[1] La consommation de drogue au travail est généralement considérée comme une faute grave méritant une sanction disciplinaire qui peut aller jusqu’au congédiement. Toutefois, chaque cas est un cas d’espèce, et certains facteurs atténuants peuvent moduler la sanction. D’autre part, la convention collective laisse parfois peu de latitude à l’arbitre de griefs pour modifier la mesure, notamment lorsqu’elle prévoit le congédiement automatique en cas de consommation. Des arbitres ont récemment rendu des décisions dont les conséquences diffèrent considérablement pour les salariés en cause.

L’employeur n’est pas tenu d’attendre la réalisation du risque avant de sévir

[2] Dans Royal Recouvrements de fenêtres (Canada) inc., division Plastibec et Syndicat des travailleurs industriels et commerciaux, section locale 95 (STIC) (Olivier Patenaude)1 , le plaignant était un opérateur à la chaîne de production et cariste dans une entreprise fabriquant différents styles de moulage et de pièces qui entrent dans la composition de tringles de stores verticaux depuis mars 2002. Il conduisait un chariot élévateur et procédait au nettoyage d’appareils afin qu’il ne reste aucun produit résiduel susceptible de produire des vapeurs toxiques et des explosions. Le 16 janvier 2005, il a été surpris par son contremaître en train de fumer de la marijuana avec un collègue, à la fin de son quart de travail, dans le stationnement de l’établissement de l’employeur. Le contremaître leur a alors demandé de cesser de fumer à plusieurs reprises, leur rappelant qu’ils contrevenaient au règlement de l’entreprise, mais sans succès. Le plaignant est revenu le soir même pour faire son quart de travail, et son contremaître l’a convoqué afin de s’assurer qu’il était apte à travailler. La direction a été informée de l’incident et, le 19 janvier, le plaignant a été congédié.

[3] L’arbitre Noël Mallette a rejeté le grief du plaignant et a maintenu son congédiement. Il s’est dit d’avis que la Loi réglementant certaines drogues et autres substances2 (loi fédérale) faisait du trafic et de la consommation de marijuana une faute très grave et que la simple possession de marijuana y était lourdement sanctionnée, ce qui faisait du geste du plaignant une faute lourde aux yeux de la loi. Il a considéré qu’il fallait aussi tenir compte du règlement en vigueur chez l’employeur, lequel avait comme objectif d’assurer la sécurité des salariés et la qualité de la production. L’arbitre a estimé que le plaignant, par sa consommation et les effets probables de celle-ci, avait mis en péril sa santé et sa sécurité ainsi que celles de ses collègues, en plus d’avoir introduit une drogue illicite sur la propriété de l’employeur. En outre, le plaignant avait fait preuve de nonchalance, d’irresponsabilité, d’immaturité, d’inconscience et d’aveuglement volontaire. Quant à ses probabilités de réhabilitation, l’absence d’excuses et de remords a été considérée comme un facteur aggravant. D’autre part, même s’il n’y avait aucune preuve relativement à la mauvaise qualité ou à la quantité déficiente du travail produit par le plaignant, l’obligation de l’employeur prévue à la Loi sur la santé et la sécurité du travail3 et au Code civil du Québec faisait en sorte qu’il n’avait pas à attendre la réalisation du risque pour imposer des mesures correctives. Enfin, le fait que le plaignant avait un dossier disciplinaire vierge n’a pas été considéré comme un facteur atténuant.

Tests de dépistage impromptus

[4] Dans Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 6617 et Compagnie Komatsu international (Canada) inc. (griefs individuels, Maxime Campeau et autres)4 , les plaignants, sept employés d’usine, ont été congédiés le 2 mai 2005 au motif qu’ils avaient à plusieurs reprises consommé des drogues illicites – de la marijuana et, dans un cas, de la cocaïne – pendant leurs périodes de repas et qu’ils avaient commis des «vols de temps» en prolongeant les pauses repas. Cette sanction leur a été imposée après qu’ils eurent reconnu les faits reprochés à la suite d’une enquête effectuée à la demande de l’employeur. Le 7 avril précédent, la politique de l’entreprise concernant l’usage d’alcool et de drogue avait été portée à leur attention. Celle-ci mentionnait l’interdiction d’être au travail sous l’influence de l’alcool ou de la drogue et précisait que des sanctions pouvant aller jusqu’au congédiement étaient prévues en cas de contravention.

[5] L’arbitre Jean-Denis Gagnon a modifié les congédiements en suspensions de 12 mois. D’abord, il a considéré que la politique relative à l’usage d’alcool et de drogues était bien fondée compte tenu de la nature des fonctions confiées aux salariés, de l’équipement utilisé et de l’éventualité que des accidents graves puissent se produire. D’autre part, il a estimé que la notion de progression des sanctions n’était pas pertinente en l’espèce puisque les fautes reprochées aux plaignants étaient suffisamment graves pour que l’employeur soit fondé à sanctionner leurs écarts de conduire en ayant recours à une mesure sévère. Cependant, sauf dans un cas où l’un des plaignants avait reçu un avis lui enjoignant d’améliorer la qualité de son travail, aucun des autres n’avait reçu d’avis quelconque. Par conséquent, les sanctions devaient être modifiées et, même si l’employeur était fondé à faire montre de sévérité à leur endroit, leurs années de service – plus de quatre ans dans le cas du dernier embauché parmi eux – auraient dû être prises en considération. Il a donc ordonné la réintégration des plaignants, sans compensation depuis la date de leur congédiement.

[6] Par ailleurs, l’arbitre s’est dit d’avis que les plaignants devaient renoncer à leur droit à l’intimité et à la dignité prévu à l’article 10 du Code civil du Québec et aux articles 1 et 5 de la Charte des droits et libertés de la personne5 et permettre à l’employeur de procéder à des tests de dépistage impromptus, à défaut de quoi l’emploi de ceux qui refuseraient prendrait fin le jour même du refus.

Application cohérente des sanctions dans l’entreprise

[7] Dans Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale, section locale 922 et Dettson, division Produits de confort international6 , le plaignant, un opérateur de presse plieuse, a été surpris à fumer de la marijuana durant sa pause café et l’employeur lui a ordonné de quitter les lieux du travail. Le lendemain, il a été congédié pour avoir enfreint la politique relative à l’usage d’alcool et de drogues. L’employeur a aussi invoqué le risque d’erreur de production ainsi que le risque élevé pour sa sécurité et celle de ses collègues.

[8] L’arbitre Pierre Cloutier a substitué au congédiement un avertissement verbal. D’emblée, il a admis que la consommation de marijuana entraînait un risque pour la sécurité des employés et s’opposait à l’obligation d’un salarié de fournir une prestation de travail adéquate et diligente. Toutefois, le critère de la proportionnalité de la sanction pouvait être analysé puisque ni la convention collective ni la politique de l’employeur ne prévoyaient de congédiement automatique dans les cas de consommation. À cet égard, en mentionnant l’existence de mesures disciplinaires «pouvant aboutir à un renvoi», la politique faisait référence à un processus de progression des sanctions. D’autre part, dans la convention collective, la possession d’une substance comme la marijuana n’était pas mentionnée dans la liste des infractions pouvant entraîner une possibilité de congédiement sans préavis. En l’espèce, même si le plaignant connaissait l’interdiction de consommer de la drogue sur les lieux du travail et qu’il a persisté à mentir sur sa consommation, l’arbitre a retenu certains facteurs atténuants: le plaignant n’avait pas vendu de drogue; aucun signe ne permettait de croire qu’il était intoxiqué; il était âgé de 52 ans et comptait 6 années de service sans antécédents disciplinaires; enfin, il était peu scolarisé et avait été formé au cours des dernières années pour occuper cet emploi. D’autre part, l’employeur avait véhiculé un message ambigu dans la mesure où il venait précisément de réintégrer une salariée ayant fait le commerce illégal de tabac et où les sanctions contenues dans la politique et la convention collective à l’égard de la consommation de substances illégales n’étaient pas cohérentes. Dans les circonstances, le plaignant ne pouvait envisager que le fait de tirer une bouffée d’une cigarette de marijuana pourrait lui valoir un congédiement. Le principe de la progression des sanctions devait s’appliquer. Or, les parties avaient déjà précisé dans la convention les étapes à respecter à cet égard, et l’arbitre ne pouvait y déroger sans excéder sa compétence. Ainsi, compte tenu du dossier vierge du plaignant, l’arbitre a estimé que la mesure appropriée était un avertissement verbal, noté à son dossier et avec avis au syndicat.

Revue de la jurisprudence récente

[9] Outre les sentences arbitrales mentionnées ci-dessus, voici un bref survol de décisions concernant la consommation de drogue en milieu de travail. Un salarié surpris à fumer une cigarette de marijuana avec un collègue dans le stationnement de l’usine voit son congédiement confirmé, tandis que son collègue est réintégré sans indemnité compte tenu de certains facteurs atténuants, notamment sa collaboration à l’enquête7 . Le test de dépistage de drogue auquel le salarié a dû se soumettre était illégal, de sorte que le congédiement imposé à la suite du résultat positif est annulé8 . L’arbitre de griefs n’a commis aucune erreur manifestement déraisonnable en décidant que l’omission de l’employeur de fournir la documentation préalable à un test de dépistage de drogue entraînait la nullité du congédiement imposé au plaignant9 . Le congédiement d’un préposé aux bénéficiaires dont le test de dépistage de drogue s’est avéré positif est annulé puisque l’employeur n’a pas établi que celui-ci avait violé l’entente de réintégration conditionnelle lui interdisant de «travailler sous l’influence de l’alcool ou de la drogue10 ». En présence d’un problème de consommation de drogue dans l’entreprise, l’employeur était fondé à congédier le salarié pour avoir remis un gramme de marijuana à un collègue dans le stationnement de l’usine11 .

Print Friendly, PDF & Email