[1] La démarche de la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST) visant le retour au travail du travailleur, que ce soit dans son emploi prélésionnel, dans un emploi équivalent ou dans un emploi convenable, a des conséquences importantes pour le travailleur quant aux risques de récidive de la lésion et pour l’employeur sur le plan des enjeux financiers et organisationnels.

[2] Le texte qui suit présente des cas particuliers où la Commission des lésions professionnelles (CLP) s’est penchée sur différentes obligations de la CSST à l’occasion du processus d’examen de l’emploi ou de la mise en oeuvre de mesures de réadaptation ainsi qu’au moment de l’application de correctifs proposés par l’employeur ou par la CSST.

I. Analyse réelle et pratique des tâches

A) Emploi prélésionnel comprenant des tâches théoriques jamais exercées

[3] Dans Québec (Ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs) et Gagnon1 , portant sur la capacité d’un aide sylvicole d’exercer son emploi prélésionnel, l’employeur a contesté la décision de l’instance de révision de la CSST, qui avait décidé que le travailleur était capable d’exercer cet emploi. En s’appuyant sur la description des tâches, il a prétendu que le travailleur ne pouvait exercer toutes et chacune des 63 tâches qui y étaient mentionnées.

[4] La CLP a conclu à la capacité du travailleur d’exercer son emploi prélésionnel d’aide sylvicole en l’évaluant concrètement, c’est-à-dire en examinant les tâches réellement occupées lors de la survenance de la lésion professionnelle. Ainsi, seules les 25 tâches qu’il accomplissait depuis 16 ans ont été analysées à la lumière de ses limitations fonctionnelles.

[5] Selon la CLP, la prétention de l’employeur avait pour effet de mettre en péril l’obligation prévue à l’article 236 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles – soit l’obligation d’un employeur de reprendre à son service un travailleur qui redevient capable d’exercer son emploi – sur la base de l’existence d’une tâche théorique contrevenant aux limitations fonctionnelles. De plus, elle a tenu compte de l’ancienneté et du contexte de travail particulier, notamment du fait que 108 aides sylvicoles et 250 travailleurs occasionnels étaient au service de l’employeur, ce qui donnait plus de latitude à ce dernier dans la répartition du travail. La CLP a affirmé que ces éléments faisaient partie des conditions de travail du travailleur, et donc des conditions d’exercice de l’emploi.

[6] Par conséquent, cette décision se démarque de la jurisprudence selon laquelle la capacité d’exercer un emploi doit se décider à partir de toutes et chacune des tâches, même si elles ne sont requises que sporadiquement.

B) Emploi comprenant des tâches dont l’exécution est susceptible d’être requise

[7] Dans Beauregard et Emballages Mitchell Lincoln ltée3 , la CLP a apporté une distinction d’avec la situation dans Québec (Ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs) et Gagnon4 , soulignant que le travailleur était susceptible d’exécuter des tâches que la CSST n’avait pas évaluées.

[8] Au moment de sa lésion professionnelle, il travaillait dans une usine à titre d’assistant-opérateur d’un type de machine appelée «Bobst». Alors qu’il était en arrêt de travail, il a obtenu un poste de ramasseur ou pileur à la découpeuse rotative Martin, appelée la «Dro1», poste qu’il n’a jamais occupé. La CSST a décidé qu’il était capable d’exercer cet emploi chez l’employeur à titre d’emploi convenable.

[9] La CLP a infirmé cette décision. Elle a noté que la «Dro1», qui serait utilisée au poste de travail de ramasseur, n’était pas continuellement en activité durant le quart de nuit, ce qui faisait en sorte que le travailleur serait affecté à d’autres postes en fonction de son ancienneté et des besoins de la production. Il pourrait même être appelé à travailler avec la machine «Bobst», poste qu’il était incapable d’occuper. Ces affectations possibles ne respectaient pas ses limitations fonctionnelles, entraînant donc son incapacité à exercer l’emploi convenable déterminé.

[10] Dans Brouillard et Sécurité Kolossal inc.5 , la CLP a infirmé la décision rendue par la CSST, laquelle avait déterminé que l’emploi d’agente de sécurité adapté proposé par l’employeur constituait un emploi convenable. La possibilité d’intervenir physiquement auprès de jeunes délinquants, et ce, exceptionnellement, se trouvait dans la description des tâches.

[11] Selon la CLP, toutes les tâches devaient être examinées à la lumière des limitations fonctionnelles, même celles exécutées dans une infime proportion, parce qu’elles étaient susceptibles d’être accomplies par la travailleuse. Ainsi, elle n’a pas retenu l’argument de la CSST fondé sur le pourcentage de temps minime (0,5 %) représentant les risques d’interventions physiques. Elle a précisé que, même si elle n’était pas élevée, la possibilité d’intervention existait dans les faits. La CLP a totalement rejeté le raisonnement de la CSST fondé sur la définition du Dictionary of Occupational Titles, selon laquelle des interventions physiques représentant entre 34 % et 66 % du quart de travail étaient nécessaires pour mériter la qualification de tâche répétitive ou fréquente et faire en sorte de ne pas respecter les limitations fonctionnelles de la travailleuse. Selon le commissaire, cela contrevenait à la lettre et à l’esprit de ces limitations.

II. Mesures de réadaptation

A) Aide des collègues et aménagement matériel du poste de travail

[12] Dans Lahreche et Provigo (Division Montréal détail)6 , l’employeur affirmait que le travailleur était capable d’occuper de nouveau son emploi vu les modifications qui y avaient été apportées, les aides techniques proposées ainsi que l’aide éventuelle de collègues.

[13] La CLP a examiné chacune des tâches et des modifications matérielles proposées et a conclu qu’elles ne respectaient pas les limitations fonctionnelles du travailleur. De plus, aucune mesure de réadaptation n’avait été mentionnée dans la décision de la CSST.

[14] Quant à l’aide éventuelle de collègues, la CLP a déclaré qu’elle ne permettait pas non plus au travailleur d’occuper de nouveau son emploi prélésionnel de boucher puisqu’il pouvait être susceptible de travailler seul à certains moments de la journée. De plus, ces aménagements étaient trop incontrôlables pour être retenus, reposant sur la bonne volonté et le facteur humain. Il était impossible d’en imposer l’application. Le dossier a été retourné à la CSST afin qu’elle reprenne le processus de réadaptation et détermine un emploi convenable.

[15] La décision Emballages Mitchell Lincoln ltée7 , mentionnée ci-dessus, est également un exemple où l’aide de collègues n’a pas été considérée comme une mesure de réadaptation acceptable parce qu’elle ne garantissait pas le respect des limitations fonctionnelles.

B) Modifications entraînées par une réorganisation générale de l’entreprise

[16] Dans Laberge et Équipement Quadco inc.8 , la CLP a souligné que la détermination de la capacité d’exercer l’emploi prélésionnel devait tenir compte des modifications apportées à l’emploi par une réorganisation générale de l’entreprise puisque, n’eût été la lésion, le travailleur aurait eu à s’adapter à ces changements. Il s’agissait donc de «son emploi» au sens de la loi. Quant aux correctifs proposés par l’employeur pour rendre cet emploi conforme aux limitations fonctionnelles, ils faisaient en sorte que l’emploi ne correspondait plus à celui occupé au moment de la lésion. Il s’agit là d’une mesure de réadaptation et elle fait partie d’un processus ultérieur à la détermination de la capacité de ce travailleur d’exercer son emploi.

III. Nécessité de préciser les tâches, les limitations fonctionnelles et les mesures d’adaptation du poste de travail

[17] La décision Caumartin et Commission scolaire de Montréal9 illustre les conséquences d’une démarche inadéquate de la CSST dans le processus d’analyse du poste de travail.

[18] La travailleuse occupait un poste de concierge dans une école. L’emploi d’aide-concierge adapté a été déterminé et celle-ci est retournée au travail en septembre 2003, avec certaines mesures d’adaptation du poste. Toutefois, en janvier 2004, une nouvelle superviseure a exigé qu’elle exécute des tâches contrevenant à ses limitations fonctionnelles. Le 8 mars suivant, la travailleuse a présenté une réclamation pour récidive, rechute ou aggravation.

[19] La CLP a souligné que la démarche de réadaptation consignée aux notes évolutives ne comportait aucune analyse des tâches d’aide-concierge ni de mention des limitations fonctionnelles ou des adaptations à faire. De plus, la mention des outils nécessaires à l’exercice du travail était trop imprécise pour permettre de connaître les tâches que la travailleuse ne pouvait plus faire ou les adaptations requises. Le caractère convenable de l’emploi découlait du bon vouloir des parties d’accommoder la travailleuse et cela ne répondait pas à l’objectif prévu à la loi. Cette démarche plaçait la travailleuse dans une situation incertaine.

IV. Recherche de la collaboration du travailleur, de l’employeur et du syndicat

[20] La CLP a fait état de l’apport de la collaboration du travailleur, du syndicat et de l’employeur dans Emballages Mitchell Lincoln ltée10 , précitée, où il a été souligné que la conseillère en réadaptation de la CSST avait apporté un soutien constant au travailleur dans un contexte où l’employeur était réfractaire à l’idée de le réintégrer.

[21] La conseillère en réadaptation avait consulté le représentant syndical, obtenu une évaluation du poste de travail et attendu le résultat de la contestation au bureau d’évaluation médicale. Par la suite, la conseillère avait fait revoir l’évaluation du poste à la lumière des nouvelles limitations fonctionnelles. La CLP a conclu que cette démarche n’avait pas été bâclée, malgré le fait que certaines tâches n’avaient pas été évaluées, puisque la conseillère avait rencontré le représentant syndical à ce sujet, qui lui avait affirmé que l’ancienneté du travailleur lui permettrait de ne pas être affecté à des tâches ne respectant pas ses limitations fonctionnelles. De son côté, l’employeur était demeuré muet sur la question.

Conclusion

[22] Les décisions examinées dans cet article font ressortir toute l’importance des diverses obligations dont la CSST doit tenir compte dans l’analyse d’un poste de travail. Un examen exhaustif des tâches en lien avec les limitations fonctionnelles du travailleur vise à éviter tout risque de récidive, de rechute ou d’aggravation. Cet examen doit donc être réel et concret, la CSST devant analyser les tâches effectivement exécutées au moment de la lésion ou susceptibles de l’être, même dans une proportion infime. D’autre part, il est primordial d’indiquer clairement et précisément toutes les modifications et tous les correctifs à apporter au poste et de ne pas se fier à la possibilité d’aide de la part de collègues. Le travailleur doit pouvoir exercer l’emploi de manière autonome. Ainsi, la CSST doit avoir une connaissance approfondie, concrète et pratique du contexte de travail dans lequel évolue le travailleur et pouvoir compter sur la collaboration de tous, soit celle du travailleur, celle du syndicat et celle de l’employeur.

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