[1] Un centre hospitalier qui n’a rien à se reprocher peut-il être tenu responsable de la faute d’un médecin qui exerce ses privilèges de pratique dans son établissement ? Il s’agit d’une question qui a fait l’objet d’un débat pendant plus de 40 ans et qui vient de trouver sa réponse avec l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Hôpital de l’Enfant-Jésus c. Camden-Bourgault1 , rendu le 2 avril 2001. En effet, en première instance, le juge Édouard Martin s’est fondé exclusivement sur l’arrêt Lapointe c. Hôpital Le Gardeur2 , rendu en 1989, pour conclure à la responsabilité de l’hôpital pour la faute commise par le médecin en vertu d’une théorie juridique reposant sur l’existence d’un contrat hospitalier. La Cour d’appel, sous la plume du juge Rochon, a unanimement rejeté cette thèse. Cet article expose les motifs de la Cour et vise à éclairer le lecteur sur la qualification des relations juridiques entre les bénéficiaires, les hôpitaux et les médecins au fil des ans.

Le régime dit contractuel

[2] Jusqu’en 1987, nous dit le juge Rochon, les tribunaux ont examiné la relation triangulaire médecin-bénéficiaire-hôpital en ayant exclusivement recours aux règles de la responsabilité civile, d’abord délictuelle puis contractuelle. En ce qui concerne la responsabilité délictuelle, depuis l’arrêt de la Cour suprême dans Hôpital Notre-Dame de l’Espérance c. Laurent3 en 1978, il est reconnu que le médecin n’est pas le préposé de l’hôpital au sens des articles 1053 et ssq. du Code civil du Bas Canada.

[3] Reconnue jusqu’à aujourd’hui, la thèse d’un régime contractuel des relations médecin-bénéficiaire-hôpital remonte à une époque où l’organisation des soins de santé relevait exclusivement de rapports privés. Elle a été mise de l’avant principalement par le professeur Crépeau4 dans un ouvrage paru en 1956. Reprise par le juge LeBel dans Lapointe, cette thèse énonce qu’il existe un contrat hospitalier dans lequel la relation contractuelle serait d’une nature comparable aux contrats de transport public ou de services comme le téléphone. L’accord de volontés repose alors essentiellement sur le choix du bénéficiaire de contracter avec telle ou telle institution. Le contenu du contrat hospitalier englobe non seulement le cadre physique et une structure organisationnelle, mais également la prestation médicale. En effet, suivant la maxime Qui agit per se agit per alium, l’établissement hospitalier assume des responsabilités semblables à celles d’un entrepreneur général qui confie à des sous-traitants l’exécution d’une partie de ses obligations en raison du caractère de spécialisation des compétences.

[3] Or, le juge Rochon, se faisant l’écho d’un fort courant doctrinal véhiculé notamment par les auteurs Molinari, Baudouin et Lajoie5 , explique qu’au fil des ans les relations entre les différentes parties en sont venues à ne plus relever que du droit public. Selon ces derniers, « le droit aux services de santé prend sa source dans la loi, indépendamment de la volonté d’un prestateur et sans l’intervention d’un contrat préalable 6».

La mise en place progressive d’un régime dit légal

[ 4] La Loi de l’assurance hospitalisation7 a, en 1960, été la première étape de l’évolution de notre système de santé. Cette loi a mis en place un mécanisme de subvention aux centres hospitaliers par lequel les services hospitaliers devenaient gratuits pour les seuls patients hospitalisés. Par contre, le droit à l’hospitalisation n’était soumis à aucune règle de droit public et relevait de la sphère des rapports privés. Il y avait nécessité d’un contrat car, sauf urgence, le centre hospitalier était libre d’accepter ou de refuser l’hospitalisation d’un patient. Le médecin demeurait également libre de traiter un patient, même en milieu hospitalier.

[5] La seconde étape a été l’adoption, en 1970, de la Loi de l’assurance-maladie8 , qui décrète notamment la gratuité « des services que rendent les médecins et qui sont requis au point de vue médical », qu’ils soient rendus à l’hôpital, en clinique ou en cabinet privé. Mais encore rien n’oblige un établissement à fournir des soins.

[6] L’année suivante, avec l’adoption de la Loi sur les services des santé et les services sociaux9 , une obligation légale de fournir des soins est instituée, bien que, tenant compte « de l’organisation et des ressources », elle ne crée pas un droit strict à l’hospitalisation. Ce dernier est apparu, enfin, avec la mise en vigueur du Règlement en vertu de la Loi sur les services de santé et les services sociaux10 . Ce droit ne dépend plus d’un accord de volontés mais obéit à des dispositions réglementaires précises.

Une évolution jurisprudentielle nécessaire

[ 7] Après avoir ainsi exposé l’historique législatif, le juge Rochon estime que, eu égard à la responsabilité des hôpitaux, la thèse du régime contractuel créant une responsabilité sans faute et affirmée dans l’arrêt Lapointe doit être définitivement écartée. En effet, dit-il, « de son application résulterait un bien étrange contrat, conclu par une partie, l’hôpital, qui n’est pas libre d’y consentir » et qui « porterait sur une matière réservée exclusivement, sous peine de nullité, à la profession médicale 11».

[8] En premier lieu, les dispositions de la Loi sur les services de santé et les services sociaux établissent une nette distinction entre les services que doivent fournir les centres hospitaliers, d’une part, et la prestation médicale du médecin, d’autre part. Le législateur confie aux hôpitaux l’organisation physique et structurelle ainsi que certaines « responsabilités » en vue d’assurer la qualité des actes médicaux. Ces dispositions n’établissent pas en soi de régime de responsabilité sans faute de l’hôpital, car il s’agit essentiellement d’un mandat de surveillance et de formation permanente. En outre, les hôpitaux accordent des privilèges d’exercice aux médecins, ce qui ne confère pas à ces derniers un statut d’employé ou de préposé. Dans le cadre législatif déjà évoqué, le médecin ne fait pas partie du personnel hospitalier et il est rémunéré par la Régie de l’assurance-maladie. D’ailleurs, il a déjà été décidé que la relation entre le médecin et le centre hospitalier n’est pas de la nature d’un contrat de travail12 . En outre, la Loi médicale13 , une loi contenant des dispositions prohibitives et de droit public, confie l’exercice exclusif de la médecine aux médecins. Toute convention contraire serait nulle, et l’hôpital ne peut s’engager à une prestation de services prohibée par la loi. De plus, cet engagement serait sans considération puisque la Loi sur l’assurance-maladie prévoit que la rémunération est versée au médecin et non à l’hôpital (art. 3 a) ). Cette situation juridique ne peut être comparée à celle d’un entrepreneur général, qui demeure le débiteur de l’obligation et dont la responsabilité contractuelle du fait d’autrui sera engagée. Or, la responsabilité contractuelle du fait d’autrui implique nécessairement que le débiteur principal de l’obligation ait la capacité première de s’engager, ce qui n’est pas le cas du centre hospitalier. En l’absence d’un texte législatif instaurant la responsabilité sans faute, celle-ci ne peut jouer.

[9] Le juge Rochon clôt sa réflexion en répondant à certains arguments mis de l’avant par les tenants de la thèse du régime contractuels, pour lesquels « la complexité scientifique grandissante, la difficulté de différencier l’acte médical de l’acte infirmier, la prise en charge par l’État des soins de santé, constitueraient des motifs valables pour instaurer un régime étatique de responsabilité sans faute. Les institutions hospitalières en leur qualité d’organisatrices générales des soins de santé indemniseraient les victimes à la suite d’une faute lors de la prestation médicale. 14»

[10] On ne peut, dit le juge Rochon, pour des motifs sociologiques ou de commodité, élargir le concept de préposition, car le corpus législatif assure au médecin une autonomie d’exécution pour des motifs sains. À cet égard, le législateur a refusé d’inscrire à la Loi sur les services de santé et les services sociaux, au moment de son élaboration, un article qui prévoyait justement un lien de préposition. De plus, le domaine médical et hospitalier ne pose pas de difficulté inextricable qui empêcherait une personne d’identifier correctement l’auteur du dommage. D’autre part, l’obligation de s’assurer, tant pour le médecin que pour l’hôpital, est susceptible de calmer certaines appréhensions légitimes concernant la perte de solidarité, dans certains cas, par l’effet du passage d’un régime de responsabilité contractuelle à un régime de responsabilité fondé sur la loi. Au demeurant, ajoute le juge Rochon, le régime contractuel du fait d’autrui ne couvre pas toutes les situations et il faudra encore recourir aux règles de la responsabilité extracontractuelle, ce qui maintiendra pour le demandeur les difficultés associées à l’option de recours.

[11] En définitive, conclut le juge Rochon, un établissement hospitalier ne saurait répondre d’un acte médical sur lequel il ne peut exercer aucun contrôle et dont la loi confie la prestation exclusive à un médecin. Puisque, dans l’affaire Hôpital de l’Enfant-Jésus, l’intimée ne fait aucun reproche à l’hôpital ou à son personnel relativement à sa structure, à son plan d’organisation, à l’attribution ou au renouvellement des privilèges du médecin fautif, la responsabilité de l’hôpital ne peut être engagée.

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