C’est bien connu, la peur peut nous nous pousser à des actions désespérées. Elle peut au contraire nous paralyser. Dans certains cas, elle peut aussi nous amener à dissimuler des faits. Ainsi, si vous êtes un prestataire de la sécurité du revenu dans une situation de violence conjugale, êtes-vous en mesure de divulguer votre situation véritable au ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MESS) ? Non, pas toujours. Et ça, le législateur l’a prévu. 

L’article 89 de la Loi sur l’aide aux personnes et aux familles prévoit que les conjoints sont tenus solidairement au remboursement de certaines prestations de la sécurité du revenu, sauf, notamment, si «le conjoint qui démontre qu’il a été dans l’impossibilité de déclarer sa situation réelle en raison de la violence de son conjoint à son égard ou à l’égard d’un enfant à sa charge». Dans un tel cas, seul l’autre conjoint est débiteur de la totalité de la dette.

Il est souvent question de recouvrement de prestations reçues sans droit en raison de situations non déclarées de vie maritale ou de revenus de travail.

Qui peut invoquer l’article 89 ?

Le MESS a annulé les prestations du requérant et lui a réclamé, solidairement avec la conjointe, le remboursement d’une somme en raison d’une situation de vie maritale non déclarée. La conjointe a fait valoir qu’elle était dans l’impossibilité de déclarer sa situation réelle en raison de la violence conjugale qu’elle subissait et qu’elle ne devait pas être tenue au remboursement solidaire de la dette. Or, l’article 36 de la loi et l’article 30 du Règlement sur l’aide aux personnes et aux familles précisent que c’est au bénéficiaire de l’aide financière qu’incombe la responsabilité de déclarer au MESS, sur une base mensuelle, sa situation réelle. En l’espèce, le requérant a été l’unique bénéficiaire de l’aide financière pour l’ensemble de la période en litige. Ainsi, pour l’ensemble de cette période, c’est lui qui devait déclarer, sur une base mensuelle, sa situation réelle au MESS. La conjointe ne pouvait bénéficier de l’exception prévue à l’article 89 puisqu’elle n’était pas prestataire de l’aide financière. De ce fait, rien ne l’obligeait à déclarer sa situation réelle au MESS. L’intention du législateur est d’accorder le bénéfice de l’exception au principe de la solidarité de la dette à la personne qui est à la fois prestataire et victime de violence conjugale (C.L. (Succession de)).

Voici quelques exemples où le requérant ou la requérante a prétendu que, étant victime de violence conjugale, il ou elle était dans l’impossibilité de déclarer sa situation réelle.

Solidarité de la dette maintenue : situation de dépendance affective

Ce n’est que lors de l’audience que la requérante a évoqué la réelle situation de violence conjugale dont elle aurait été victime. Son conjoint et elle se sont connus et mariés durant l’une des incarcérations de celui-ci. La requérante connaissait son passé de violence. Malgré un interdit de contacts, elle a quand même entretenu une relation avec lui. Il n’y a pas de preuve qu’elle ait entrepris des démarches afin d’être aidée dans sa recherche d’un autre milieu de vie. Au contraire, elle a refusé les propositions qui lui ont été faites. Elle n’a pas établi qu’elle avait des motifs raisonnables l’empêchant d’informer son agent d’aide sociale ou tout autre aidant de la situation de violence dont elle était victime. À de nombreuses reprises elle a eu la possibilité de mettre fin à cette relation. Bien qu’il y ait des ressources d’aide aux victimes de violence conjugale, il faut toutefois que la victime veuille vraiment se soustraire à cette situation. Pendant toute la période en litige, alors que le conjoint était incarcéré, la requérante est allée le visiter et s’est occupée de gérer ses affaires. Il s’agit d’une relation de dépendance affective. La requérante a fait le choix de son conjoint en occultant les recours au soutien dont elle aurait pu bénéficier. Elle n’a pas démontré que son fonctionnement et ses capacités de prendre des décisions pouvaient rendre improbable toute initiative ou démarche afin de ne plus être en contact avec le conjoint. Elle est tenue au remboursement solidaire des prestations (C.P.).

Désolidarisation de la dette : dépendance financière, menaces, manipulation et fragilité psychologique

Le requérant se trouvait dans une situation où il était fondé à craindre les agissements de sa conjointe, ce qui peut être assimilé à de la violence, et ce, compte tenu du fait qu’il entretenait une certaine dépendance à l’égard de cette dernière en raison de son état de santé fragile. Il n’était pas autonome et avait besoin de son aide pour lui fournir des soins et pour effectuer les tâches quotidiennes. De plus, la conjointe était son seul soutien financier, ce qui le rendait encore plus dépendant envers elle. Cette situation est confirmée par le rapport d’un psychologue qui a constaté la domination et le manque de respect de la conjointe à son égard. Le requérant peut donc être libéré de la dette qu’il devait rembourser solidairement avec la conjointe (R.F.).

La requérante était dans une situation où la violence du conjoint était centrale dans sa vie. Elle ne pouvait la mettre de côté, ses décisions de faire ou de ne pas faire certaines choses étant teintées par ce contexte de violence. Il est vrai que la preuve ne démontre pas qu’elle ait été expressément menacée de violence advenant le cas où elle aurait dénoncé au MESS le fait qu’elle et le conjoint étaient des conjoints. Cependant, la violence conjugale prend des formes multiples, dont des menaces, des coups et de la manipulation. Le contexte est souvent celui d’un abuseur à l’endroit d’une personne dépendante ou vulnérable. Les personnes qui en sont victimes — généralement des femmes — ne réussissent pas toujours à s’en sortir et, si elles réussissent, cela est fréquemment à la suite d’un processus long et laborieux. C’est le cas en l’espèce. Le conjoint est donc le seul responsable du remboursement de la dette (C.G.).

La requérante se trouvait dans une situation de violence conjugale. Cette violence a commencé quelques mois après le début de la cohabitation et s’est poursuivie durant toute la vie commune. La preuve documentaire permet de constater divers appels faits auprès des autorités policières et des plaintes relatives à la violence conjugale exercée à l’égard de la requérante. La preuve révèle également de nombreux séjours dans des maisons d’hébergement. La Direction de l’indemnisation des victimes d’actes criminels (IVAC) a accueilli les 2 demandes d’indemnité de la requérante relatives à la violence conjugale subie et lui a accordé un taux de déficit anatomo-physiologique psychologique de 45 %. La fragilité psychologique et les abus de substances rapportés par les experts et les intervenants dans le contexte des dossiers IVAC ne sont certes pas étrangers à la situation de la requérante, qui retournait auprès du conjoint après ses séjours en maisons d’hébergement, et à l’emprise de ce dernier sur elle. Ils teintent leur relation. La requérante était prise dans la dynamique de la violence. Le conjoint a été accusé de voies de fait à l’endroit de policières lors d’une intervention pour violence conjugale. Cet événement est probant et mine sa crédibilité. La requérante n’a pas à être tenue responsable de la réclamation (S.L.)

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