[1] En vertu de l'article 272 de la Loi sur la protection du consommateur[1], si un commerçant manque à une obligation que lui impose la loi, le consommateur peut demander des dommages-intérêts punitifs. Cet article ne prévoyant aucun critère concernant l'attribution de ces dommages-intérêts, ceux-ci doivent être alloués en conformité avec l'article 1621 du Code civil du Québec. Ainsi, le juge doit tenir compte de toutes les circonstances appropriées, notamment :
a) de la gravité de la faute du débiteur;
b) de la situation patrimoniale de celui-ci;
c) de l'étendue de la réparation à laquelle il est déjà tenu envers le créancier; et
d) du fait que la prise en charge du paiement réparateur est assumée par un tiers, en tout ou en partie.
[2] Il ne s'agit pas d'une liste exhaustive et, tel que l'a mentionné la Cour suprême dans Richard c. Time Inc.[2],d'autres critères peuvent également être pris en considération, dont le fait que l'auteur de l'atteinte soit une personne physique, une personne morale ou une personne morale de droit public, les profits réalisés par l'auteur de la faute, les antécédents civils, disciplinaires ou criminels de celui-ci ainsi que les sanctions qui lui ont déjà été imposées pour sanctionner le comportement reproché.
[3] Dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu que Time inc. et Time Consumer Marketing avaient contrevenu à la Loi sur la protection du consommateur en transmettant par courrier des documents relatifs à une loterie promotionnelle truffés d'affirmations trompeuses faisant faussement croire à l'appelant qu'il gagnait près d'un million de dollars américains.
[4] Après avoir rappelé les objectifs de cette loi d'ordre public, soit de rétablir l'équilibre dans les relations contractuelles entre les commerçants et le consommateur ainsi que d'éliminer les pratiques déloyales et trompeuses, la Cour a rappelé que la simple violation d'une disposition de la loi ne suffit pas à justifier une condamnation à des dommages-intérêts punitifs. Les violations intentionnelles, malveillantes ou vexatoires ainsi que la conduite marquée d'ignorance, d'insouciance ou de négligence sérieuse de la part du commerçant à l'égard de ses obligations et des droits du consommateur peuvent entraîner l'attribution de dommages-intérêts punitifs.
[5] Toutefois, le tribunal doit étudier l'ensemble du comportement du commerçant au moment de la violation et après celle-ci avant d'accorder des dommages-intérêts punitifs. Il doit notamment examiner si le commerçant a tenté avec diligence de régler les problèmes causés au consommateur.
[6] Étant donné la violation intentionnelle et calculée de la loi, et en tenant compte des critères d'attribution, la Cour a maintenu la condamnation à des dommages-intérêts punitifs, mais elle l'a réduite de 100 000 $ à 15 000 $.
[7] Voici d'autres exemples de décisions récentes où des dommages punitifs ont été accordés à des consommateurs.
Hébert c. Vidéotron, s.e.n.c.[3]
Dans cette récente affaire, Vidéotron avait enfreint l'article 214.6 de la loi en continuant de facturer à son client des services de câblodistribution, et ce, après la date mentionnée dans la demande de résiliation de contrat transmise par celui-ci. En tenant notamment compte du fait que, plus d'un an après la plainte du client, Vidéotron n'appliquait toujours pas la date indiquée par le consommateur pour cesser de facturer ses services, la juge l'a condamnée à payer des dommages punitifs de 3 000 $.
Gauthier c. Senez[4]
Le demandeur réclamait le remboursement d'un acompte versé et des dommages-intérêts par suite de la non-exécution d'un contrat de fabrication d'armoires de cuisine. En raison de la mauvaise foi dont le défendeur a fait preuve en invoquant divers motifs pour expliquer son refus d'exécuter le contrat ainsi que de la non-conformité du contrat, qui n'a pas été fait par écrit, et afin de dénoncer la façon d'agir d'un commerçant qui se dit dans les affaires depuis plusieurs années, la juge l'a condamné à payer des dommages-intérêts punitifs de 3 500 $.
Éthier c. 9115-5168 Québec inc. (Sherbrooke Mitsubishi)[5]
Un concessionnaire d'automobiles a été condamné à payer des dommages punitifs de 2 000 $ pour avoir contrevenu à son obligation de renseignement en ne dévoilant pas clairement à son client les conditions d'application de la garantie de remplacement qu'il lui avait vendue. Il ne pouvait prétendre qu'un tel achat équivalait à la souscription d'une police d'assurance comportant une indemnisation sur la base d'une valeur à neuf.
Riopel c. Kia Canada inc.[6]
En vertu de la loi, un consommateur a le droit d'acquérir un bien au prix annoncé. Le fait d'exiger un prix supérieur constitue une pratique interdite en vertu de l'article 215 de la loi. Ainsi, le concessionnaire Albi Le Géant Kia de même que le fabricant Kia Canada ont été condamnés à payer des dommages punitifs de 500 $ à un client duquel ils ont exigé, pour l'achat d'un véhicule, un prix supérieur à celui qui avait été annoncé.
Paré c. 9140-7551 Québec inc. (Automobiles du Cartier Nord et automobiles Capitol inc.)[7]
Une dame âgée d'environ 85 ans reprochait à un commerçant de s'être approprié sans droit les acomptes qu'elle avait versés lors de l'achat de 2 véhicules automobiles et qui n'avaient pas été déduits du prix de vente. Elle croyait également faire l'achat des voitures, alors que le commerçant lui avait signé des contrats de location. En espérant qu'une telle condamnation aurait un effet dissuasif sur le comportement du commerçant, la juge lui a accordé des dommages punitifs de 1 500 $.
Breault c. Gestion Dreymax inc.[8]
Un consommateur qui a été floué par les manoeuvres de deux compagnies relativement à la vente itinérante d'une thermopompe et au financement de celle-ci a obtenu des dommages-intérêts punitifs de 1 000 $.
Marionnet c. Ani-Puce[9]
La demanderesse avait acheté un chiot dans une animalerie. Après quelques jours, celui-ci est tombé malade et elle l'a ramené à l'animalerie, qui a décidé de le garder pour le surveiller et lui donner les soins nécessaires. Or, voyant le piètre état de l'animal, l'animalerie a décidé de ne pas le faire soigner pour ne pas supporter des frais inutiles. Elle l'a laissé mourir, puis elle a jeté le cadavre aux vidanges avant que la demanderesse ne puisse le voir. Jugeant ces gestes inadmissibles dans une société respectueuse des droits et libertés de chacun, la juge a condamné l'animalerie à payer des dommages punitifs de 500 $.
Asselin c. Arseneault[10]
Un commerçant qui contrevient à la politique d'exactitude des prix qu'il s'est engagé à respecter peut aussi être condamné à payer des dommages-intérêts punitifs. Dans cette affaire, une pharmacie de la bannière Pharmaprix a dû payer 200 $ à une cliente après avoir refusé de lui remettre gratuitement un contenant de crème glacée dont le prix annoncé dans la circulaire et au lecteur optique était inférieur à celui réclamé à la caisse.
Loiseau c. Nautilus Plus inc.[11]
Dans cette affaire, le demandeur avait retenu les services de Nautilus en vue d'obtenir des séances d'entraînement personnalisé. Le contrat contrevenait aux articles 199 et 207 de la loi. Il s'agissait d'un document faisant état de la façon dont le demandeur devait s'y prendre pour bénéficier de ces séances, mais aucune copie ne lui avait été remise. Malgré l'absence de violation intentionnelle, malveillante ou vexatoire de la part de Nautilus aux dispositions de loi, le juge a accordé au demandeur une indemnité de 500 $ afin d'assurer la fonction préventive des dommages punitifs.
Boisvert c. Desrochers[12]
Les demandeurs, dont les deux enfants fréquentaient la garderie de la défenderesse jusqu'à ce que celle-ci impose unilatéralement la résiliation du contrat, et ce, sans motif sérieux, avaient essentiellement subi des dommages moraux. Cependant, la juge leur a également accordé une indemnité globale de 300 $ étant donné que la garderie avait fait preuve d'une certaine témérité en agissant sans se soucier des conséquences de sa décision et sans tenter d'en réduire les effets.
Lacasse c. Surplus RD inc.[13]
Afin de dissuader un commerçant de vendre des produits endommagés sans le dénoncer et sans qu'il soit en mesure de livrer des biens de la couleur désirée dans un délai approprié, le tribunal l'a condamné à payer des dommages punitifs de 250 $. Le juge a également conclu qu'il était inapproprié que la négociation des conditions de livraison soit reportée après la signature du contrat.
Paradis c. Bijouterie Marise inc. (Mozart)[14]
Une bijouterie a été condamnée à payer des dommages punitifs de 350 $ à un client envers lequel elle a eu une attitude hostile en refusant obstinément de résoudre la vente d'une bague qui n'était pas de la bonne couleur.
Francoeur c. Passeport Détente inc.[15]
Le demandeur, qui n'a jamais été en mesure, malgré ses différentes tentatives, d'obtenir les services de massothérapie qu'il avait payés, a obtenu 500 $. Le contrat avait été conclu à la suite d'une sollicitation à son domicile par un vendeur itinérant et ne respectait pas les exigences qu'imposent les articles 58 et 60 de la loi. Selon le juge, la conduite de Passeport Détente était non seulement inappropriée, mais aussi contraire aux dispositions d'ordre public de la loi.
Patry c. Rénovations Côté et Fils[16]
Un entrepreneur en construction n'ayant pas avisé ses clients qu'il ne détenait plus de licence de la Régie du bâtiment et ayant continué les travaux malgré ce fait a été condamné à verser 1 000 $. Le fait qu'il n'ait pas biffé son numéro de licence de la Régie du bâtiment sur ses factures et qu'il ait continué les travaux en sachant pertinemment qu'il n'avait plus de licence a entaché sa crédibilité et a constitué une violation des articles 219 et 228 de la loi.
Grandmont c. 9079-2151 Québec inc. (Kia de Sherbrooke)[17]
Un concessionnaire d'automobiles qui a enfreint la loi en vendant à une cliente une voiture d'essai qui avait parcouru près de 7 000 kilomètres plutôt qu'un véhicule neuf ayant roulé moins de 20 kilomètres tel que le mentionnait le contrat a été condamné à payer 1 000 $.
[8] Par ailleurs, il y a lieu de noter que les montants de dommages-intérêts les plus élevés ont été accordés dans le contexte de recours collectifs. Par exemple, Brault & Martineau[18] a été condamnée à verser deux millions de dollars aux membres d'un recours collectif en raison de la publicité trompeuse entourant les promotions de paiement différé et de paiement par versements égaux.
[9] Très récemment, dans Banque de Montréal c. Marcotte[19] la Cour suprême a cassé un arrêt de la Cour d'appel du Québec[20] ayant annulé les dommages punitifs auxquels des banques avaient été condamnées en première instance pour avoir omis de divulguer l'imposition de frais de conversion sur les opérations par carte de crédit en devises étrangères. La Cour d'appel avait reproché au juge de première instance[21] de ne pas avoir tenu compte du fait que le mode de recouvrement collectif comporte souvent un aspect punitif important comparativement à la formule des réclamations individuelles. Or, selon la Cour suprême, le juge du procès n'a pas à tenir compte de ce facteur. Ainsi, le seuil d'allocation des dommages punitifs n'est pas plus élevé dans le cas d'un recours collectif où le tribunal a ordonné que l'on procède par recouvrement collectif plutôt que par voie de réclamations individuelles. Le mode de recouvrement ne fait pas partie des facteurs qui doivent être analysés pour déterminer l'opportunité d'une condamnation à des dommages punitifs.
[10] La Cour a également rappelé qu'il n'est pas nécessaire d'établir un comportement antisocial ou répréhensible pour que des dommages punitifs soient attribués en vertu de la Loi sur la protection du consommateur. Il faut plutôt examiner le comportement global du commerçant avant, pendant et après la violation pour déterminer s'il a adopté une attitude laxiste, passive ou ignorante à l'égard des droits du consommateur et de ses propres obligations, ou encore un comportement d'ignorance, d'insouciance ou de négligence sérieuse. Selon la Cour, les quatre banques avaient eu un tel comportement en enfreignant la loi sans explication pendant des années.
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