[1] En vertu de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (LATMP), la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) peut, dans certaines circonstances, réduire ou suspendre le versement d’une indemnité. Dans le présent texte, nous discuterons de décisions dans lesquelles la Commission des lésions professionnelles (CLP) a tranché des contestations relatives à l’application du paragraphe 2 a) de cet article, lequel vise le cas du travailleur qui, sans raison valable, «entrave un examen médical prévu par la […] loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave». Les décisions retenues pour traiter de cette question sont tirées d’une sélection de décisions rendues par la CLP depuis le 1er janvier 2013.

Principes

[2]             Cependant, avant de discuter de ces cas précis, il y a lieu de faire état de certains principes concernant l’interprétation et l’application de l’article 142. À cet égard, dans Alidousti et Dynamex Canada Ltd.[2],la CLP rappelait ce qui suit :

L'article 142 LATMP constitue une exception au principe général qui se trouve à l'article 44 et qui veut qu'une indemnité soit versée au travailleur rendu incapable d'exercer son emploi en raison d'une lésion professionnelle. Il doit donc recevoir une interprétation restrictive. Par ailleurs, chacun des paragraphes et alinéas de cet article énonce diverses conditions qui doivent être prouvées afin de justifier une suspension du versement de l'IRR. De plus, cette suspension ne peut durer indéfiniment puisque ce n'est pas le droit à l'indemnité qui est suspendu mais le versement de celle-ci. Cette suspension doit donc cesser aussitôt que cesse le manquement reproché. La jurisprudence enseigne également que cette suspension ne peut être rétroactive. En effet, il s'agit d'une mesure incitative, et non punitive, qui a pour but de signaler au travailleur une contravention à l'un ou l'autre des paragraphes et alinéas de l'article 142 afin de lui permettre de remédier à la situation et de recouvrer son indemnité. En outre, les motifs invoqués au soutien de la suspension doivent correspondre aux situations décrites à l'article 142. Ils doivent être exposés dans la décision et la suspension ne peut reposer que sur ceux-ci. Ainsi, des raisons occultes mentionnées aux notes évolutives mais non reprises dans la décision contestée ne peuvent justifier la suspension du versement de l'IRR.

[L’italique est de la soussignée.]

[3]      Reprenant les principes énoncés dans Alidousti, la CLP, dans Ouellet et Techno-Forêt inc.[3], réitérait l’importance que les motifs justifiant la suspension soient clairement mentionnés dans la décision de la CSST et qu’ils correspondent à l’une des situations énoncées à l’article 142. Ainsi que le souligne le juge administratif dans cette affaire, «c’est de cette manière que le travailleur est informé de ce qui lui est reproché, et donc de ce qu’il doit faire pour y remédier[4]».

Raison valable

[4]      L’expression «raison valable» utilisée au second paragraphe de l’article 142 n’est pas définie dans la LATMP. La CLP, dans Guay et Mécanique CNC 2002 inc.[5], s’est notamment arrêtée à l’interprétation à y donner, faisant à cet égard une analogie avec l’expression «motif raisonnable» que l'on trouve ailleurs dans la loi :

La loi ne définit pas ce qu'est une «raison valable» au sens de l'article 142. Toutefois, une analogie peut être faite avec le contexte d'analyse retenu par la jurisprudence afin d'apprécier ce qui constitue un «motif raisonnable» pour relever une partie de son défaut de contester une décision dans les délais prévus à la loi. Une «raison valable» est une notion large et elle permet de considérer un ensemble de facteurs susceptibles d'indiquer, à partir des faits, démarches ou comportements, de la conjoncture ou des circonstances, si le travailleur a un motif non farfelu, crédible, et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion. Des engagements médicaux, des conditions climatiques particulières ou une erreur commise de bonne foi peuvent constituer des raisons valables, au sens de la loi, expliquant l'omission ou le refus de se présenter à un examen médical requis par l'employeur.

[L’italique est de la soussignée.]

L'entrave à l'examen médical

Comportement du travailleur face aux exigences de l’examen clinique

[5]      Dans Bouhellal et Ville de Québec[6], la CSST avait suspendu le versement de l’IRR du travailleur parce qu’il avait refusé de répondre aux questions du médecin désigné par l’employeur. La CLP a conclu qu’elle était fondée à le faire. Après avoir souligné que «[l]'analyse du comportement du travailleur se révèle […] essentielle à l'appréciation des notions d'"entrave", de "refus" ou d'"omission"», elle a notamment retenu ce qui suit[7] :

[…] l'écoute d'un enregistrement de la conversation entre le médecin et le travailleur révèle que c'est l'attitude agressive et réticente de ce dernier qui a empêché le médecin de poursuivre son examen. Le questionnaire constitue une partie importante d'un examen clinique complet et le travailleur devait répondre aux questions du médecin désigné par l'employeur, de la même façon qu'il devait se soumettre aux diverses manoeuvres jugées appropriées par celui-ci. Il n'appartient pas au travailleur de déterminer ce qui est pertinent ou non aux fins de l'examen clinique puisque cela relève de la responsabilité et de la compétence du médecin examinateur. En l'espèce, rien ne démontre que le médecin a exigé des réponses à des questions non pertinentes.

[L’italique est de la soussignée.]

[6]      Dans Berrada et Commission scolaire de Montréal[8], lors de la rencontre avec le médecin désigné par la CSST, la travailleuse, qui avait notamment subi une entorse à l’épaule droite alors qu’elle était au travail, avait refusé de retirer le voile (hijab) qu’elle portait et l’examen n’avait pas eu lieu. La suspension du versement de l’IRR en vertu du paragraphe 2 a) de l’article 142 a été contestée jusque devant la CLP, qui l’a maintenue.

[7]      Relativement à la notion d’«entrave», le juge administratif a rappelé qu’«elle repose sur l’existence d’une action ou d’une manœuvre volontaire ayant pour effet d’entacher le résultat de l’examen[9]». Par ailleurs, il a procédé à une revue de certaines obligations prévues au Code de déontologie des médecins[10], soulignant que celui-ci «exige que le médecin ne procède à l'examen médical que si les circonstances ne compromettent pas la qualité de son expertise ou la dignité de la profession. De plus, il doit s'acquitter de ses obligations avec compétence et son diagnostic doit être établi avec la plus grande attention[11]».

[8]      Le juge a conclu que la travailleuse avait entravé l’examen médical du médecin désigné par la CSST et qu’elle n’avait fourni aucune raison valable pour refuser de retirer son voile. En ce qui a trait plus particulièrement à l’entrave, il s’est exprimé comme suit[12] :

En l'espèce, la travailleuse a posé une condition à l'examen du médecin désigné par la CSST, soit celle de porter son voile. Le médecin a expliqué à l'agente de la CSST qu'il ne pouvait procéder à un examen adéquat, compte tenu de cette exigence. Or, le tribunal n'a pas à lui dicter dans quelles conditions ni de quelle manière il devait conduire un examen «adéquat» de l'épaule de la travailleuse. Cette appréciation fait partie de son expertise et elle est tributaire de sa liberté professionnelle. Par ailleurs, ce médecin n'est pas lié par les méthodes des autres spécialistes qui ont procédé à un examen. Ainsi, ce n'est pas parce que ses confrères ont accepté d'examiner les épaules de la travailleuse par-dessus ses vêtements qu'il devait procéder de cette manière. Le médecin désigné par la CSST pouvait lui-même déterminer s'il était nécessaire que la travailleuse retire son voile afin d'examiner ses épaules. […] Il ressort par ailleurs de la preuve que le médecin a quitté le local pendant que la travailleuse enfilait une camisole et une jaquette. De plus, il lui a proposé que l'examen soit réalisé en présence d'une secrétaire au service de la clinique. Malgré cette suggestion, la travailleuse a persisté dans son refus de retirer son voile. Par la suite, une longue discussion s'est engagée au terme de laquelle le médecin a mis fin à l'examen. Sa décision n'a donc pas été prise de manière impulsive. La travailleuse savait que le médecin refuserait de procéder à l'examen médical et elle s'est tout de même opposée au retrait de son voile. Dès lors, on ne peut parler d'un refus du médecin de procéder à l'examen. Ce sont plutôt les exigences de la travailleuse quant à la manière dont il devait conduire son évaluation qui ont mis fin à la rencontre. Les demandes du médecin étaient strictement médicales et visaient l'évaluation des épaules. En refusant de dévoiler celles-ci au médecin, la travailleuse a elle-même créé un obstacle à l'examen, ce qui constitue une entrave […].

[L’italique est de la soussignée.]

Présence d’un tiers à l’examen

[9]      Dans Ménard-Garceau et Réno-Dépôt inc. # 307[13], la CLP a retenu que les exigences de la travailleuse, à savoir la présence d’un témoin lors de l’examen médical pratiqué par le médecin désigné par l’employeur, avaient constitué une entrave, sans raison valable, au déroulement de celui-ci :

La loi ne sanctionne pas le droit d'un travailleur d'être accompagné d'un tiers à un examen médical. Si le médecin accède à cette demande, le problème est réglé. S'il n'y accède pas, le travailleur demeure assujetti à l'obligation de se soumettre à l'examen requis par l'employeur en vertu de l'article 209 LATMP. En l'espèce, l'examen prévu le 25 avril 2012 n'a pas eu lieu en raison de l'exigence d'un témoin formulée par la travailleuse puis, par voie de conséquence, en raison du manque de temps. La travailleuse a soutenu qu'elle avait accédé à l'examen mais que c'est le médecin qui avait refusé de l'examiner. Loin de représenter un «refus spontané» de la part du médecin, il s'agit plutôt d'un refus de procéder dans les conditions mises en place par la travailleuse, voire en réaction à ces conditions. Le médecin n'a pas pris l'initiative de décliner l'examen; il était prêt à procéder mais a réagi aux exigences de la travailleuse. À son avis, cette dernière ne collaborait pas. […] Si la présence d'un témoin dépend de l'assentiment de l'examinateur, qui a le droit de procéder seul s'il le désire, la travailleuse, elle, a le devoir de se soumettre à l'examen de l'employeur sans entraver sa tenue. Les nombreux motifs invoqués par la travailleuse pour contester la tenue de l'examen ou le médecin désigné par l'employeur, son exigence d'un témoin et le maintien de cette exigence par la suite peuvent être assimilés à une entrave ou à un refus de subir l'examen médical du médecin désigné par l'employeur, et ce, sans raison valable.

[10]    Dans EBC Neilson, s.e.n.c. et Gauthier[14], la CLP a souligné que, «selon la jurisprudence, le simple fait de réclamer la présence d'un tiers à l'examen médical ne permet pas de conclure à une entrave, lorsque l'ensemble des circonstances relatives à la demande du travailleur, son comportement et ses attitudes lors de la rencontre sont jugés raisonnables et sans conséquence sur la sérénité de l'examen». Dans cette affaire, le médecin désigné par l’employeur avait refusé qu’un tiers soit présent lors de l’examen du travailleur, de même qu’il s’était opposé à l’enregistrement de l’entrevue. Le juge administratif a considéré que le médecin pouvait décider ainsi mais que le travailleur n’avait pas entravé la tenue de l’examen. À cet égard, il a retenu ce qui suit[15] :

En effet, le travailleur s'est déclaré prêt à procéder dans les 10 minutes qui ont suivi, le tout après avoir pris certaines informations. On ne saurait conclure que le médecin désigné n'avait plus aucune disponibilité pour procéder à l'examen, puisque celui-ci était prévu à son horaire. Ainsi, la preuve ne démontre pas la présence d'un comportement ou d'une attitude qui aurait permis d'établir une intention d'entraver l'examen du médecin désigné par l'employeur.

Refus ou omission de se soumettre à l'examen médical

Convocation à l’examen

[11]    Dans Gauthier et Ville de Saguenay[16], la CSST avait suspendu le versement de l’IRR du travailleur parce qu’il avait, sans raison valable, omis de se présenter à l’examen médical requis par son employeur. Pour expliquer son absence, le travailleur invoquait le court délai de convocation à l’examen, le fait qu’il n’existait pas de motif suffisant pour la tenue de celui-ci ainsi que sa crainte que le médecin désigné par l’employeur ne soit pas neutre. La CLP a conclu que la suspension du versement de l’IRR était fondée mais qu’elle ne pouvait cependant être rétroactive.

[12]    En ce qui concerne le délai de convocation à l’examen, le juge administratif a souligné, dans un premier temps, qu’aucun délai minimal n’est prévu à l’article 209 LATMP mais que l’employeur se doit tout de même d’aviser le travailleur dans un délai raisonnable, selon les circonstances, particulièrement si ce dernier est obligé de se déplacer à l’extérieur de sa région afin de subir l’examen. En ce qui concerne le cas du travailleur, le juge a conclu ainsi[17] :

En l’espèce, le délai de convocation était suffisant puisque, dès le 31 août 2012, l'employeur avait informé verbalement le travailleur qu'il devait se soumettre à un examen médical prévu pour le 10 septembre suivant. À cet égard, aucun article de la loi n'exige une convocation écrite. Dans le présent dossier, il est vrai que la preuve est contradictoire quant à savoir si l'employeur a mentionné au travailleur, lors de la conversation téléphonique du 31 août 2012, certains détails tels que l'heure du rendez-vous ou le nom du médecin désigné. Toutefois, le travailleur a valablement été informé de ceux-ci lorsqu'il a reçu une convocation écrite le 6 septembre 2012. Par ailleurs, il n'a pas expliqué en quoi ce court délai de convocation l'empêchait de se rendre à l'examen médical.

[L’italique est de la soussignée.]

[13]    À l’opposé, dans Therrien et Arrondissement Côte-des-Neiges/Notre-Dame-de-Grâce[18], la CLP a jugé que la preuve n’établissait pas que le travailleur avait été valablement convoqué à l’examen requis par son employeur et que la CSST n’était pas fondée à suspendre le versement de son IRR. Il n’avait pas été démontré que le travailleur avait eu connaissance du message que la représentante de l’employeur avait laissé dans sa boîte vocale ni qu’il avait reçu la lettre l’avisant qu’il devait subir un examen médical. Celle-ci n’avait pas été transmise par courrier recommandé, de sorte qu’il n’existait aucun accusé de réception.

[14]    Le juge administratif a souligné que la façon dont l’employeur avait convoqué le travailleur avait entraîné une certaine confusion et que ce dernier n’avait pas à en supporter les conséquences. À cet égard, il a ajouté que[19] : «Lorsque l'employeur convoque un travailleur à une évaluation médicale, il doit s'assurer que celui-ci en est informé. Même s'il existe plusieurs moyens auxquels l'employeur peut recourir, il doit nécessairement y avoir un accusé de réception pour faire la preuve que le travailleur a reçu un avis à cet effet, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.»

Erreur de bonne foi

[15] Dans April et Fondation des amis du Pavois[20], la CLP, se référant aux décisions rendues par ce même tribunal dans Raymond et Épicerie Georges & fils[21]et dans Nieri et Société des transports de Montréal[22], rappelait qu’«une erreur commise de bonne foi peut parfois constituer un motif valable pour expliquer l’omission de se présenter à un examen médical[23]». Alors que la CSST avait suspendu le versement de l’IRR du travailleur parce qu’il avait omis de se présenter à l’examen requis par son médecin désigné, la CLP a conclu qu’une telle suspension n’était pas fondée. Reconnaissant que, devant la collaboration moins soutenue du travailleur, la CSST avait probablement eu du mal à le croire lorsqu’il affirmait qu’il avait mal noté les coordonnées du rendez-vous sur son téléphone mobile, le juge administratif a cependant donné le bénéfice du doute au travailleur. À cet égard, il a tenu compte du témoignage crédible et sincère de ce dernier, et il a jugé qu’il avait commis une erreur de bonne foi en notant les coordonnées. Il a également pris en considération le fait qu’il n’avait jamais manqué un autre rendez-vous médical.