[1] L’article 203 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles1 prévoit que, une fois la lésion professionnelle consolidée, le médecin qui a charge doit produire un rapport final portant sur des questions médicales précises. En vertu de l’article 224, les conclusions de ce médecin lient la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), sous réserve de l’article 224.1. L’employeur et la CSST peuvent contester les conclusions du médecin qui a charge conformément aux dispositions du chapitre VI de la loi (art. 199 à 233); cette procédure de contestation n’est cependant pas ouverte au travailleur.

Nature du rapport final

[2] De par la nature du rapport final, les conclusions du médecin qui a charge sur les questions prévues au second alinéa de l’article 203 ont un caractère définitif2 . Selon la jurisprudence, ce rapport ne peut être modifié qu’en présence de circonstances particulières. À cet égard, la CLP rappelait dans Lachance et Gestion Loram inc.3 : que « [L]es circonstances particulières permettant au médecin traitant de modifier son Rapport final sont une erreur matérielle manifeste, qui doit être corrigée, ou une évolution exceptionnelle et inattendue de l`état de santé du travailleur qui justifie une modification des conclusions médicales déjà bien établies. »

[3] Quelques décisions récentes de la CLP permettent d’illustrer plus concrètement ces principes élaborés par la jurisprudence, de même que la preuve requise et l’importance du rôle du médecin qui a charge dans le processus.

Diagnostic différent

[4] Un nouveau rapport final comportant un diagnostic différent de celui initialement retenu n’a certes pas un caractère liant au sens de l’article 224 si la modification a été faite en raison du mécontentement du travailleur au regard du pourcentage d’atteinte permanente correspondant au diagnostic initial. C’est la conclusion à laquelle en est venue la CLP dans Morin et Forage Orbit inc.4 , après avoir constaté que le changement d’opinion du médecin qui a charge – lequel, après avoir posé un diagnostic d’entorse dorsale, était d’avis qu’il fallait plutôt retenir celui de fractures des corps vertébraux D7 et D8 – n’avait aucune justification. L’interprétation d’une scintigraphie osseuse à laquelle il se référait ne faisait mention que de la « possibilité » de telles fractures. Rappelant les principes élaborés par la jurisprudence en ce qui a trait à la modification du rapport final, la CLP souligne que5 : « Bien que cette jurisprudence ait été développée dans le contexte particulier d’un nouveau rapport final ayant pour but de modifier les conclusions relatives aux séquelles permanentes résultant de la lésion professionnelle, celle-ci doit aussi trouver application, en faisant les adaptations nécessaires, lorsqu’un nouveau rapport final est produit dans le but de modifier le diagnostic déjà retenu. »

Ajout d’une limitation fonctionnelle

[5] Dans Lachance, le travailleur contestait les conclusions médicales émises par son médecin en 1990 en soumettant, 14 ans plus tard, un second rapport, produit par le même médecin et comportant l’ajout d’une limitation fonctionnelle. Procédant à une revue de la jurisprudence relative à la correction d’un rapport par le médecin qui a charge, la CLP constate qu’« une preuve particulièrement étoffée et appuyée sur le plan médical [est exigée], soit la probabilité d’une erreur, la tenue d’un nouvel examen médical, une amélioration tout à fait exceptionnelle ainsi que des éléments sérieux et démontrés au dossier6 ». Elle est d’avis qu’« un simple changement d’opinion, sans nouvel examen, basé sur les mêmes constats médicaux présents [14 ans plus tôt], ne constitue pas une correction d’une erreur matérielle7 » justifiant la correction du rapport d’évaluation médicale. Bien qu’elle reconnaisse que le travailleur est pénalisé par la situation – la limitation fonctionnelle étant reconnue par divers ophtalmologistes – la CLP souligne qu’elle ne siège pas de novo sur l’ensemble du dossier, qu’elle tire sa compétence de la décision contestée et qu’il ne lui revient pas de réparer l’ensemble des torts commis.

Retrait d’une limitation fonctionnelle

[6] L’affaire Rivard et Hydro-Québec8 concerne, elle aussi, la modification des limitations fonctionnelles, plus particulièrement un retrait de limitations. Insatisfait de la décision de la CSST ayant conclu à son incapacité à exercer l’emploi prélésionnel, le travailleur avait tenté de faire valoir que son médecin ne retenait plus les limitations fonctionnelles initialement reconnues dans son rapport d’évaluation médicale. La CLP souligne que, si « le médecin traitant peut produire un nouveau rapport final […] pour émettre une nouvelle conclusion médicale fondée sur une évolution exceptionnelle et inattendue de l’état du travailleur et qui a pour effet, notamment, d’entraîner le retrait des limitations fonctionnelles déjà reconnues9 », il doit cependant « énoncer clairement qu’il retire, en tout ou en partie, les limitations fonctionnelles antérieurement reconnues et non pas formuler une opinion sur la capacité du travailleur à exercer un emploi donné puisqu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur cette question10 ». Par ailleurs, « [l]a nouvelle conclusion de ce médecin ne doit pas reposer sur une simple impression énoncée en des termes peu convaincants et […] elle doit être supportée par un examen physique11». Or, l’opinion formulée par le médecin qui a charge ne respectait pas ces exigences. En fait, selon la CLP, le médecin ne mentionnait pas qu’il retirait les limitations fonctionnelles initiales mais écrivait plutôt qu’il était d’accord avec un « essai de retour à son poste usuel de jointeur12 ».

Modification des limitations fonctionnelles

[7] Dans une autre affaire13 , le travailleur, s’estimant incapable d’exercer son emploi prélésionnel, avait obtenu de son médecin traitant un certificat médical modifiant les limitations fonctionnelles initialement reconnues, lesquelles n’étaient « pas appropriées pour sa condition actuelle ». La CLP conclut que le travailleur n’avait pas fait la preuve de circonstances justifiant la modification – le médecin ayant d’ailleurs noté que le problème était « toujours le même » – et déclare qu’il faut retenir les limitations indiquées dans le premier rapport.

Activités personnelles incompatibles avec l’incapacité

[8] Dans Bouchard et Nettoyage Docknet inc.14 , le médecin qui a charge avait d’abord produit un rapport final dans lequel il consolidait la lésion avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Il prévoyait revoir le travailleur un mois après la production de ce rapport pour procéder à la rédaction du rapport d’évaluation médicale. Cependant, après avoir aperçu le travailleur dans un endroit public et constaté qu’il se déplaçait sans aucun problème, le médecin a produit un second rapport final dont les conclusions étaient totalement contraires à celles du premier. Désormais, il était d’avis que le travailleur ne conservait aucune séquelle permanente. D’entrée de jeu, la CLP souligne que la « lourde responsabilité [du médecin qui a charge] source de conséquences importantes pour un travailleur […] devrait avoir comme contrepartie qu’avant de poser un jugement ou d’émettre une opinion, un médecin s’assure d’avoir en main toutes les données pertinentes et nécessaires à l’évaluation d’une question15 ». Selon la CLP, rien ne justifiait la production du second rapport final : le médecin n’avait procédé à aucun examen physique et avait changé son opinion sur la base de simples impressions laissées par deux rencontres. Le tribunal est d’avis qu’« une observation visuelle ne remplace pas un goniomètre et qu’un examen aurait dû avoir lieu avant de contrecarrer les acquis du travailleur qui était en voie de se faire reconnaître une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles. Cet examen aurait pu être accompagné de tests croisés qui auraient permis [au médecin] de vérifier si le travailleur était fiable dans le cadre de l’examen objectif16 ». Ainsi, seul le premier rapport final avait pour effet de lier la CSST, à laquelle le tribunal a retourné le dossier afin que le rapport d’évaluation médicale soit rédigé par un autre spécialiste.

Intervention du représentant du travailleur

[9] Dans un autre ordre d’idées, la CLP conclut, dans Brideau et Samuel & Fils & Cie (Québec) ltée17 , que « [l’]intervention d’un représentant auprès d’un médecin traitant pour lui faire modifier son évaluation des séquelles ne constitue pas […] une circonstance donnant ouverture à la modification du rapport d’évaluation médicale ». Le représentant du travailleur était intervenu auprès du médecin pour l’informer de la possibilité d’utiliser un code du Règlement sur le barème des dommages corporels18 différent de celui retenu dans son rapport.

Correction d’une erreur

[10] Dans certains cas, la CLP a reconnu qu’un nouveau rapport final avait un caractère liant.

[11] Ainsi, dans Teinturerie Perfection Canada inc. et Mbokila19 , la CLP conclut qu’elle est « en présence d’une telle situation imprévisible, inattendue et exceptionnelle lorsque [le médecin traitant] n’a pas tenu compte des trouvailles radiologiques lors [de la rédaction] de son premier rapport médical final, puisqu’il avait égaré la première radiographie ». Le médecin avait obtenu une nouvelle radiographie et produit un deuxième rapport final prenant les trouvailles radiologiques en considération. Selon la CLP, la CSST devait retenir les conclusions de ce second rapport. La CLP a, en outre, tenu compte du « court délai écoulé entre [le dépôt] du premier rapport médical final […], la demande de la nouvelle radiographie […] et la production du deuxième rapport médical final20 ». Elle a également pris en considération le « fait qu’il s’agit du même médecin qui a charge […] qui a [produit] les deux rapports médicaux finaux et non d’un nouveau médecin choisi par le travailleur pour contester les conclusions de son médecin21 ».

[12] Par ailleurs, l’admission implicite, par le médecin qui a charge, d’une erreur dans la lecture et l’interprétation des radiographies a permis à la CLP, dans Couture et Ferme Jacmi, s.e.n.c. 22 , de retenir le pourcentage de déficit anatomo-physiologique figurant dans le second rapport d’évaluation médicale produit par ce médecin, et ce, même s’il avait modifié son avis à partir d’une réévaluation des mêmes données médicales. Se référant à la décision de la Cour supérieure rendue dans Desruisseaux c. Commission des lésions professionnelles23 , la CLP conclut que24 : « […] le travailleur ne doit pas avoir à supporter une telle faute et surtout les conséquences importantes qui en découlent quant à l’évaluation des séquelles qu’il conserve à la suite de la lésion professionnelle. Il importe de rappeler que l’objet de la loi est la réparation des lésions professionnelles et des conséquences qu’elles entraînent pour les bénéficiaires. »

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