Afin de souligner la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation, voici quelques décisions rendues par les instances québécoises en matière de droit autochtone et abordant des questions liées aux droits ancestraux des Premières Nations: chasse, pêche, commerce, importance de la protection, du soin des enfants et des pratiques familiales pour les cultures des peuples autochtones et les revendications de Métis et d’autochtones non reconnus par la Loi sur les Indiens.
Droit ancestral de commercer librement et sans entrave
Dans un jugement étoffé rendu en 2013, la Cour supérieure a rejeté la requête pour jugement déclaratoire présentée par des détaillants de produits pétroliers qui étaient tous des autochtones faisant partie de la communauté mohawk de Kahnawake. Ils contestaient l'obligation qui leur était faite d'agir, sur leur réserve, à titre de mandataires ou d'agents percepteurs des autorités fiscales, soutenant que la pratique d’échanges d’objets, à laquelle est rattaché le pouvoir spirituel et symbolique d’«orenda», faisait partie intégrante de leurs droits ancestraux constitutionnellement garantis par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.
Afin de préciser la terminologie utilisée, le juge débute ainsi:
«Lorsque Christophe Colomb a "découvert" au nom des souverains de Castille et d’Aragon ce qui s’est appelé plus tard l’Amérique, il croyait être arrivé aux Indes par l’ouest. Il a donc tout naturellement appelé "Indiens" (Indios) les peuples qui occupaient ce continent depuis quelques millénaires déjà. Cette désignation erronée est néanmoins passée dans le vocabulaire courant pendant plusieurs siècles et elle est encore utilisée aujourd’hui.» (paragr. 9)
Après avoir souligné, dans un commentaire, malheureusement toujours d’actualité, que « [à] partir des années 60-70, le vocabulaire a changé, mais les lois n’ont pas nécessairement reflété immédiatement ces changements.» (paragr. 17), il indique que:
«Aux fins du présent dossier, conformément aux expressions utilisées dans les lois constitutionnelles ainsi que dans la législation applicable, le tribunal utilisera, d’une part, les mots "autochtones" et "peuples autochtones" pour référer aux droits et titres ancestraux et à ceux issus de traités et, d’autre part, le mot "Indien" lorsqu’il sera plutôt question des droits découlant de l’application de la Loi sur les Indiens et d’autres lois s’y rapportant. Ces cloisons ne seront pas toujours étanches cependant, compte tenu de la terminologie employée au fil des siècles.» (paragr. 19)
Le juge a conclu que la preuve historique démontrait que «les échanges qui s’effectuaient à l’intérieur des nations iroquoises précontact entre elles ne portaient pas sur les nécessités de la vie» (paragr. 161). Puisque ces échanges ne visaient pas la recherche de profit ou l’accumulation de richesses, le juge a notamment conclu que leurs descendants ne pouvaient se réclamer de droits ancestraux de nature commerciale pour soutenir leur thèse voulant qu’ils puissent sur cette base prétendre avoir le droit constitutionnellement garanti «de commercer librement, ouvertement et sans être assujettis à quelque restriction ou réglementation que ce soit» (paragr. 174).
Saisie de l’appel de cette décision, la Cour d’appel a confirmé qu’il n’existait aucun lien rationnel entre les échanges précontact auxquels se sont livrés les ancêtres des appelants et les activités commerciales de ces derniers.
Demande de type Haïda: consultation insuffisante des Innus
Plus récemment, dans un jugement ayant accueilli une demande de type Haïda, la Cour supérieure a conclu que le gouvernement du Québec avait un devoir de consulter les Innus de Uashat et de Mani-Utenam ainsi que la bande innue Takuaikan Uashat Mak Mani-Utenam en ce qui concerne la construction d'une ligne de transport d'énergie. Elle a jugé que la consultation que le gouvernement avait menée était insuffisante pour préserver l'honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de cette dernière avec ceux des demandeurs.
En ce qui a trait à la solidité de la revendication des Innus, il est mentionné au jugement que «les Tribunaux doivent éviter l’imposition d’un fardeau de preuve trop lourd au stade Haïda» (paragr. 215). Il est indiqué que le rapport de l'anthropologue Sylvie Vincent «supporte une conclusion que les Innus exerçaient leurs activités traditionnelles sur le territoire en litige avant le contact avec les Européens et les exercent depuis» (paragr. 216). Il est également souligné que la première source de cette dernière est «l’histoire orale des Innus» (paragr. 213). Le juge a précisé que le différend entre les parties s’inscrivait dans un litige plus important, les Innus revendiquant «des droits ancestraux préexistants et sui generis, y compris le titre ancestral ainsi que des droits issus de traités sur leur territoire traditionnel, le Nitassinan, qui comprend la Baie de Sept-Îles, la Baie de Sainte-Marguerite et la Pointe-Noire» (paragr. 1).
Pour ceux qui seraient intéressés à en savoir plus sur le travail de Mme Vincent, il est possible de lire l’hommage qui lui a été rendu, à la suite de son décès, par la revue Recherches amérindiennes au Québec (vol. 50, no 3, 2020–2021, p. 3-236).
Protection des enfants: droit à l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones
Dans le Renvoi à la Cour d'appel du Québec relatif à la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, la Cour d’appel du Québec a rendu une décision exhaustive. Elle a rappelé que, depuis l’entrée en vigueur de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, «les rapports entre les peuples autochtones et la Couronne sont régis par un nouveau paradigme constitutionnel fondé sur des objectifs de respect mutuel et de réconciliation» (paragr. 551). Par ailleurs, la Cour d’appel a souligné que la preuve soumise établissait l’importance qu’ont la protection, les soins des enfants et les pratiques familiales pour les cultures des peuples autochtones et a précisé que «l’experte Val Napoleon décrit plusieurs régimes juridiques autochtones portant sur la famille et les enfants; elle a conclu que, bien que ceux-ci aient été fortement touchés et affaiblis par les politiques colonialistes et assimilatrices passées du Canada, ils survivent à ce jour et font l’objet d’une volonté ferme de revitalisation au sein des communautés autochtones» (paragr. 479). La Cour d’appel a précisé que, dans l’exercice de la compétence prévue à l’article 91 (24) de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement peut réglementer un droit ancestral reconnu par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, mais que cette compétence ne comprend toutefois pas celle de conférer une priorité absolue à ce droit.
Auto-identification: autochtones sans statut
La Cour supérieure a rejeté une demande en jugement déclaratoire dans une affaire opposant l’Alliance autochtone du Québec au procureur général du Québec (PGQ). Elle a souligné que le dossier en cause démontrait l’ambiguïté pouvant résulter de l’utilisation du terme «autochtone». Elle a indiqué à cet égard qu’il ne suffisait pas «de s’auto-déclarer "Indien sans statut" ou "Autochtone", sur la base d’une ascendance à quelque degré que ce soit, pour pouvoir prétendre bénéficier des "droits collectifs" des peuples ou nations autochtones reconnus et confirmés» (paragr. 171). Elle a conclu qu’il n’y avait pas lieu de faire droit aux représentations de l’Alliance, car cela ferait en sorte qu’il y aurait 2 types d’autochtones au Canada, soit:
«1o Les Autochtones au sens du paragraphe 91 (24) de la Loi constitutionnelle de 1867 qui sont soit des Indiens, inscrits ou non inscrits selon les critères de la Loi sur les Indiens, soit des Métis ou soit des Inuit qui répondent aux différents critères retenus par la Cour suprême, notamment dans l’arrêt Daniels;
2o Les Autochtones du Québec dont le seul critère de reconnaissance serait l’auto-identification résultant d’une ascendance autochtone à quelque degré que ce soit dans sa généalogie.» (paragr. 183).
Dans cette affaire, les experts de l’Alliance étaient un historien reconnu expert en histoire des peuples autochtones du Québec et un géographe avec lequel il avait coécrit son rapport, tandis que ceux du PGQ étaient un expert en sociologie historique et un historien spécialisé en organisation représentant des autochtones non reconnus par la Loi sur les Indiens. Selon les premiers, la Résolution de l'Assemblée nationale du Québec du 20 mars 1985 sur la reconnaissance des droits des Autochtones et résolution du 30 mai 1989 sur la reconnaissance de la nation malécite est «l’expression de la volonté du gouvernement de se doter d’une politique de reconnaissance à l’égard de l’ensemble des Autochtones sur le territoire du Québec, les Autochtones sans statut» (paragr. 57). Pour les seconds, toutefois, la Résolution ne vise pas l’Alliance ni ses localités.
Parmi la preuve soumise, soulignons que le jugement reproduit un intéressant échange de lettres entre M. René Lévesque, alors premier ministre du Québec, et l’un des demandeurs, alors président de l’Alliance (paragr. 44 et ss.).
Existence d’une communauté métisse historique
Dans le contexte d’une demande du PGQ visant à obtenir la dépossession des défendeurs, la Cour supérieure a eu à trancher la question de l’existence d’un droit ancestral de chasse et pêche revendiqué par ces derniers, qui soutenaient avoir le droit d’occuper les terres à titre de Métis. Ils affirmaient que les chalets qu’ils avaient construits servaient d’abris accessoires à l’exercice de leur droit de chasse. Le tribunal a appliqué le cadre d’analyse exposé dans l’arrêt R c. Powley et a rapporté une importante preuve historique, plusieurs experts ayant été entendus au cours de l’audience. Il a conclu que la preuve offerte par les défendeurs s’avérait insuffisante pour établir une communauté distinctive et a noté qu'il y avait dans le dossier:
«[...] absence ou quasi-absence des éléments de preuve qui permettraient de faire des inférences au fait que les personnes au Lac Sainte-Marie vivaient de la chasse, de la pêche ainsi que de la trappe de subsistance. De plus, le Tribunal estime qu’il ne peut pas ignorer que les Anishinabeg réclament des droits sur le territoire et que leur revendication est beaucoup plus étayée par la preuve» (paragr. 402).
Il a également indiqué que la preuve permettait de «constater une identification tardive des défendeurs qui veulent protéger leurs camps de chasse» (paragr. 436).
Il est à noter que, dans un jugement précédent, les défendeurs se sont vu refuser une provision pour frais, même si, dans une affaire similaire en lien avec des procédures en dépossession de camps de chasse et de pêche, la Cour supérieure en avait accordé une. En ce qui a trait à cette dernière affaire, confirmant le jugement de la Cour supérieure rendu sur le fond, la Cour d’appel a relevé que «16 experts (historien, géographe, anthropologue, ethno-historien, géohistorien, sociologue)» (paragr. 11) avaient témoigné dans cette affaire, mais que, malgré le caractère imposant de la preuve, le juge de première instance avait conclu que les appelants ne se s’étaient pas déchargés de leur fardeau de démontrer l’existence d’une communauté métisse historique identifiable.
Conclusion
La jurisprudence est un lieu de discussion et d’analyse où tous les sujets, même les plus sensibles, sont susceptibles d’être abordés. Il arrive aussi, comme ces décisions l’illustrent, que l’Histoire se trouve au cœur même de certains jugements. Les témoins sont alors des historiens, des généalogistes, des anthropologues, des ethnologues, des géographes ainsi que d’autres professeurs ou chercheurs universitaires. Il s’agit d’une preuve, qui, bien souvent, s’avère nécessaire lorsqu’il est question de droit autochtone. Toutefois, tel que l’a indiqué la Cour supérieure dans Dostie c. Procureur général du Canada, le droit autochtone a souvent été décrit comme un droit sui generis et « [o]n ne peut pas faire la transposition des solutions à certains problèmes propres aux rapports avec les premières nations à d’autres problèmes historiques qui n’ont plus, ni la même actualité, ni la même origine» (paragr. 117).
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