[1] Au cours du mois de juillet 2001, la Cour suprême du Canada a eu à déterminer les effets de la nullité d’un contrat de services juridiques conclu avec un non-avocat sur la validité des actes de procédure qui en ont résulté et qui ont été présentés par la suite devant la Cour supérieure du Québec.

[2] Les intimés, qui se représentaient seuls dans le cadre d’une procédure en injonction, voulaient faire cesser les écoulements d’eau en provenance d’un terrain voisin qui appartenait au mis en cause Chrétien. Ne pouvant s’offrir les services d’un avocat et n’étant pas admissibles à l’aide juridique fournie par l’État québécois, ils ont choisi d’adhérer à un club juridique, une association fondée par un dénommé Descôteaux. Celui-ci a rédigé et préparé les actes de procédure qu’il jugeait nécessaires à la défense des droits de ses clients. Chrétien a demandé le rejet de l’action des intimés puisque la procédure aurait été faite en contravention avec les dispositions de l’article 128 de la Loi sur le Barreau.

[3] Le juge de première instance a accueilli la requête en irrecevabilité du mis en cause Chrétien et il a rejeté la requête en injonction interlocutoire ainsi que l’action en injonction permanente des intimés3. La Cour d’appel du Québec, saisie du dossier, a permis l’intervention du Barreau du Québec, qui désirait défendre l’application de la Loi sur le Barreau. Avant d’accueillir l’appel des intimés4, la Cour a considéré que les lois établissant les normes professionnelles étaient d’ordre public politique et moral puisqu’elles avaient été adoptées dans le but de protéger l’intérêt du public en général et qu’un contrat conclu en violation d’une disposition d’ordre public était frappé de nullité absolue. La Cour d’appel s’est ensuite penchée sur la possibilité que cette nullité absolue ne soit que partielle. Elle a conclu que l’article 61 du Code de procédure civile5 permettait aux intimés de se représenter seuls et qu’il ne leur était pas interdit de se faire aider et conseiller par des personnes qui ne sont pas membres du Barreau pourvu qu’aucun mandat ne soit donné à ces personnes. En conséquence, la Cour d’appel a déclaré que l’article 128 paragraphe 1 b) de la Loi sur le Barreau ne devait pas être interprété de façon à interdire ces actes. Concluant à la nullité absolue du contrat liant les intimés et le club juridique, la Cour d’appel a néanmoins reconnu la validité des actes de procédure déposés par les intimés. Le Barreau du Québec a interjeté appel de cet arrêt.

Le jugement de la Cour suprême du Canada

[4] Le plus haut tribunal du pays, sous la plume du juge Gonthier, a d’abord étudié les dispositions du Code des professions6, notamment celles de l’article 26 relatives au droit exclusif d’exercer une profession. Puis, la Cour s’est penchée sur celles de l’article 128 de la Loi sur le Barreau, qui énoncent les actes du ressort exclusif des avocats et conseillers en loi lorsqu’ils sont exécutés pour le compte d’autrui, et sur la mission du Barreau, qui consiste à protéger le public des agissements dérogatoires de ses membres mais également des non-membres qui n’offrent aucune garantie de compétence, d’intégrité, de confidentialité et d’indépendance. En effet, la personne qui agit à l’encontre des dispositions impératives de l’article 128 de la Loi sur le Barreau s’expose d’abord à des sanctions pénales, les articles 132 à 140 de la loi interdisant l’exercice illégal de la profession d’avocat et soumettant le contrevenant à l’imposition d’une amende pouvant atteindre 6 000 $. Par ailleurs, la Cour suprême a précisé que la convention conclue à l’encontre de la Loi sur le Barreau pouvait également faire l’objet de sanctions en application des principes de droit civil (art. 1385 à 1415 du Code civil du Québec7 ) et que le contrat dont la cause est prohibée par une loi d’ordre public pour la protection de l’intérêt général est frappé de nullité absolue (art. 1417 C.C.Q.). À l’instar de la Cour d’appel, la Cour suprême a jugé que la Loi sur le Barreau est d’ordre public puisqu’elle vise la protection de l’intérêt général. Par la suite, la Cour s’est attardée aux effets de la nullité absolue du contrat liant le club juridique et les intimés sur la procédure intentée par ces derniers. À cet égard, l’appelant a invoqué les articles 1422 et 1699 C.C.Q. et il a prétendu que les actes de procédure résultant d’un contrat nul devaient être restitués au club juridique, empêchant ainsi les intimés de s’en servir. Or, le juge Gonthier a établi une distinction entre l’objet du contrat, qui est en fait l’opération juridique réalisée par les parties et qui doit être considérée comme un tout (art. 1412 C.C.Q.), et l’objet de l’obligation que constitue la prestation à laquelle s’est engagé le débiteur (art. 1373 C.C.Q.). Le juge a considéré que le club juridique avait accepté, moyennant une contrepartie financière, de donner un certain nombre de conseils aux intimés en matière de rédaction de procédures. Or, ces actes de procédure ne sont que l’expression matérielle des connaissances qui ont été transmises aux intimés. Par conséquent, l’acte de procédure était un acte distinct de la convention des parties. L’objet de l’obligation du club juridique se serait limité à la préparation et à la rédaction de l’acte de procédure; la procédure judiciaire qui a par la suite été présentée devant les tribunaux appartiendrait aux intimés à titre de justiciables se représentant seuls (art. 61 C.P.C.).

[5] Le juge Gonthier a par la suite abordé la théorie de la nullité partielle sur laquelle s’était fondée la Cour d’appel et qui est exposée à l’article 1438 C.C.Q. Cette théorie consiste à supprimer une clause ou une partie matérialisée d’un acte sans pour autant qu’il soit lui-même soit anéanti. Toutefois, comme le contrat confié au club juridique ne comportait qu’un seul objet, soit la prestation d’un service, il a été jugé que l’article 1438 C.C.Q. ne pouvait s’appliquer. Par la suite, le juge s’est penché sur la portée que devrait avoir la nullité d’un acte. Il a considéré qu’elle ne devrait s’étendre à d’autres actes juridiques que s’ils sont intimement liés comme ce pourrait être le cas de la nullité d’un contrat de prêt d’argent à l’égard de la convention créant la sûreté qui garantit le remboursement des sommes empruntées. Or, le juge a conclu que la nullité de la convention qui avait pour objet la préparation et la rédaction d’actes de procédure n’avait pas d’incidence nécessaire sur la validité de l’acte juridique distinct que constitue la procédure judiciaire présentée par les intimés. À cet égard, il a considéré que les parties aux deux actes juridiques n’étaient pas les mêmes, l’acte de procédure étant un acte unilatéral du justiciable distinct de l’accord des volontés que constitue le contrat de services du club juridique. Le juge a également tenu compte du fait que cette convention relevait du domaine privé alors que l’acte judiciaire comporte une dimension publique particulière lorsqu’il est déposé devant le tribunal. Selon ce raisonnement, l’application du principe de la nullité simple de la convention visant la rédaction d’actes de procédure en droit civil s’harmoniserait parfaitement avec l’intention manifestée par le législateur québécois lorsqu’il a adopté l’article 61 C.P.C. Le juge Gonthier s’est dit d’avis qu’une telle disposition ne saurait être neutralisée par celles de la Loi sur le Barreau, lesquelles devraient être interprétées de manière à permettre à cet article de conserver son sens et sa portée. Ainsi, on ne pourrait empêcher un justiciable de faire valoir ses droits au motif qu’il a obtenu de l’aide d’une personne non-membre du Barreau. Sinon, on restreindrait gravement la possibilité pour ce justiciable d’exercer son droit de se représenter seul. Le juge a estimé que, s’il est clairement illégal pour quelqu’un qui n’est pas avocat d’exercer cette profession ou d’accomplir l’un quelconque des actes qui lui sont réservés, on ne pouvait empêcher les intimés de faire valoir leurs droits. Compte tenu de la principale raison d’être de la Loi sur le Barreau et de ses règlements, qui est de protéger le public des personnes qui, sans être inscrites au tableau de l’Ordre, prétendent pouvoir offrir des services de qualité, on ne peut s’étonner du fait que la loi ne prévoie aucune sanction pour le justiciable. Le juge Gonthier a alors cité avec approbation les jugements rendus dans les affaires Millette c. 2862-2678 Québec inc.8 et Dubé c. Beaulieu9.

[6] Avant de rejeter le pourvoi du Barreau du Québec parce que la nullité du contrat de services accordé au club juridique n’avait pas d’incidence suffisante sur les actes de procédure présentés par les intimés, le juge Gonthier a offert quelques commentaires sur le principe de l’accessibilité à la justice. Il a alors précisé que l’article 61 C.P.C. permet au justiciable de se représenter seul et de déposer les actes de procédure nécessaires à l’exercice de ses droits et de ses recours. Il a toutefois servi une mise en garde contre la tentation de confondre la reconnaissance de cette réalité avec l’accessibilité à la justice. À cet égard, il a jugé que l’on ne devait pas croire que, en permettant aux gens de se servir de procédures rédigées par des personnes qui ne sont pas membres du Barreau ou qui ont été radiées, on favorisait l’accessibilité à la justice au Canada. Il a plutôt considéré que l’exercice de cette liberté pouvait souvent aller à l’encontre des intérêts des justiciables. Comme l’avocat, à titre d’officier de justice, joue un rôle essentiel dans le système canadien de justice tant à l’égard de la défense des droits des justiciables devant les tribunaux qu’à l’étape préalable du règlement à l’amiable des litiges, le juge Gonthier a estimé souhaitable que tous les justiciables puissent avoir recours à ses services, peu importe leur situation financière.

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