[1] En 1998, deux salariées d’Hydro-Québec ayant subi une chirurgie au laser pour corriger un problème visuel ont réclamé des prestations d’assurance-salaire et ont vu leur grief subir un sort différent. Dans le premier cas, la plaignante, souffrant de myopie et d’astigmatisme, portait des lentilles qui avaient entraîné l’apparition d’une kératite chronique. Deux moyens s’offraient à elle pour corriger le problème, soit le port de lunettes ou une chirurgie au laser. Ayant opté pour cette dernière solution, elle s’est absentée pendant quatre jours pour l’opération et le repos postopératoire. L’autre salariée a également subi une chirurgie réfractive à un oeil pour corriger sa myopie. L’employeur a refusé de leur verser des prestations d’assurance-salaire.

La théorie de la réduction des dommages est-elle applicable ?

[2] L’arbitre Corbeil, saisi du grief de la première salariée, l’a rejeté1. Il a d’abord convenu que la plaignante avait eu une «maladie» au sens de la convention collective dans la mesure où sa condition avait occasionné une incapacité de travail. Toutefois, il s’est dit d’avis que son problème aurait pu être corrigé par le port de lunettes, qui ne nécessite aucun arrêt de travail. Étant donné que le choix de la plaignante reposait essentiellement sur des considérations esthétiques, il a considéré qu’il serait déraisonnable d’exiger que l’employeur supporte le coût de son absence. Il a ajouté que l’obligation de l’employeur de rémunérer les salariés absents pour maladie n’était pas absolue et qu’elle entraînait une obligation corrélative de l’employé, qui devait limiter ses dommages.

[3] L’arbitre Jutras, saisi du grief de l’autre salariée, est arrivé à un résultat opposé2. Il a jugé que l’obligation de réduire ses dommages ne s’appliquait pas à un salarié qui s’absente pour subir une intervention chirurgicale. Il s’est dit d’avis que la question de savoir si le salarié aurait pu agir de façon à ne pas réclamer l’avantage que lui accorde la convention collective ne se posait pas et que l’obligation du salarié de choisir la solution la moins coûteuse pour l’employeur n’existait pas dans la convention. L’arbitre a donc accueilli le grief de la salariée, même si sa maladie découlait de l’intervention chirurgicale qu’elle avait choisi de subir.

La Cour d’appel se prononce

[4] Les deux sentences arbitrales ont fait l’objet de requêtes en révision judiciaire, qui ont été rejetées, et le débat vient d’être tranché par la Cour d’appel3. La Cour a annulé la sentence de l’arbitre Corbeil, la juge Deschamps étant toutefois dissidente. Après avoir clairement réitéré qu’une controverse arbitrale ne constituait pas un motif d’intervention en soi, le juge Letarte a constaté que, si l’arbitre Corbeil s’était limité à interpréter la preuve et le terme «maladie» tel qu’utilisé dans la convention, il aurait dû, en toute logique, accueillir le grief. Toutefois, il a cru devoir imposer à la plaignante une restriction étrangère à la convention, excédant ainsi sa compétence. Cet ajout à la définition de «maladie» a eu pour effet de permettre à l’employeur de définir lui-même ce terme. Or, les parties s’étant abstenues de tenir compte de la cause de la maladie, il n’appartenait pas à l’arbitre de le faire. En d’autres termes, le juge a considéré qu’en refusant d’accorder un congé de maladie à la plaignante parce que son état résultait d’un choix l’arbitre a excédé sa compétence. Plus manifeste encore devient l’excès de compétence, souligne-t-il, lorsque l’arbitre impose virtuellement le port de lunettes à la plaignante. Le dossier lui a donc été retourné afin qu’il rende sa décision conformément aux principes énoncés par la Cour. Mme la juge Deschamps, quant à elle, aurait rejeté l’appel, jugeant que l’arbitre Corbeil avait simplement donné au terme «maladie» une portée moins large que celle recherchée par le syndicat et que cette interprétation n’était pas manifestement déraisonnable.

La notion de «maladie» revue et corrigée

[5] Statuant à nouveau sur le grief, l’arbitre Corbeil l’a accueilli. Il a rappelé que les parties avaient voulu inclure dans la signification du mot «maladie» tout état physique ou mental rendant le salarié incapable ou susceptible de le rendre incapable, en l’absence d’un traitement imminent, d’accomplir son travail régulier. En l’espèce, la kératite est une maladie au sens médical du mot, alors que la myopie et l’astigmatisme en sont au sens usuel du mot, soit des altérations fonctionnelles susceptibles d’être incapacitantes au sens de la convention collective. Ainsi, tant la kératite que la myopie ou l’astigmatisme peuvent constituer une maladie au sens de la convention si elles occasionnent une incapacité de travail. Par conséquent, étant donné que la plaignante était malade et qu’elle avait produit un certificat médical – les deux conditions requises par la convention pour bénéficier de prestations d’assurance-salaire – elle y avait droit4.

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