[1] La Cour d’appel du Québec, dans Bouchard c. Agropur Coopérative1 a mis un terme à une controverse en décidant qu’un requérant qui veut demander l’autorisation d’intenter un recours collectif contre plusieurs intimées doit avoir un lien de droit avec chacune d’entre elles. Il existait une tendance consistant à poursuivre tous les membres d’une industrie pour des pratiques prétendument communes. Se pose maintenant la question de savoir ce qui va arriver aux recours collectifs déjà autorisés par un requérant qui n’a pas de lien de droit avec toutes les sociétés intimées: Est-ce le rejet du recours contre les défendeurs pour qu’un membre du groupe autorisé détenant ce lien de droit et cet intérêt suffisant recommence le processus en qualité de nouveau représentant ? Ou est-ce plutôt l’amendement du recours pour ajouter, à titre de codemandeur, un autre représentant ayant un tel lien de droit et un tel intérêt ? C’est cette dernière solution qu’a favorisée M. le juge Clément Gascon dans Marcotte c. Banque de Montréal2.

Les faits

[2] En avril 2003, le demandeur a déposé une requête pour être autorisé à exercer un recours collectif à la fois contre neuf banques et la Fédération des caisses populaires Desjardins (Desjardins) au nom des détenteurs de carte de crédit à qui des frais pour des transactions effectuées en devises étrangères avaient été facturés par les institutions financières intimées. Dès le début du recours initial, les banques ont annoncé leur intention d’invoquer l’inapplicabilité constitutionnelle de la Loi sur la protection du consommateur3 à leur égard. En réaction, le demandeur s’est désisté de son recours contre Desjardins, a poursuivi le recours initial uniquement contre les banques et intenté une seconde requête pour autorisation séparée contre Desjardins. Le recours contre Desjardins a été autorisé, mais celui qui visait les banques n’a pas suivi une progression aussi rapide. En mai 2006, les banques ont présenté une requête afin que les deux recours soient coordonnés et qu’un même juge les entende en raison de leur similitude. Elles ont cependant dû faire un compromis et accepter de se désister de leur contestation de la requête pour autorisation afin de faciliter sa mise en état et son arrimage éventuel au recours contre Desjardins. Mise à part celle de l’intimée Banque de Montréal, le demandeur ne détient pas de carte de crédit auprès des huit autres banques visées. Immédiatement après le jugement de la Cour d’appel dans Agropur Coopérative, la banque Amex a déposé une requête en rejet d’action au motif d’absence de lien de droit entre elle et le représentant du groupe. En réponse à cette requête en irrecevabilité, le demandeur a déposé une requête pour permission d’amender afin d’ajouter un codemandeur qui détient une carte de crédit de cette banque. Il a contesté la requête en irrecevabilité, affirmant que le recours avait été autorisé en raison du désistement de toute contestation de la part des banques, qui ont ainsi renoncé à invoquer ses critères de recevabilité. Selon lui, celles-ci auraient pu faire état de cette absence de lien de droit à l’étape de l’autorisation. Il considère que la requête en irrecevabilité est une tentative illégale d’interjeter appel d’un jugement rendu sans contestation sur l’autorisation.

Décision

[3] Selon le juge Gascon, sous réserve des conditions énoncées à  l’article 1016 du Code de procédure civile(C.P.C.) 4, l’amendement visant à ajouter un codemandeur est permis en matière de recours collectif et les règles générales relatives à l’amendement sont applicables à un tel recours.Le codemandeur que l’on veut ajouter est membre du groupe autorisé et il détient une carte de crédit de la banque intimée. Le recours et la cause d’action demeurent les mêmes, et l’objet est identique, le groupe également, tout comme les questions à trancher ainsi que les conclusions recherchées. Il ne s’agit nullement d’un nouveau recours. L’amendement ne crée pas non plus de nouveau groupe puisque le recours a été autorisé pour un groupe déterminé qui comprend déjà la banque intimée. De plus, le jugement ayant autorisé le recours a acquis l’autorité de la chose jugée quant aux quatre conditions formulées à l’article 1003 C.P.C. au regard du groupe décrit. La banque intimée a estimé acceptable de ne pas alors contester la qualité de représentant d’une personne n’ayant aucun lien de droit avec elle. Elle est malvenue de  soulever maintenant cette question en ce qui a trait à un codemandeur mieux qualifié à cet égard. Le juge ajoute que, contrairement à ce que prétend la banque intimée, il ne s’agit pas d’une réunion de recours collectifs interdite par l’article 1051 C.P.C., qui, quoi qu’il en soit, ne proscrit pas une telle réunion. Pour conclure, il estime que l’amendement est une solution appropriée. En comparaison, le rejet du recours contre la banque intimée afin qu’un membre du groupe détenant ce lien de droit recommence le processus en qualité de nouveau représentant est, selon lui, inacceptable. Cela irait à l’encontre des préceptes d’efficacité judiciaire prônés par les articles 4.1 et 4.2 C.P.C.

Conclusion

[4] Les représentants des recours collectifs déjà autorisés n’auront pas à craindre de devoir recommencer  le processus pour franchir de nouveau toutes les conditions prévues à l’article 1003 C.P.C. L’amendement par l’ajout d’un codemandeur est une solution qui pallie aisément le problème du lien de droit tout en assurant aux membres du groupe autorisé que leur intérêt est bien protégé. Tout comme le dit le juge Gascon, le recours les inclut déjà depuis des mois, et l’on ne peut ignorer cette réalité incontournable.

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