[1] Le paragraphe 4 de l’article 57 L.N.T. est entré en vigueur le 1er juin 2003. Il prévoit que : «Un salarié est réputé au travail dans les cas suivants : […] durant toute période d’essai ou de formation exigée par l’employeur.» L’expression «formation exigée par l’employeur» a donné lieu à plusieurs interprétations à l’occasion de recours réclamant une rémunération pour une période de formation, de cours, de mise à jour des connaissances ou d’heures consacrées à l’étude ou aux travaux personnels. Elle contient deux concepts : le premier est relatif à la définition et à la forme que doit prendre une activité pour être qualifiée de formation; le second a trait à la détermination de son caractère obligatoire découlant d’une exigence de l’employeur. Nous signalerons d’abord dans ces commentaires la jurisprudence rendue à la suite de cette modification. Nous ferons ensuite état d’un arrêt récent de la Cour d’appel[2] rendu sur la question après avoir présenté l’historique des instances antérieures.

[2] Ce sont majoritairement les arbitres de griefs qui ont interprété l’article 57 paragraphe 4 L.N.T. Depuis l’arrêt Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324[3], il est incontestable que ces derniers ont compétence pour interpréter la Loi sur les normes du travail,dont les dispositions se trouvent à être intégrées à la convention collective. En outre, leurs décisions à ce sujet sont soumises à la norme de contrôle de la décision raisonnable, conformément aux principes élaborés dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick [4].

[3] Dans Union des employées et employés de service, section locale 800 et Seigneurie d’Argenteuil inc. (grief collectif)[5], l’arbitre Me Carol Jobin traite des notions d’«exigence professionnelle» et d’«exigence de formation», et il distingue aussi le cas en litige de celui où une loi d’ordre public s’adresse directement à l’employé. Dans cette affaire, l’employeur exploitait une résidence privée pour personnes âgées. Afin de se conformer à l’exigence posée à l’article 14 du Règlement sur les conditions d’obtention d’un certificat de conformité de résidence pour personnes âgées[6], il a organisé une formation en secourisme général et a demandé à tout le personnel soignant d’y participer aux dates qu’il avait fixées. Le syndicat a réclamé le paiement des heures consacrées à cette activité. De son côté, l’employeur a soutenu que l’exigence faite à l’article 14 du règlement constituait une exigence professionnelle qui s’opposait à la notion de formation énoncée à l’article 57 paragraphe 4 L.N.T. Après avoir mentionné que l’expression «formation exigée par l’employeur» excluait la formation qui est suggérée ou fortement recommandée, l’arbitre Jobin s’est dit d’accord avec l’affaire Commission scolaire des Laurentides et Syndicat des employés de la Commission scolaire des Laurentides[7], dans laquelle l’arbitre M. Claude Rondeau avait exprimé l’opinion que les notions d’«exigences de formation» et d’«exigence professionnelle» ne s’opposaient pas et n’étaient pas mutuellement exclusives. Ainsi, ce n’est pas parce qu’une formation découle d’une exigence professionnelle que cette activité est exclue de l’application de l’article 57 paragraphe 4. Examinant la preuve, il a conclu que c’était l’employeur qui avait exigé que ses employés suivent une formation étant donné que le règlement n’exigeait pas que tout le personnel possède une formation en secourisme : il visait plutôt l’établissement et fixait des conditions en vue de l’obtention de sa certification. L’arbitre de griefs a souligné que l’employeur n’avait pas exigé l’application d’une norme professionnelle imposée par la loi et par une réglementation d’ordre public et a déclaré que le personnel soignant de cette résidence pour personnes âgées, qui avait suivi des cours de secourisme en dehors de l’horaire de travail habituel, devait être rémunéré, car il s’agissait d’une période de formation exigée par l’employeur au sens de l’article 57 paragraphe 4. Il a donc distingué le litige qui opposait les parties de celui qui existait dans Syndicat interprofessionnel de la santé de Lanaudière (FIQ) et CSSS du Sud de Lanaudière[8], où l’exigence de suivre une formation donnée par un ordre professionnel s’adressait directement à la personne membre de cet ordre aux fins de l’habiliter à exercer toutes les tâches de sa profession.

[4] Dans cette affaire, des infirmières auxiliaires avaient suivi une formation organisée par l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec (OIIAQ) qui visait à les rendre aptes à accomplir les nouveaux actes professionnels leur ayant été réservés à la suite de l’adoption de la Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions législatives dans le domaine de la santé[9]. Le syndicat a prétendu que la lettre envoyée par l’employeur à ces dernières avait eu pour effet de rendre la formation obligatoire. De son côté, l’employeur a soutenu que l’exigence de suivre la formation était imposée par la loi et non par lui. L’arbitre Me Nathalie Faucher s’est dite d’avis qu’il ressortait de la lettre en question que c’était plutôt l’attestation délivrée par l’OIIAQ pour les nouvelles activités réservées qui était exigée et non la présence à l’activité de formation comme telle. Elle a ajouté que c’est le législateur, par l’intermédiaire du Code des professions[10] et du Règlement sur les activités de formation continue des infirmières et infirmiers auxiliaires[11], qui impose aux infirmières auxiliaires l’obligation de suivre la formation de l’OIIAQ. L’arbitre a conclu qu’en somme la formation visée par les griefs n’était pas imposée par l’employeur et était destinée à satisfaire à une exigence professionnelle.

[5] Dans Fraternité des policières et policiers de Joliette et Régie intermunicipale de police de la région de Joliette (griefs individuels, Karine St-Jean et un autre)[12], l’arbitre Me Denis Provençal a décidé que les deux plaignants, des policiers ayant suivi une formation afin de se requalifier pour faire passer l’alcootest, avaient le droit de recevoir une rémunération puisque cette requalification était obligatoire tous les cinq ans et qu’elle était exigée par l’employeur.

[6] Par contre, dans Union des agents de sécurité du Québec, Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 8922 et Sécurité Kolossal inc. (grief syndical)[13],les plaignants n’ont pas eu droit au paiement d’une période de formation en secourisme, car c’était le client de l’employeur qui avait exigé que ces derniers détiennent une telle formation et non l’employeur lui-même.

[7] Dans Commission scolaire des Laurentides et Syndicat des employés de la Commission scolaire des Laurentides[14], des éducatrices devaient suivre un cours de secouriste et renouveler leur certification de secouriste tous les trois ans en vertu de la convention collective afin de conserver leur poste. Cependant, la convention n’obligeait pas l’employeur à les rémunérer pour les heures consacrées à cette mise à jour en dehors des heures de travail. L’arbitre M. Claude Rondeau a déclaré que l’application du paragraphe 4 de l’article 57 L.N.T. ne dépend aucunement des exigences de l’employeur en matière de qualifications professionnelles, ni du niveau ou du contenu de la formation, ni d’une quelconque certification. Selon lui, cet article s’applique lorsque l’employeur exige qu’une personne salariée consacre du temps à une période de formation. En conséquence, il a conclu que la réussite de leur cours constituait une période de formation qui, selon la preuve, n’était pas exigée par l’employeur au sens de l’article 57 paragraphe 4. L’organisation du cours par l’employeur, le paiement de l’inscription et le remboursement du repas aux éducatrices qui l’ont suivi ne prouvent pas que l’employeur a exigé une participation ou une présence à ce cours.

Historique de l’arrêt Fraternité des policières et policiers de la MRC des Collines-de-l’Outaouais c. Collines-de-l’Outaouais (MRC des)[15]

[8] La Cour d’appel s’est prononcée sur cette question dans Fraternité des policières et policiers de la MRC des Collines-de-l’Outaouais c. Collines-de-l’Outaouais (MRC des). Elle a conclu que l’arbitre avait rendu une décision déraisonnable en interprétant la notion de «formation exigée par l’employeur» contenue au paragraphe 4 de l’article 57 L.N.T. et en concluant que les exigences de la Loi sur la police[16] à l’endroit d’un corps municipal — l’employeur — sont devenues celles de ce dernier à l’égard des policiers.

Décision de l’arbitre de griefs[17]

[9] Le plaignant, ayant obtenu le poste de technicien à l’identité judiciaire, a suivi un cours de sept semaines dans un établissement reconnu afin de parfaire ses connaissances sur les techniques d’identification. L’employeur lui a versé son salaire normal et il a acquitté ses frais de scolarité, de subsistance et d’hébergement. Le plaignant a déposé un grief fondé sur les articles 55 et 57 paragraphe 4 L.N.T., réclamant une rémunération horaire au taux majoré des heures supplémentaires pour le temps consacré aux études et aux travaux requis par la formation suivie.La question en litige était de déterminer l’effet d’une obligation créée par la Loi sur la police sur le caractère obligatoire ou non d’une formation découlant d’une exigence de l’employeur.

[10] Devant l’arbitre de griefs, le syndicat a soutenu que la formation suivie par le plaignant était requise par l’employeur parce que ce dernier doit fournir un service de niveau 2, comme l’exige la Loi sur la police. Pour sa part, l’employeur a prétendu que la formation suivie par le plaignant ne découlait pas d’une exigence qui lui était propre, mais plutôt d’une exigence législative.

[11] Après avoir conclu que le temps d’étude en dehors des cours était inclus dans la notion de formation, l’arbitre M. Noël Mallette a écarté les deux arguments et a conclu que la formation suivie par le plaignant avait été exigée par l’employeur malgré le fait qu’elle découlait de la Loi sur la police. Selon son raisonnement, cette exigence législative est imposée à l’employeur, qui doit s’y conformer en s’assurant que les policiers visés suivent les cours nécessaires. Il s’exprimait ainsi[18] : «[…] le niveau n° 2 de services aux citoyens qu’impose la Loi sur la police est la cause première de l’exigence de la formation exigible du Plaignant. Cette exigence est transmise à l’Employeur par la courroie de transmission de la loi et elle devient celle de l’Employeur du fait […] que toute municipalité soit la créature du législateur. Il en est par ailleurs de même à chaque fois que le législateur impose à un employeur une exigence qui incombe ultimement à l’employeur.» L’arbitre ajoute que[19] : «La Loi sur les normes du travail ne se soucie pas de la source de l’exigence mais ne considère que la conséquence.» Puis, il conclut que, dans ce contexte, la preuve démontre que la formation suivie a été requise par l’employeur bien qu’elle ne soit pas son fait à lui.

Décision de la Cour supérieure[20]

[12] La juge de première instance a conclu que l’interprétation donnée par l’arbitre aux termes «formation exigée par l’employeur» était déraisonnable puisqu’il y avait absence totale de preuve à ce sujet. Plus particulièrement, elle mentionne qu’aucune directive ni aucun ordre exprès ou même tacite d’assister à la formation sur l’identité judiciaire n’ont été donnés; même si l’employeur a autorisé la participation du plaignant, il ne l’a pas pour autant requise. La juge ajoute que, lors de l’inscription à ce cours, le plaignant était titulaire de son poste depuis plus d’un an et que la réussite de ce cours ne constituait pas une condition d’embauche ni de maintien à l’emploi. Enfin, elle est d’avis que son interprétation contredit la jurisprudence.

Arrêt de la Cour d’appel[21]

[13] La Cour d’appel a d’abord mentionné que l’expression «formation exigée par l’employeur» prêtait à diverses interprétations raisonnables et elle a donc énoncé la norme de contrôle applicable, qui est celle de la décision raisonnable. Selon la Cour, le syndicat avait le fardeau de démontrer que l’employeur avait exigé concrètement que le plaignant suive ce type de formation, pendant laquelle il était réputé être au travail au sens de l’article 57 paragraphe 4 L.N.T. Après avoir confirmé l’opinion de la Cour supérieure selon laquelle la décision de l’arbitre d’inclure le temps d’étude en dehors des cours dans la formation visée par l’article 57 paragraphe 4 était raisonnable, la Cour a émis une certaine réserve à cet égard en ajoutant que le temps d’étude ne constituait pas toujours de la formation. Selon elle, il faut tenir compte du contexte et de la possibilité pour l’employeur de vérifier les heures réellement consacrées à l’étude.

[14] Par ailleurs, la Cour d’appel s’est dite d’avis, tout comme la Cour supérieure, que l’interprétation donnée par l’arbitre de griefs à l’expression «formation exigée par l’employeur» était déraisonnable. Après avoir établi le motif principal sur lequel s’était fondé l’arbitre, soit la «courroie de transmission» que constituerait l’obligation faite à l’employeur par la Loi sur la police, elle a désapprouvé le raisonnement de l’arbitre voulant que le niveau 2 de services policiers imposé par la loi précitée à un corps municipal soit «la cause première de l’exigence de la formation du plaignant» et que cette exigence devienne celle de l’employeur par l’entremise de la loi. De plus, le juge Morissette, au nom de la Cour, a déclaré que la conclusion de l’arbitre de griefs selon laquelle la formation devient requise par l’employeur et constitue donc une «formation exigée par l’employeur» au sens de l’article 57 paragraphe 4 L.N.T., même si elle n’est pas «son fait», est déraisonnable. La Cour d’appel souligne que, selon la jurisprudence arbitrale, l’exigence imposée par l’employeur ne doit pas être le fait d’un tiers; celle-ci peut soit être individualisée ou s’adresser à une partie ou à l’ensemble du personnel, soit être explicite, par exemple dans une disposition d’une convention collective, ou encore être tacite. Selon elle, l’arbitre ne peut qualifier une obligation générale de l’employeur prévue par les dispositions impératives de la Loi sur la police d’exigence expresse que celui-ci impose à son employé, et ce, en l’absence de preuve de faits établissant qu’il a exigé concrètement une telle formation. Puis, examinant la preuve, la Cour conclut que rien ne démontre que l’employeur aurait été dans l’impossibilité de fournir des services policiers d’un tel niveau si le plaignant n’avait pas suivi ce cours. L’arbitre a donc donné à la notion d’«exigence» une signification étrangère à la volonté du législateur et non supportée par la preuve.

[15] Enfin, la Cour d’appel cite, sans les commenter de façon approfondie, des sentences où les arbitres ont eu à analyser des situations mettant en cause l’application de cet article, par exemple une formation suivie «sur demande de l’employeur» ou «offerte à des salariés libres de s’en prévaloir ou non», une période de formation et une exigence professionnelle préalable à l’embauche mais qui, par la suite est suivie de mises à jour, des cours de perfectionnement «obligatoires» pour obtenir de l’avancement dans une catégorie professionnelle et une «formation exigée par un employeur», et l’exigence faite à un établissement de compter du personnel détenant une qualification particulière et celle de l’employeur que tout son personnel détienne cette qualification.

Conclusion

[16] Bien que la jurisprudence demeure encore embryonnaire quant à l’interprétation à donner à l’expression «formation exigée de l’employeur» contenue à l’article 57 paragraphe 4 L.N.T., la Cour d’appel confirme que les exigences législatives créant des obligations à l’endroit d’un employeur ne deviennent pas pour autant des exigences de ce dernier à l’égard de ses employés, en l’absence d’une preuve établissant le caractère obligatoire d’une telle formation découlant d’une décision de l’employeur de l’imposer.

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