[1] Dans un article précédent1, nous nous intéressions à un aspect particulier de la réadaptation professionnelle, à savoir l’appellation de l’emploi convenable et l’incidence de son imprécision sur le processus d’évaluation du caractère convenable, et ce, à la lumière de quelques décisions de la Commission des lésions professionnelles (CLP). Nous entendons maintenant nous pencher sur le contenu et le poids de certains des éléments de preuve qui sont soumis à ce tribunal à l’occasion de la contestation d’un emploi convenable.

[2] À cette fin, nous avons retenu quelques décisions récentes dans lesquelles la CLP s’est prononcée sur la force probante à accorder aux informations contenues dans les systèmes de classification des emplois utilisés par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) ainsi que dans les rapports de certains spécialistes. Ces décisions nous semblent offrir des guides utiles aux parties.

Systèmes de classification des emplois

[3] Ainsi que la CLP l’a rappelé à plusieurs occasions, les informations qui proviennent de la Classification nationale des professions ainsi que du système Repères «ont une valeur indicative et non pas absolue2». Les décisions suivantes illustrent ce principe.

Système Repères

[4] Dans Tremblay et Simard-Beaudry Construction inc.3, la CLP devait se prononcer sur l’emploi convenable de répartiteur de taxi. S’interrogeant sur le respect du critère de la possibilité raisonnable d’embauche prévu à l’article 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles4, elle en est venue à cette conclusion5: «Même si le système Repères indique que les perspectives d'emploi sont favorables pour l'ensemble du Québec, la preuve démontre le contraire pour la région du Saguenay—Lac-Saint-Jean. En effet, les recherches d'emploi effectuées par le travailleur ont révélé que l'emploi de répartiteur de taxi n'est pas disponible dans la région où il habite. Sur ce point, une plus grande valeur probante doit être accordée au témoignage du travailleur relativement à la non-disponibilité de cet emploi qu'à l'information générale indiquée au système Repères, valable pour l'ensemble du Québec.»

[5] La CLP a conclu de façon similaire dans Thuot et Peintres SMC6. Dans cette affaire, la travailleuse contestait l’emploi convenable de «commis de matériaux de construction en peinture» déterminé de façon unilatérale par la CSST. La CLP a déclaré que cet emploi ne permettait pas à la travailleuse d’utiliser sa capacité résiduelle du fait qu’il exigeait l’exécution de mouvements ne respectant pas ses limitations fonctionnelles. Ainsi qu’elle l’a souligné7: «À cet égard, le témoignage de la travailleuse doit être privilégié plutôt que les données inscrites sur la fiche Repères sur la question des poids, étant donné l'expérience professionnelle concrète de peintre de cette dernière et la corroboration apportée par un employeur.»

[6] En ce qui a trait aux informations contenues dans le système Repères, la CLP ajoutait que «la généralité de la dénomination de l'emploi sur la fiche Repères constitue un élément qui affaiblit la valeur probante de ce document puisqu'il existe certainement autant de tâches différentes que peut exécuter un commis de matériaux de construction et de quincaillerie qu'il existe de commerces d'affectation8».

[7] Par ailleurs, dans Vanier et Transport L. Thomas, la CLP, qui se demandait si le travailleur avait les qualifications professionnelles nécessaires pour exercer l’emploi convenable d’aviseur technique dans le secteur de l’automobile, soulignait que9: «Bien qu'il ne convienne pas de considérer les exigences du système REPÈRES comme étant absolues, il n'est pas davantage possible de traiter les équivalences et les formations alternatives suggérées à la légère.»

Classification nationale des professions

[8] Enfin, dans Maltais et Acier d’Armature Ferneuf inc.10, la CLP a constaté les limites à l’application des informations contenues dans la Classification nationale des professions, soulignant que: « […] les seules informations d'ordre général concernant l'aspect physique d'un emploi dans ce document peuvent être utiles dans le contexte d'une recherche d'emploi par une personne qui n'est pas porteuse de limitations fonctionnelles. Cependant, l'analyse des contraintes physiques de l'emploi convenable doit être faite de façon beaucoup plus rigoureuse afin de s'assurer que toutes les limitations fonctionnelles que présente le travailleur sont respectées et qu'il n'encourt aucun danger pour sa santé et sa sécurité.»

Étude de marché réalisée par un conseiller en emploi

[9] La décision rendue dans Mercier et Aubert & Marois ltée11 comprend des remarques intéressantes relativement au contenu d’une étude de marché destinée à trouver des emplois potentiels. Dans cette affaire, la conseillère mandatée par la CSST avait mentionné dans son rapport avoir effectué une étude auprès d'une vingtaine d'entreprises et précisait qu'une seule d’elles «avait comme exigence la capacité de travailler en adoptant une posture accroupie ou penchée et que cette exigence était occasionnelle12». La CLP a conclu que cette allégation était insuffisante. Plus particulièrement, elle a retenu que13: «[...] la conseillère aurait dû faire la nomenclature des entreprises contactées, de leurs activités économiques ainsi que des personnes à qui elle a parlé, et ce, afin de permettre au travailleur de pouvoir remettre sa démarche en question. La façon de faire de la conseillère ne peut être cautionnée puisqu'elle porte atteinte directement aux droits du travailleur de pouvoir se défendre adéquatement de pareilles allégations.»

[10] La CLP a ajouté que, «s'il est de l'intention de la CSST de remettre en question les exigences que l'on retrouve dans le Code national des professions et plus particulièrement au système Repères, elle aurait avantage à effectuer une démarche nette, claire et précise, étant donné qu'il s'agit d'outils de travail sérieux sur lesquels elle se fonde régulièrement14».

Tests psychométriques utilisés par un conseiller en orientation

[11] Dans Côté et Buanderie HMR inc.15, la CLP s’est notamment prononcée sur le poids à accorder aux résultats des tests psychométriques sur lesquels le conseiller en orientation du travailleur fondait ses conclusions16: «Selon le résultat de ces tests, le travailleur serait une personnalité de type "réaliste", ce qui implique qu'il aime le travail physique et manuel et qu'il serait peu entreprenant et peu social. Le conseiller en conclut que ce type de profil offre peu de chance de réussite dans des emplois de service à la clientèle. Il ajoute que le travailleur a toujours exercé des professions de type manuel et physique et que les tâches effectuées dans ce cadre ne lui ont pas permis d'acquérir des compétences transférables dans des emplois de type service à la clientèle ou de vente. Enfin, le travailleur éprouvera des difficultés à exercer de façon compétitive les tâches d'un agent de location de véhicules, qui requièrent des habiletés à apprendre, des aptitudes verbales, numériques et à la perception des écritures.»

[12] Eu égard à ces résultats, la CLP s’est exprimée comme suit17: «D'une part, […] les mesures reliées à des tests psychométriques constituent des indicateurs quant aux intérêts et aptitudes du travailleur, mais ne doivent pas être appliquées sans nuance puisqu'il faut considérer l'ensemble de la preuve. Le conseiller a omis de tenir compte d'éléments importants des expériences de travail du travailleur et il dresse un tableau assez dramatique de ses aptitudes. […] Les conclusions du conseiller en orientation mandaté par la CSST sont beaucoup plus nuancées et tiennent davantage compte de la réalité du travailleur.»

Rapport d’ergothérapie rédigé sans visite préalable du poste de travail

[13] Dans Restaurant Le Stadium Club et Taif18, la travailleuse, qui contestait l’emploi convenable d’aide-éducatrice en service de garde, avait produit avant l’audience un rapport d’ergothérapie comportant une analyse des différentes tâches d’un tel emploi. La CSST remettait en question la force probante de ce rapport, alléguant que l’ergothérapeute n’avait pas rencontré la travailleuse et n’avait pas visité un poste de travail d’aide-éducatrice. La CLP a refusé d’écarter le rapport. Pour en venir à cette conclusion, elle a retenu que19: « […] la travailleuse a longuement parlé avec l'ergothérapeute, même si elle ne l'a pas rencontrée, et cette dernière a consulté les mêmes renseignements que ceux analysés par la conseillère en réadaptation, soit la description de l'emploi dans le système Repères. Elle a également consulté certaines des demandes d'emploi affichées sur le site Internet d'Emploi-Québec. On ne peut donc reprocher à la conseillère d'avoir tenu compte des mêmes éléments que ceux analysés par la conseillère en réadaptation qui, elle non plus, n'a pas visité un poste d'aide-éducatrice en garderie. Parfois, une visite de poste de travail peut s'imposer avant de déterminer un emploi convenable; cela n'est pas toujours essentiel. Il en est de même de l'analyse faite par un ergothérapeute en regard des exigences d'un emploi donné. Surtout si, comme en l'espèce, il s'agit d'un emploi connu qui comporte une description de tâches assez précise. Cependant, l'analyse des critères prévus par la loi doit alors tenir compte de chacune des tâches, exigences ou prérequis nécessaires pour occuper un tel emploi.»

Rapport d’ergothérapie et connaissance personnelle du milieu

[14] À l’inverse, dans Perreault et Morin Sports et VR20, la CLP a écarté le rapport d’un ergothérapeute au motif qu’il avait: «[...] donné une opinion basée sur l'étude d'un seul poste de commis à la location de véhicules qu'il a faite pour la SAAQ et sur sa connaissance personnelle du milieu, notamment à titre de client. Ainsi, il a identifié une série de tâches qui, selon lui, font partie des tâches "connexes inhérentes" d'un agent à la location de véhicule. De ces tâches connexes, il a tiré la conclusion que l'emploi d'agent de location de véhicules ne respectait pas les limitations fonctionnelles du travailleur. Or, il n'a pas précisé à partir de quelles informations, outre sa "connaissance", il pouvait affirmer que ces tâches connexes font partie du travail d'agent de location de véhicules.»

Rapport d’ergothérapie comportant des conclusions quant à l’existence de limitations fonctionnelles

[15] Dans Faucher et Bois traités du Québec inc.21, la travailleuse, s’appuyant sur des rapports d’ergothérapies, alléguait que l’emploi convenable de commis de bureau ne lui permettait pas d’utiliser sa capacité résiduelle. Cette prétention a notamment amené la CLP à se prononcer sur la compétence de l’ergothérapeute. Ainsi, elle a souligné que22: «[…] la détermination de limitations fonctionnelles résultant d'une lésion professionnelle est une question d'ordre médical relevant strictement, aux termes de l'article 212, d'un professionnel de la santé au sens de la Loi sur l'assurance-maladie. L'ergothérapeute ne fait pas partie des personnes habilitées à agir à cette fin.»

Conclusion

[16] Ces décisions permettent notamment de constater que la CLP, lorsqu’elle est saisie de la contestation d’un emploi convenable, adopte une approche qui est axée sur la réalité du travailleur.

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