Vendeur, représentant, auxiliaire à domicile, technicien de téléphonie ou de câblodistribution… Certains métiers sont plus susceptibles que d’autres d’exposer les travailleurs au risque d’être attaqué par un chien. Quelques cas de travailleurs indemnisés par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST).
Les principes
L’article 326 alinéa 1 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles prévoit que la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) «impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi». L’alinéa 2 de cet article énonce toutefois que la CNESST peut, de sa propre initiative ou à la demande d’un employeur, imputer le coût de ces prestations aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet, notamment, de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident attribuable à un tiers.
Quant à l’effet injuste de l’imputation, la Commission des lésions professionnelles a rendu une décision de principe par une formation de trois juges administratifs dans Québec (Ministère des Transports) et Commission de la santé et de la sécurité du travail. Il en ressort que la notion d’«injustice» doit être appréciée à la lumière des risques inhérents aux activités de l’employeur, c’est-à-dire qui sont liés de manière étroite et nécessaire à celles-ci.
En règle générale, on considère qu’il n’est pas injuste que l’employeur supporte le coût d’un accident du travail survenu dans le contexte de ses activités, à moins qu’il ne s’agisse de circonstances exceptionnelles ou anormales.
Dans Location Robert & Fils inc., le Tribunal administratif du travail a rappelé qu’un chien est étranger au rapport juridique qui existe entre le travailleur et l'employeur et qu’il s'agit d'un tiers au sens de l'article 326 alinéa 2.
Voici quelques exemples tirés de la jurisprudence qui mettent en scène des travailleurs blessés par des chiens dans l’exercice de leurs fonctions.
L’employeur demeure imputé des coûts
Le travailleur a subi une lésion professionnelle lorsqu'un chien lui a sauté dessus par-derrière alors qu'il cognait à la porte d'un client (Location Robert & Fils inc.). La juge Burdett :
[28] Dans les faits, la raison d’être de l’employeur et son activité principale visent la vente et la réparation de pelles mécaniques, de tracteurs et d’autres machineries de ce type et c’est dans ce contexte que le travailleur est appelé à se rendre directement chez des clients dans ses tâches de vendeur et de représentant.
[29] De l’avis du Tribunal, le travailleur est alors susceptible d’entrer en contact avec un chien et le fait pour le travailleur d’effectuer ses activités de vente et de représentation en se rendant chez des clients comporte un risque d’être importuné ou possiblement blessé par des chiens. […]
[…]
[33] Le Tribunal considère donc qu’il n’est pas injuste d’imputer à l’employeur le coût des prestations versées en raison de l’accident du travail provoqué par un tiers […].
[Les caractères gras sont ajoutés.]
Une auxiliaire à domicile pour un CLSC a été attaquée par le chien d'une bénéficiaire qui circulait librement dans l'appartement et qu'elle caressait régulièrement alors qu'elle avait signé un engagement prévoyant que tout animal domestique devait être isolé ou attaché (CSSS St-Jérôme et Commission des normes, de l'équité, de la santé et sécurité du travail). La juge Piché :
[30] […] tant la bénéficiaire que la travailleuse sont responsables de la survenance de l’accident en parts égales puisque ni l’une ni l’autre ne respecte l’engagement exigé visant spécifiquement à éviter ce genre de situation. Le fait qu’il s’agisse d’un chien prohibé par la ville de Saint-Jérôme n’influence en rien cette trame factuelle et la conclusion qui en découle.
[31] Considérant ces éléments, il n’est donc pas possible de conclure à la contribution majoritaire d’un tiers dans ce dossier, à savoir la gardienne du chien. […]
[32] Au surplus, la soussignée considère qu’il n’est pas injuste pour l’employeur de supporter les coûts afférant à cet accident du travail.
[Les caractères gras sont ajoutés.]
Une auxiliaire familiale à domicile a été attaquée par trois chiens en arrivant chez un bénéficiaire (Centre de santé et de services sociaux des Pays-d'en-Haut). La juge Montplaisir :
[29] […] [la travailleuse] doit se déplacer d'un domicile à un autre pour prodiguer des soins aux bénéficiaires. Dans ces circonstances, [elle] est susceptible, tout comme les inspecteurs de municipalités, les livreurs de courrier et les releveurs de compteurs d'électricité, d'entrer en contact avec toutes sortes d’animaux, dont des chiens.
[30] Le travail de [la travailleuse] comporte donc des risques inhérents d'être importunée par des animaux domestiques.
[31] Le tribunal estime, par ailleurs, que l'employeur n'a pas démontré que les circonstances de l'accident du travail dont [la travailleuse] a été victime le 19 décembre 2007 sont inusitées ou exceptionnelles.
[Les caractères gras sont ajoutés.]
Les coûts sont transférés aux autres employeurs
Un technicien en téléphonie s’est brisé une vertèbre lorsqu'il a fait une chute en sautant une clôture pour fuir un chien Husky qui l'avait attaqué (Bell solutions techniques inc.). Le juge Denis :
[17] À cet effet, le travailleur prend toutes les précautions requises afin de s’informer s’il peut y avoir la présence d’un chien dans le périmètre du quadruplex; de plus, celui-ci scrute la cour arrière afin de s’assurer que des jouets ou des excréments ne jonchent le sol indiquant la présence d’un chien avant de procéder à son installation.
[18] À la suite de ces précautions, rien ne permettait d’assumer qu’un chien agressif n’apparaisse et charge le travailleur qui se trouvait alors piégé et enclavé dans une allée étroite bordée par une clôture de six pieds; aucune issue ne se présentait au travailleur pour échapper à l’animal et celui-ci a dû sauter par-dessus la clôture, entraînant une blessure et de ce fait son accident du travail.
[19] […] la preuve factuelle reflète des circonstances inhabituelles, exceptionnelles ou anormales et l’employeur n’a pas à supporter injustement le coût des prestations de l’accident du travail subi par [le travailleur].
[Les caractères gras sont ajoutés.]
Alors qu'il était sur un balcon du deuxième étage pour faire des tests, un réparateur de câbles a été attaqué par deux chiens qui sont passés à travers la moustiquaire, le faisant chuter en bas du balcon (Bell Canada)
La juge Montplaisir :
[34] Le travail [du travailleur] comporte donc des risques inhérents d'être importuné par des animaux domestiques.
[…]
[47] Le tribunal estime que le cas [du travailleur] s'apparente à une situation de guet-apens ou de piège et qu’il serait inéquitable d'imputer à l'employeur le coût des prestations dues en raison de la lésion professionnelle subie par ce dernier le 24 septembre 2008 en raison du caractère extraordinaire, inusité, rare et exceptionnel des circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel.
[48] Le tribunal retient du témoignage crédible et non contredit [du travailleur] que ce dernier a pris toutes les mesures possibles pour éviter ce type d'incident. Lorsqu'il s'est présenté sur les lieux, il n'y avait aucun indice lui permettant de détecter la présence de chiens tels des aboiements, des bruits provenant d'un collier en métal de chien, de ses médailles d'identification ou de ses griffes sur les dalles, une affiche indiquant la présence d'un chien, une corde attachée à la maison, une niche, un récipient d'eau ou de nourriture, des jouets de chien, des traces de brûlure sur la pelouse, la présence d'excréments, l'usure de la pelouse à divers endroits ou des traces d'animaux dans la neige.
[49] [Le travailleur] a confirmé qu’il a suivi les recommandations du Programme de prévention des accidents en faisant preuve de vigilance, en annonçant sa présence au client et en se faisant entendre par les chiens au moment d'escalader l'escalier menant à l'équipement où il devait effectuer les tests.
[Les caractères gras sont ajoutés.]
Un camionneur pour une entreprise de transport de marchandises a été mordu par un chien gardé dans un enclos alors qu'il livrait des matériaux dans la cour d'une entreprise de briques et de pierres et qu'il détachait les courroies de sa remorque (Transport R. Mondor (1999) ltée et Brique & Pierre Provinciales inc.).
Le juge Arsenault :
[25] Le tribunal estime que le fait pour le camionneur d’une entreprise de transport de marchandises de se faire mordre par un chien sur les lieux où il effectue une livraison ne relève pas des risques inhérents aux activités de l’employeur qui consistent à faire le transport routier de marchandises effectué à l’aide de différents types de camions. Le tribunal tient à souligner que le travailleur effectuait une livraison non pas à une maison privée mais à un commerce de briques et de pierres.
[…]
[29] Le travailleur affirme […] qu’il ne s’est pas approché du chien ni posé aucun geste quelconque à son endroit. Il a simplement fait son travail habituel. Il a d’abord détaché les courroies qui maintenaient sur la remorque de son camion la charge qu’il s’apprêtait à livrer à la partie intéressée. Durant qu’il exécutait ce travail, le chien n’a manifesté aucune agressivité ou montré des signes de dangerosité. Alors que le travailleur, après avoir désamarré sa charge, circulait dans l’espace situé entre son camion et la remorque qui y était attachée et l’enclos où était gardé le chien, ce dernier l’a mordu à la main droite. Compte tenu de la conduite du chien dans les instants qui ont précédé cette morsure, le travailleur ne pouvait raisonnablement anticiper cette agression.
[30] Dans les circonstances, la situation présente un « caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel » de la nature d’un guet-apens ou d’un piège.
[Les caractères gras sont ajoutés.]
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