[1] La Loimodifiant la Loi sur l’instruction publique et la Loi sur l’enseignement privé (P.L. 106)1, sanctionnée le 17 juin 2005 et entrée en vigueur le 1er septembre 2006, a pour but de protéger les élèves mineurs. Elle prévoit les devoirs et les pouvoirs des commissions scolaires ainsi que de certains établissements d’enseignement privé afin qu’ils s’assurent que les personnes qui travaillent auprès des élèves mineurs ou qui sont régulièrement en contact avec eux n’ont pas d’antécédents judiciaires en lien avec leurs fonctions.

[2] Dans Autobus Transbell inc. et Syndicat des salariées et salariés de Transbell (CSN) (Monsieur X), rendue le 3 mars 20092, l’arbitre St-Arnaud a confirmé le congédiement d’un chauffeur d’autobus scolaire dont le dossier judiciaire indiquait des infractions de possession de drogue en vue d’en faire le trafic et d’incitation à la sexualité à l’endroit d’une mineure. Selon l’arbitre, l’inexistence d’antécédents judiciaires liés aux fonctions exercées auprès des jeunes est une condition d’emploi selon les nouvelles dispositions de la Loi sur l’instruction publique3. Ainsi, le lien entre les infractions et la fonction ayant été établi, le plaignant n’avait plus la capacité légale pour maintenir son emploi.

Position de l’employeur

[3] L’employeur, une entreprise de transport scolaire, avait signé avec une commission scolaire un contrat de transport prévoyant le dévoilement des antécédents judiciaires, conformément aux nouvelles dispositions de la Loi sur l’instruction publique. Lorsqu’il a appris les antécédents judiciaires du plaignant — avoir incité à la sexualité une mineure alors qu’il avait 18 ans et avoir été en possession de cannabis en vue d’en faire le trafic, accusation pour laquelle il avait été condamné à un an de prison —, l’employeur l’a congédié avant même de transmettre l’information à la commission scolaire. Le plaignant avait également reçu plusieurs avis écrits au sujet de manquements liés à la ponctualité, au manque de respect, au manque de loyauté et au fait de dormir au travail. L’employeur a soutenu qu’il y avait eu rupture du lien de confiance sur le plan disciplinaire et que, sur le plan administratif, le plaignant n’avait plus la capacité légale de travailler en milieu scolaire. Il a également invoqué l’importance de préserver son image et sa réputation.

Position du syndicat

[4] De son côté, le syndicat prétendait qu’il y avait absence de lien avec l’emploi au sens de l’article 18.2 de la Chartedes droits et libertés de la personne4. Il a ajouté que les infractions criminelles remontaient respectivement à 1971 et à 1973, que le plaignant n’était même pas au service de l’employeur, qu’une demande de pardon était pendante et qu’il n’y avait aucun risque de récidive. Selon lui, le dossier judiciaire ne pouvait être considéré comme un incident culminant.

Décision de l’arbitre

[5] Dans cette affaire, l’employeur avait signé un contrat de transport avec la commission scolaire dans lequel était intégrée une grille d’analyse destinée à évaluer le lien existant entre les antécédents judiciaires et l’emploi. Selon l’arbitre, l’employeur pouvait donc mettre fin à l’emploi du plaignant sans transmettre à la commission scolaire les antécédents de ce dernier, car il y avait accumulation de comportements déviants en l’espèce. Par contre, que ce soit la commission scolaire ou l’employeur qui évalue le lien avec l’emploi, le droit au grief subsiste. Par ailleurs, l’arbitre cite un article de Me Yann Bernard5 dans lequel celui-ci précise que les nouvelles dispositions de la loi ne limitent pas le droit de l’employeur d’imposer un congédiement fondé sur une perte de confiance irrémédiable, peu importe que cette faute ait mené ou non à une déclaration de culpabilité. Ainsi, un employé non accusé ou acquitté au criminel pourra tout de même être congédié par une commission scolaire qui n’a plus confiance en lui, mais cette dernière devra démontrer le bris du lien de confiance de la façon établie par la jurisprudence antérieure à ces nouvelles dispositions.

[6] L’arbitre conclut que l’employeur avait des motifs raisonnables de congédier le plaignant. Celui-ci savait depuis 2006 que les antécédents judiciaires dans le milieu de l’éducation étaient devenus une question très importante et il aurait dû réagir rapidement pour régler sa situation. De plus, en raison de tous les manquements disciplinaires reprochés antérieurement, l’employeur a conclu qu’il s’agissait d’un incident culminant. L’arbitre précise qu’il pouvait tenir compte de cet incident puisqu’il s’agissait d’une question mixte, à la fois disciplinaire et administrative.

[7] Il a également souligné que le plaignant n’avait plus la capacité légale d’agir à titre de chauffeur d’autobus scolaire auprès d’élèves mineurs en raison de ses antécédents judiciaires, qui ont un lien avec son emploi selon l’interprétation qu’il faut donner à l’article 18.2 de la charte. Selon lui, l’infraction sexuelle avait été commise à l’endroit d’une mineure et le plaignant était en contact avec des élèves mineurs dans le cours de son travail. En ce qui concerne la condamnation pour trafic de stupéfiants, le lien avec l’emploi a aussi été établi, car il est de notoriété publique qu’il se fait un tel trafic dans les écoles. L’arbitre s’est dit d’avis qu’il ne pouvait pas intervenir facilement comme dans un cas d’application pure et simple de l’article 18.2 de la charte. Il a ajouté que, même si un chauffeur d’autobus a à l’égard des élèves une autorité moindre qu’un enseignant et qu’il n’a pas le même degré de responsabilité, le lien avec la fonction existait et il n’avait pas à être parfait. L’arbitre relève aussi le fait que la charte utilise les termes «aucun lien avec l’emploi». De plus, selon lui, la réputation de l’employeur pouvait être entachée.

Tierce personne par rapport à la commission scolaire

[8] L’arbitre St-Arnaud s’est également interrogé sur une possible disqualification du chauffeur d’autobus scolaire, qui n’était pas un salarié de la commission. Il note que la loi est claire quant aux enseignants mais qu’elle l’est moins pour ce qui est des personnes travaillant auprès des élèves mineurs de la commission scolaire et de celles régulièrement en contact avec eux. Il s’appuie cependant sur l’opinion de Me Bernard, selon lequel la commission scolaire a l’obligation de refuser un candidat ou de congédier ces personnes, compte tenu du libellé de l’article 261.0.1 de la Loi sur l’instruction publique. Ainsi, cette catégorie de personnes serait dans un état d’incapacité équivalant à celui de l’enseignant ne détenant pas d’autorisation d’enseigner.

Amendements à la Loi sur l’instruction publique

[9] Quant aux conséquences de l’incapacité juridique, l’arbitre a mentionné que, depuis les amendements à la Loi sur l’instruction publique, l’analyse du lien avec l’emploi doit se faire sans tenir compte de faits extérieurs à l’infraction. Il fait aussi état des commentaires de Me Bernard relativement à la jurisprudence et à la doctrine antérieures à l’adoption de la loi sur les antécédents judiciaires. Celui-ci y voit une tendance à analyser le lien entre l’infraction commise et l’emploi sous l’angle du bris du lien de confiance en la capacité de l’employé d’accomplir raisonnablement les tâches, compte tenu de facteurs atténuants. Selon Me Bernard, ces facteurs ne sont plus pertinents, car c’est la loi elle-même qui établit la norme et exige de l’employeur qu’il se défasse de cet employé. Il souligne également que la jurisprudence devra donc être utilisée avec circonspection dans un contexte où le législateur exige à titre de condition d’emploi l’absence d’antécédents judiciaires en lien avec les fonctions.

Conclusion

[10] Même si les infractions dataient de 1971 et de 1973 et qu’elles avaient été commises avant le début de son emploi à titre de chauffeur, le congédiement a été confirmé par l’arbitre St-Arnaud, qui considère que l’employeur a démontré, d’une part, le fait que le plaignant n’était plus qualifié en vertu de la Loi sur l’instruction publique et, d’autre part, le bris du lien de confiance.

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