet sommaire d’un employeur qui prétendait que les contestations du travailleur en cause étaient dilatoires puisqu’elles duraient depuis 2010 et qu’elles faisaient systématiquement l’objet de remises. En outre, l’employeur alléguait que les procédures du travailleur paralysaient le processus judiciaire, qu’elles étaient condamnées à une impasse procédurale à perpétuité, que la preuve était insuffisante et que le tout allait à l’encontre d’une saine administration de la justice.

Après avoir rappelé que le rejet sommaire «constitue un jugement préliminaire sur les revendications d’une partie» (paragr. 74), le juge saisi de l’affaire a tenu a préciser que: «si ce jugement a pour caractéristique d’être hâtif, c’est-à-dire qu’il n’accède pas le fond des prétentions de celle-ci, il est juste de dire que les considérations qui alimentent une telle décision n’ont rien de sommaire, bien au contraire» (paragr. 74).

Droit applicable

Le juge a d’abord rappelé que le rejet sommaire existait principalement en vertu de l’article 9 paragraphe 1 de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail. Il a précisé que, au sens de cet article, la conduite d’un dossier devait être qualifiée d’abusive ou de dilatoire afin de donner ouverture au rejet sommaire, soit des concepts alternatifs et non cumulatifs.

Il a en outre mentionné qu’il s’agissait d’un pouvoir «exercé plus régulièrement en matière de relations de travail» (paragr. 68). Expliquant que, s’il est plutôt rare de voir le TAT se prononcer sur une telle requête en matière de santé et de sécurité du travail, c’est notamment en raison du caractère social de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP).

À propos de la justice administrative, il a précisé qu’elle prônait : «[…] la qualité et la célérité du processus, l’accessibilité et le respect des droits fondamentaux des citoyens» (paragr. 70).

Le cas d’espèce

À l’égard de la requête pour rejet sommaire, le travailleur a présenté peu d’arguments, outre son état de santé. Quant à ses prétentions en ce qui concerne les décisions rendues en 2010, le Tribunal a précisé qu’il demeurait toujours dans l’obscurité, tout en indiquant que le travailleur plaidait maintenant «sa mort imminente comme incapacité ultime».

Selon le juge, une lecture du dossier révèle que des membres du personnel et des juges du Tribunal, à différentes époques, avaient tenté différentes solutions pour permettre au travailleur de faire valoir ses droits, mais qu’aucune de celles-ci n’avait réussi.

Pour répondre à la question suivante : «Que faire avec un travailleur qui s’accroche à son droit d’être entendu, avec intransigeance, mais du même souffle, se dit incapable de mettre ses droits en œuvre et en demande éternellement le report?» (paragr. 92), le juge indique qu’il faut analyser «l’interaction entre deux concepts, à savoir, le respect des règles de justice naturelle réclamée par un individu et la saine administration de la justice, qui va parfois au-delà des droits individuels» (paragr. 93).

Le juge mentionne que certaines évidences se dégagent de l’affaire, parmi lesquelles:

  • les contestations ont maintenant 10 ans;
  • les recours sont soit devenus futiles, sinon dépourvus de toute chance de succès; 
  • le travailleur refuse systématiquement toute piste de solution;
  • l’employeur a été patient; et
  • les demandes d’indemnisation du travailleur excèdent le cadre législatif de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Le juge retient également que :

[123]     Une lecture des multiples procédures et correspondances du travailleur au cours de cette décennie porte le Tribunal à conclure que son comportement et l’exercice des recours en question ont maintenant atteint un niveau qu’on ne peut que qualifier d’abusif et de dilatoire.

[124]     Le Tribunal a accordé plusieurs opportunités et d’importants délais au travailleur pour faire valoir ses droits. Quand il n’y arrive pas, le Tribunal lui accorde des délais additionnels, lui propose de nouvelles solutions et tente de l’accommoder à nouveau et par divers moyens, avec souplesse; rien n’y fait. Le dossier n’avance pas, les droits des parties stagnent. [Caractères gras ajoutés.]

Selon lui, ni le Tribunal ni la collectivité ne doivent investir dans ces recours sans issue, qui ont «perdu leur objet, sont voués à l’échec et dont le travailleur n’a ni véritable volonté, ni la capacité de mener à terme» (paragr. 137). La saine administration de la justice nécessite le rejet des contestations du travailleur.

 « Cette histoire doit cesser. »

Il est à souligner que le juge en est venu à cette conclusion en prenant, en ces termes, la mesure de l’exercice de ce pouvoir:

[75]        Il faut certainement conjuguer le fait de mettre fin précipitamment à un recours, avec des rappels constants des tribunaux supérieurs du caractère social et remédiateur de la Loi, dont l’objectif est de réparer les lésions professionnelles et non de priver les personnes de leurs droits. Il est d’ailleurs souligné que l’intérêt et l’efficacité de la justice administrative justifient à ce qu’on s’attarde au mérite d’un dossier, plutôt que de mettre fin à un recours sur des bases procédurales.

[76]        La décision du Tribunal en cette matière est lourde de conséquences, alors qu’elle a pour conséquence de mettre fin à un recours, non quant à son mérite, mais plutôt parce qu’il revêt un caractère abusif ou dilatoire; il s’agit d’une exception, qui contraste nettement avec les objectifs d’accès à la justice mentionnés plus haut.

Conclusion

Le sujet vous intéresse? Je vous invite à relire un billet rédigé par Me Philippe Jolivet paru sur le blogue de SOQUIJ en 2018, dans lequel il était question de la révocation d’une décision ayant rejeté sommairement une contestation sur dossier. Par ailleurs, dans une décision rendue au cours de l’été, le TAT-SST a rendu une décision dans laquelle la juge a accepté de rejeter sommairement, à la demande de la procureure générale du Québec et de la CNESST, des conclusions recherchées par la travailleuse. Plus précisément, il s’agissait de 2 conclusions concernant la constitutionnalité des articles 358 à 358.5 LATMP ainsi que d’autres portant sur les pratiques ou agissements de la CNESST.