[1] En matière de financement des lésions professionnelles, la règle générale prévoit que les coûts engendrés par un accident du travail sont imputés à l’employeur du travailleur1. Toutefois, un transfert de l’imputation des coûts aux employeurs d’une ou de plusieurs unités de classification – ou encore à l’ensemble des employeurs – est possible si l’accident est attribuable à un tiers et si l’imputation des coûts à l’employeur a pour effet de lui faire supporter injustement les coûts reliés à cet accident du travail2.

[2] Ainsi, pour bénéficier d’un transfert d’imputation, l’employeur doit démontrer que l’accident est attribuable à un tiers et qu’il est injuste d’imputer les coûts qui en découlent à son dossier.

[3] Un tiers est considéré comme toute personne qui n’est pas le travailleur ou son employeur ou qui est étrangère au rapport juridique ou au contrat de travail existant entre le travailleur accidenté et son employeur3, notamment un bénéficiaire4.

[4] Quant à la notion d’injustice, elle doit être évaluée au regard des risques particuliers se rattachant à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur.

[5] La Commission des lésions professionnelles a rendu plusieurs décisions dans des dossiers où des travailleurs de la santé – en général des infirmières ou des préposés aux bénéficiaires – ont été victimes de gestes agressifs ou violents de la part de bénéficiaires. Il s’agissait alors de décider si l’incident faisait partie des risques inhérents aux activités de l’employeur.

Les centres hospitaliers de soins de longue durée

[6] Dans le cas où l’employeur est un centre de soins prolongés ou de longue durée, le courant jurisprudentiel majoritaire considère que l’agression d’un travailleur par un bénéficiaire fait partie des risques inhérents à l’activité exercée par l’employeur5. Cette analyse prend en considération que le fait de donner des soins à une clientèle souvent confuse suppose la possibilité d’être victime de gestes violents pouvant occasionner des blessures. Par exemple, dans la décision Centre d’hébergement et Centre d’accueil Gouin-Rosemont (Les centres d’hébergement et de soins de longue durée de Mon Quartier)6, une préposée aux bénéficiaires s’est fait tordre le poignet par un bénéficiaire atteint de démence de type Alzheimer qu’elle nourrissait. La commissaire saisie du dossier a considéré que le fait que l’employeur s’occupe de bénéficiaires souffrant de troubles cognitifs exposait ses travailleurs aux gestes involontaires de ces patients et que ces comportement qualifiés d’«agressifs» faisaient partie des risques se rattachant aux activités de l’employeur. Par conséquent, l’employeur s’est vu imputer la totalité des coûts occasionnés par cette lésion professionnelle.

[7] Dans la décision Centre hospitalier Jacques-Viger et Commission de la santé et de la sécurité du travail7, une infirmière qui venait de retirer à un bénéficiaire ses articles de fumeur a été saisie violemment par le bras, s’est fait coincer deux doigts dans une machine à tabac et a été menacée de mort. Dans ce dossier, la commissaire a également imputé la totalité des coûts à l’employeur. Elle a invoqué l’article 83 de la Loi sur les services de santé et de services sociaux8 , qui énonce que : « La mission d’un centre d’hébergement et de soins de longue durée est d’offrir de façon temporaire ou permanente un milieu de vie substitut, des services d’hébergement, d’assistance, de soutien et de surveillance ainsi que des services de réadaptation, psychosociaux, infirmiers, pharmaceutiques et médicaux aux adultes qui, en raison de leur perte d’autonomie fonctionnelle ou psychosociale, ne peuvent plus demeurer dans leur milieu de vie naturel, malgré le support de leur entourage.» Étant donné que les services infirmiers ne se limitaient pas à donner des soins mais qu’ils comprenaient également l’exécution du plan de soins, telle que retirer des articles dangereux pour la santé et la sécurité du bénéficiaire et des autres, la commissaire a conclu que l’incident se rattachait à la nature des activités de l’employeur.

Les centres hospitaliers de soins de courte durée

[8] Par ailleurs, lorsque l’employeur est un centre hospitalier offrant des soins de courte durée, la jurisprudence est partagée. Dans certains cas, on considère qu’une blessure occasionnée par un geste violent d’un bénéficiaire ne fait pas partie des risques reliés à l’activité de l’employeur et on impute les coûts reliés à la lésion à l’ensemble des employeurs. Dans l’affaire Centre hospitalier Maisonneuve-Rosemont9 , une infirmière travaillant à l’urgence a reçu des coups de pied d’un bénéficiaire qui présentait un coma éthylique et qu’elle tentait de maîtriser. Le commissaire a considéré qu’il fallait distinguer les établissements offrant des soins de longue durée à une clientèle souvent confuse des établissement donnant des soins de courte durée. Reprenant l’analyse faite dans l’affaire Commission de la santé et de la sécurité du travail et Centre hospitalier Anna-Laberge10, le commissaire a estimé – quant à la notion de «risque» – qu’il fallait faire une distinction entre ce qui est prévisible, c’est-à-dire probable, et ce qui est simplement possible. En l’espèce, il a conclu que, bien qu’il soit possible qu’une telle agression se produise à l’urgence de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, elle n’était ni probable ni prévisible comme elle aurait pu l’être, dans un centre hospitalier de soins de longue durée ou dans une aile psychiatrique, de la part d’un patient préalablement reconnu comme confus et agité11.

[9] Par contre, dans l’affaire Centre hospitalier de l’Université de Montréal (Pavillon Notre-Dame)12, une infirmière qui allait chercher un dossier a été frappée au sein par un bénéficiaire alité dans un corridor de l’urgence et qui, devenant soudain confus et agressif, a sorti brusquement la jambe du côté de la civière. Le commissaire a refusé d’imputer le coût de la lésion professionnelle à l’ensemble des employeurs. Il a considéré qu’il n’y avait pas lieu d’établir de distinction entre un centre hospitalier de courte durée, un CHSLD et un centre de traitement psychiatrique et que le risque était relié à l’activité de l’employeur13. Le commissaire s’exprime ainsi14 : «La présence sur les lieux du travail d’un tiers en traitement ou en attente de traitement, qu’il se retrouve au triage dans le corridor de l’urgence ou dans une aile spécialisée, découle […] de l’activité exercée par l’employeur, soit de prodiguer des soins à des personnes malades.»

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