Alors que les allégations d’inconduites sexuelles fusent de partout ces derniers temps et qu’une panoplie d’articles sur le sujet ont été publiés, je suis un peu étonnée que l’angle de l’accident du travail n’ait pas, à ma connaissance, été abordé. En certaines circonstances, il est vrai que les victimes d’inconduites sexuelles ayant présenté une lésion psychologique, tels une dépression, un trouble de l’adaptation ou un syndrome de stress post-traumatique, pourraient se voir reconnaître un accident du travail et être indemnisées par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). 

Évidemment, la victime doit être un «travailleur» au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et avoir déposé une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail dans les délais légaux.

Étant donné qu’il est généralement reconnu qu’une lésion à caractère psychologique ne correspond pas à la notion de «blessure», le travailleur ne pourra bénéficier de la présomption de lésion professionnelle prévue à l’article 28 LATMP. Ce dernier devra donc démontrer qu’il a subi un accident du travail.

La définition de l’«accident du travail» est prévue à l’article 2 LATMP et se lit comme suit :

«un événement imprévu et soudain attribuable à toute cause, survenant à une personne par le fait ou à l’occasion de son travail et qui entraîne pour elle une lésion professionnelle».

En présence d’un diagnostic de nature psychologique, la notion d’«événement imprévu et soudain» correspond soit à un événement unique qui a un caractère traumatisant sur la plan psychique ou encore à une série d’événements qui paraissent bénins à première vue mais qui peuvent, par leur juxtaposition ou par leur superposition, présenter le caractère d’imprévisibilité et de soudaineté requis par la définition d’«accident du travail». Ces événements doivent déborder le contexte normal et habituel de ce qui peut se produire dans un milieu de travail. Le caractère traumatique du ou des événements doit s’apprécier de manière objective et ne pas relever de la perception subjective du travailleur. Le comportement de l’employeur est également pris en considération dans l’analyse du caractère traumatisant des événements allégués. 

Le travailleur doit également démontrer un lien de causalité entre l’événement imprévu et soudain, survenu par le fait ou à l’occasion de son travail, et sa lésion psychologique.

Dans la dernière année, deux décisions sur le sujet ont attiré mon attention.

Le collègue

Dans S.P. et Centre de santé et de services sociaux A, une assistante infirmière-chef avait reçu en dehors du lieu de travail des messages texte à caractère sexuel de la part d’un collègue et elle avait été victime de violence verbale, d’intimidation et de menaces de la part de ce dernier sur les lieux du travail. Un accident du travail a été reconnu, et sa réclamation pour un trouble de l’adaptation et un syndrome de stress post-traumatique a été acceptée.

En ce qui a trait aux messages texte, le juge administratif s’exprime ainsi :

[90]        Tout d’abord, les messages à connotation sexuelle adressés [à la travailleuse par son collègue] et qui sont d’une vulgarité explicite constituent sans l’ombre d’un doute une conduite irrespectueuse, offensante, dégradante et vexatoire portant atteinte à l’intégrité d’une personne. Ceci, de l’avis de la soussignée, correspond à la définition du terme «violence» qui figure dans la Politique visant à contrer la violence et le harcèlement en milieu de travail de l’employeur […]

[91]        Il est vrai que ces messages ne sont pas adressés à [la travailleuse] alors qu’elle se trouve au travail. Toutefois, cette dernière n’entretient pas de relation extraprofessionnelle avec [son collègue].

[92]        Au surplus, le Tribunal note que le Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides prévoit ce type de situations dans une seconde politique, adoptée pour l’ensemble de ses établissements le 4 mai 2016, laquelle est intitulée Politique et procédures en matière de promotion de la civilité et de prévention du harcèlement et de la violence en milieu de travail. Il y est mentionné que la politique s’applique dans toutes les situations qui ont un lien avec le travail, sur les lieux du travail ou en dehors des lieux habituels de travail, y compris lors de l’utilisation inappropriée des technologies de l’information, et ce, peu importe où se trouve l’auteur de la conduite fautive ou l’employé du CISSS des Laurentides visé par cette conduite (ex. réseaux sociaux, blogue, message texte) [sic].

[93]        Le Tribunal comprend que cette dernière politique n’était pas en vigueur [au moment où la travailleuse a reçu les messages textes]. Toutefois, de l’avis de la soussignée, la situation décrite dans ce qui précède a manifestement un lien avec le travail dans la mesure où la seule relation qui existe entre [la travailleuse] et [son collègue] découle justement du travail.

En ce qui a trait au comportement de l’employeur, alors que la travailleuse l’avait immédiatement avisé de la réception des messages texte et s’était fait répondre qu’on ne pouvait lui être d’aucun secours étant donné que l’incident s’était produit à l’extérieur du travail, le Tribunal retient :

[94]        C’est pourquoi la réaction des supérieures hiérarchiques face à la dénonciation de ces messages apparaît étonnante, et ce, même si la Politique et procédures en matière de promotion de la civilité et de prévention du harcèlement et de la violence en milieu de travail n’était pas encore adoptée à cette époque.

[95]        La réponse de ces supérieures hiérarchiques est d’autant plus déconcertante qu’il est demandé à [la travailleuse] de colliger sous forme de rapports tous les faits relatifs aux écarts de comportement de [son collègue] 

[96]        Pourtant, selon la Politique visant à contrer la violence et le harcèlement en milieu de travail qui est en vigueur à l’époque, cette responsabilité incombe plutôt aux gestionnaires.

[…]

[99]        En l’espèce, la preuve administrée devant le Tribunal ne permet pas de conclure que la chef de service a traité la plainte informelle de [la travailleuse] en suivant ces procédures pourtant explicites.

[100]     Non seulement ces démarches n’apparaissent pas avoir été suivies par l’employeur, mais selon le témoignage non contredit de [la travailleuse], cette dernière n’a pas été informée par une gestionnaire de l’existence et des modalités de la Politique visant à contrer la violence et le harcèlement en milieu de travail […]

[…]

[102]     [La travailleuse] a donc dû réintégrer son travail en présence de cet individu bien qu’elle ait été l’objet d’avances et de propos dégradants s’apparentant à de la violence, et ce, sans la protection de ses gestionnaires à qui incombe notamment la responsabilité de tout mettre en oeuvre pour offrir dans son unité de travail, un environnement sain, respectueux des droits de chacun et exempt de toute forme de violence ou de harcèlement

Le résident

Dans K.B. et CHSLD A, on a reconnu la survenance d’un accident du travail chez une infirmière auxiliaire dans un Centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) qui avait été victime de commentaires inappropriés, la plupart du temps à caractère sexuel, d’un résident qui démontrait une «obsession-fixation» à son égard :

[208]     Ce que la travailleuse a vécu dépasse clairement le cadre normal des conditions de travail d’une infirmière auxiliaire œuvrant dans un CHSLD. L’employeur a soumis que la travailleuse devait s’attendre à une telle situation dans un CHSLD et que cela était prévisible. Avec respect pour son opinion, le Tribunal ne la partage pas. Il est vrai que l’établissement de l’employeur abrite des résidents pouvant avoir des problèmes cognitifs. Certains résidents peuvent donc avoir parfois des propos inappropriés à l’endroit du personnel. Cependant, dans la présente affaire, le résident a ciblé la travailleuse en particulier, a jeté son dévolu sur elle, a développé une fixation/obsession à son égard. Les commentaires, comportements et les propos inappropriés ont été faits de façon répétée, très fréquente. La preuve a également démontré que le résident en question claquait des portes, poussait chaises et chariots, faisait des menaces de mort à d’autres résidents […]

[209] […]. L’avocate de l’employeur soumet également qu’il n’y a pas eu de menaces verbales ou physiques ni d’attouchements envers la travailleuse, le résident « ne lui faisant que des compliments ». Il n’y a donc pas eu, selon elle, de faits objectivement traumatisants. Un tel argument est étonnant, car des propos et comportements inappropriés, la plupart du temps à caractère sexuel, répétés de façon très fréquente peuvent avoir un effet tout aussi dévastateur chez une personne sans qu’il n’y ait nécessairement de menaces. De plus, le fait que le résident s’excuse abondamment n’efface pas pour autant ses agissements et ses propos auprès de la travailleuse.

Les victimes d’inconduites sexuelles ont également d’autres recours que celui prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Notamment, elles pourraient déposer une plainte pour harcèlement sexuel en vertu de la Loi sur les normes du travail. À cet égard, je vous renvoie à un excellent billet rédigé par ma collègue France Rivard, soit Harcèlement sexuel au travail : «Sois belle et tais-toi !» Bien que celui-ci ait été rédigé en 2015, les principes auxquels il fait référence sont toujours applicables. 

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