La loi

L’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, qui figure dans le chapitre sur le financement de la loi, se lit comme suit :

«La Commission impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi. (al. 1)

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d’un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers ou d’obérer injustement un employeur. (al. 2)

L’employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d’un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l’année suivant la date de l’accident. (al. 3)»

[Les caractères gras sont ajoutés.]

Les faits

Le 15 août 2011, le travailleur a subi une lésion professionnelle le rendant incapable d’exercer son emploi et la CSST lui a reconnu le droit à une indemnité de remplacement du revenu (IRR). Au mois de septembre suivant, l’employeur lui a assigné temporairement un autre travail. Dès lors, il a versé son salaire au travailleur, de sorte que la CSST a cessé de lui verser l’IRR. Le 14 mars 2012, un différend quant à la portée de l’assignation temporaire est survenu entre l’employeur et le travailleur. Ce dernier s’est emporté et s’est mis à blasphémer. Il a été congédié sur-le-champ. La CSST a recommencé à verser l’IRR au travailleur. L’employeur a demandé un transfert du coût de l’IRR versée au travailleur à compter du 15 mars.

La décision de la CLP (Supervac 2000)

Traditionnellement, les demandes de transfert partiel de coûts étaient surtout analysées sous l’angle de l’alinéa 2 de l’article 326 et de la notion de «obérer injustement». Dans Supervac 2000, la CLP a estimé que cet alinéa visait seulement les demandes de transfert total liées à des éléments relatifs à l’admissibilité de la lésion professionnelle, ce qui justifiait le délai de un an prévu au troisième alinéa de cet article.

La CLP a décidé que les demandes de transfert partiel devaient être analysées sous l’angle du principe général d’imputation prévu au premier alinéa. Puis, analysant les termes «prestations dues en raison d’un accident du travail» figurant à cet alinéa, elle a jugé qu’il devait exister un lien direct entre l’imputation des prestations versées et l’accident du travail. Par conséquent, les prestations qui n’étaient pas dues en raison d’un accident du travail devaient être retirées du dossier de l’employeur.

La CLP a reconnu le droit du travailleur à la reprise du versement de l’IRR après le congédiement mais a décidé que le coût ne devait pas être imputé au dossier de l’employeur. À cet égard, elle s’exprime de la façon suivante :

[142]     Toutefois, le tribunal est d’opinion qu’il faut faire une distinction entre l’imputation du coût de ses prestations et le droit à l’indemnité de remplacement du revenu. […]

Appliquant ce raisonnement aux faits de la cause, la CLP a décidé que le coût de l’IRR versée au travailleur à compter du 15 mars 2012 n’était pas dû en raison de l’accident du travail survenu le 15 août 2011, mais plutôt à cause d’une situation étrangère à cet accident, soit le congédiement disciplinaire du travailleur. Par conséquent, elle a ordonné le transfert du coût de ces prestations à l’ensemble des employeurs.

Le jugement de la Cour supérieure

La Cour supérieure a rejeté la requête en révision judiciaire de la CSST, estimant que la décision de la CLP dans Supervac 2000 n’était pas déraisonnable.

Courants jurisprudentiels

Depuis la décision de la CLP dans Supervac 2000, la majorité des juges du Tribunal (le Tribunal administratif du travail (TAT) depuis le 1er janvier 2016) se sont ralliés à son raisonnement. Cependant, d’autres décideurs, notamment dans Terrebonne Ford inc., Datamark inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail et Rona inc., ont exprimé leur désaccord avec cette interprétation.

Le jugement de la Cour d’appel

Le 24 janvier 2018, la Cour d’appel a accueilli l’appel de la CSST et a infirmé la décision de la CLP.

Voici quelques extraits des motifs du juge Vézina, auxquels souscrivent les juges Thibault et St-Pierre :

[42]        Certes, le droit aux indemnités et l’imputation de leur coût sont choses distinctes. Mais, soit dit avec égards, je ne vois rien dans cette dualité, ni dans l’article 326, ni dans le chapitre du Financement, ni dans l’ensemble de la Loi qui puisse fonder l’opinion que certaines indemnités, telle l’i.r.r., ou une partie de celles-ci, ne seraient pas visées par la règle générale d’imputation du « coût des prestations » (art. 326, 1er al.).

[43]        La Loi édicte que toute « indemnité versée… en vertu de la présente loi » constitue une « prestation » (art. 2) et l’i.r.r. est bien une indemnité versée en vertu de la Latmp et constitue une partie du « coût des prestations ».

[…]

[48]        La Loi ne comporte ni indemnité ni prestation qui ne soit pas « en raison d’un accident du travail ».

[…]

[53]        Le premier alinéa de l’article 326 constitue une règle générale d’imputation du coût total de la réparation d’une lésion professionnelle, incluant toutes les indemnités versées en vertu de la Loi. La conclusion que son libellé en exclurait certaines n’est pas « une issue possible » de l’interprétation de cette disposition. Elle est donc déraisonnable et doit être écartée.

[…]

[60]        Pour conclure que cette expression [le coût des prestations] ne vise qu’un transfert du coût total des prestations et exclut un transfert partiel, la Juge s’appuie a contrario sur un autre article du même chapitre (art. 329) qui traite d’une imputation « de tout ou partie des prestations » dans le cas d’un travailleur déjà handicapé. […]

[…]

[63]        Dégager l’intention du législateur à partir du mot à mot de la loi était auparavant la règle d’or de l’interprétation; on tranchait alors ex cathedra que « le législateur ne parlait pas pour ne rien dire ». Heureusement, la méthode moderne d’interprétation donne prédominance à l’esprit sur la lettre. Ainsi, dans l’arrêt Ville de Montréal c. 2952-1366 Québec Inc., la Cour suprême réitère que le seul libellé d’une disposition ne suffit pas pour l’interpréter correctement […].

[64]        […] Parfois les mots de la loi traduisent mal l’intention du législateur. Il faut en étudier toutes les dispositions pour en dégager une vision globale qui permet ensuite de revenir à chacune pour l’interpréter dans une juste perspective.

 […]

[68]        La formule selon laquelle la Commission « peut imputer le coût des prestations » à d’autres que l’employeur lui donne certes le pouvoir de transférer la totalité de ce coût mais elle ne lui dénie pas le pouvoir de n’en transférer qu’une partie. Qui peut le plus peut le moins. Un transfert total ne serait pas sensé si seule une partie de l’imputation cause problème et il en est de même de refuser un transfert partiel parce que le problème ne découle pas de la totalité de l’imputation, mais d’une partie seulement de celle-ci.

[…]

[72]        Le second motif de la Juge pour exclure un transfert partiel d’imputation s’appuie sur l’exigence de le demander « dans l’année qui suit la date de l’accident » (al. 3), ce qui limiterait l’exception à « des motifs liés à l’admissibilité même de la lésion professionnelle » et exclurait donc qu’il puisse résulter d’un fait postérieur, tel ici le congédiement. […]

[73]        Cet argument repose sur le libellé même de cet alinéa et nous ramène à celui tiré a contrario de l’article 329.

[74]        Les motifs ci-dessus exprimés sur le danger de s’en tenir à une interprétation littérale valent tout autant eu égard à ce second argument de texte.

[75]        J’ajouterais que la procédure prévue pour bénéficier de l’exception prévue au deuxième est de peu d’utilité pour déterminer le droit substantif d’un employeur à cette exception. La procédure est la servante du droit et non sa maîtresse.

[76]        Le délai d’un an n’est pas de rigueur. Il ne court que du jour où le droit à l’exception naît, soit, ici, à compter du congédiement.

[77]        Bref, l’interprétation téléologique doit prévaloir sur toute interprétation simplement littérale du deuxième alinéa.

[78]        L’objectif de la Loi du volet Financement du régime est de responsabiliser l’employeur, mais sans l’«obérer injustement». Une interprétation de la disposition qui permet d’éviter toute imputation excessive est tout à fait compatible avec cet objectif et elle est à privilégier puisqu’elle permet de corriger une injustice, comme celle que l’Employeur invoque ici du fait de l’imputation du coût postérieur au congédiement. Reste à déterminer si tel est le cas.

[Les caractères gras sont ajoutés.]

Et la Cour d’appel renvoie le dossier au TAT afin qu’il décide si l’employeur est obéré injustement par l’imputation de l’IRR versée au travailleur après son congédiement.

Les paris sont ouverts.

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