[1] À l’automne 2010, la Cour d’appel[1] a été appelée à se prononcer sur l’interprétation de l’article 91.1 de la Loi sur la protection de la jeunesse[2], adopté en juillet 2007, réglant alors la question entourant le pouvoir du tribunal de déterminer la durée de la mesure d’hébergement ordonnée une fois les délais prévus à l’article 91.1 expirés. La Cour n’a pas retenu les prétentions de la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) et a conclu que l’application d’une mesure comme le placement d’un enfant jusqu’à sa majorité du seul fait de l’expiration du délai mentionné à l’article 91.1 sans examiner la situation particulière de l’enfant et sans vérifier si le projet de vie qu’on lui destinait satisfaisait à ses besoins était contraire à la lettre de la loi et à l’esprit ayant animé la réforme de la loi qui a entraîné les modifications de juillet 2007[3]. En juin 2011, la Cour d’appel[4], appelée à nouveau à se prononcer sur les pouvoirs du tribunal, s’est penchée cette fois sur la question de la désignation de la famille d’accueil proposée dans le cadre d’un projet de vie élaboré pour un enfant. Dans cette affaire, la Cour a eu à se prononcer sur le pouvoir de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, de désigner nommément les ressources d'hébergement pour un enfant lorsqu'elle rend une ordonnance en vertu de l'article 91.1 de la Loi sur la protection de la jeunesse, qui se lit comme suit :

91.1. Lorsque le tribunal ordonne une mesure d'hébergement visée au paragraphe j du premier alinéa de l'article 91, la durée totale de cet hébergement ne peut excéder, selon l'âge de l'enfant au moment où est rendue l'ordonnance :

  1. 12 mois si l'enfant a moins de deux ans;
  2. 18 mois si l'enfant est âgé de deux à cinq ans;
  3. 24 mois si l'enfant est âgé de six ans et plus.

Le tribunal doit, lorsqu'il détermine la durée de l'hébergement, tenir compte, s'il s'agit de la même situation, de la durée d'une mesure d'hébergement contenue dans une entente sur les mesures volontaires visées au paragraphe j du premier alinéa de l'article 54 ainsi que de la durée d'une mesure d'hébergement antérieure qu'il a lui-même ordonnée en vertu du premier alinéa. Il peut également prendre en considération toute période antérieure où l'enfant a été confié ou hébergé en vertu de la présente loi.

À l'expiration des délais prévus au premier alinéa, lorsque la sécurité ou le développement de l'enfant est toujours compromis, le tribunal doit rendre une ordonnance qui tend à assurer la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie de cet enfant, appropriées à ses besoins et à son âge, de façon permanente.

Toutefois, le tribunal peut passer outre aux délais prévus au premier alinéa si le retour de l'enfant dans son milieu familial est envisagé à court terme, si l'intérêt de l'enfant l'exige ou encore pour des motifs sérieux, notamment dans le cas où les services prévus n'auraient pas été rendus.

À tout moment, à l'intérieur d'un des délais prévus au premier alinéa, lorsque la sécurité ou le développement de l'enfant est toujours compromis, le tribunal peut rendre une ordonnance qui tend à assurer la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie de cet enfant, appropriées à ses besoins et à son âge, de façon permanente.

Jugements des instances précédentes

[2] Les faits relatifs à cette affaire sont simples. La Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, a rendu une ordonnance nommant la famille d'accueil où X, né en décembre 2008, devait être hébergé jusqu'à sa majorité[5]. La DPJ a interjeté appel de cette décision au motif que la désignation de la famille d'accueil était de son ressort exclusif[6]. Le juge de la Cour supérieure a rejeté l'appel, étant d’avis que, même si c’est la DPJ qui désigne l’établissement qui choisit une famille d’accueil en vertu des articles 62 et 91 de la loi, les modifications apportées aux articles 4 et 91.1 en juillet 2007 avaient pour but d’éviter que les enfants ne subissent plusieurs déplacements et que c’était dans ce but que le législateur avait introduit la notion de «projet de vie», dont la famille d’accueil est l’un des éléments principaux. Il a jugé qu’il revenait à la DPJ de démontrer que la famille d’accueil était prête à s’investir à long terme et qu’il revenait au tribunal de décider d’accepter ou non le projet de vie proposé par la DPJ, laquelle joue un rôle d’experte devant le tribunal. Puis, après étude de la jurisprudence, le juge a conclu que le législateur exigeait l’approbation de la Cour du Québec, Chambre de la jeunesse, pour qu’un projet de vie jusqu’à la majorité soit implanté et que ce projet ne pouvait être modifié à la seule discrétion de la DPJ mais seulement par un autre jugement. En appel, la DPJ a soutenu que les modifications apportées à la loi en 2007 n'avaient pas accordé un nouveau pouvoir à la Cour du Québec, en l’occurrence celui de désigner nommément les familles d’accueil pendant la durée d’une ordonnance. Selon elle, lorsque la Cour du Québec ordonne l’hébergement d’un enfant en famille d’accueil en vertu des articles 91 et 92 de la loi, cette famille est choisie par l’établissement qui exploite un centre de protection de l’enfance et de la jeunesse. L’exécution de ces mesures est confiée à la DPJ en vertu des articles 62 et 92 de la loi. Elle a conclu que la Cour du Québec, étant un tribunal statutaire, ne possède qu'un pouvoir de recommandation en vertu de l'article 91.1 alinéa 3 de la loi pour que l'enfant soit maintenu dans une famille d'accueil, sans plus.

Décision de la Cour d’appel

[3] Dans un premier temps, la juge Dutil, se prononçant pour la Cour, rappelle que les modifications apportées à la loi en juillet 2007, et plus particulièrement celles touchant les articles 4 et 91.1, visaient à permettre de procurer à l'enfant un milieu de vie stable. À cet égard, la juge fait notamment référence à la commission parlementaire qui s'est tenue pour faire l'étude détaillée du projet de loi no 125[7]. La ministre responsable y indique clairement la volonté du gouvernement de mettre fin aux nombreux allers-retours vécus par les enfants placés en hébergement, précisant que les études avaient démontré que la capacité pour ces derniers de s’attacher était très importante et qu’il fallait chercher à leur donner de la stabilité, la possibilité de vivre une vie plus normale qui leur permette de s’attacher. La juge Dutil en conclut que, en vertu des articles 4 et 91.1 de la loi plus particulièrement, le tribunal devait rendre une ordonnance qui tende à assurer la continuité des soins ainsi que la stabilité des liens et des conditions de vie des enfants. C’est dans ce but que la DPJ doit lui présenter un projet de vie dans lequel elle a choisi, tel que le prescrit l'article 62 de la loi, un établissement qui a recours à des familles d'accueil. Enfin, la famille qui est choisie doit avoir démontré une volonté de s'engager à accompagner l'enfant jusqu'à sa majorité.

[4] Cela dit, à l’instar du juge Gagnon dans Protection de la jeunesse — 10174[8], la juge considère que la DPJ doit donc, pour permettre au tribunal de rendre son ordonnance, faire la preuve que les mesures permanentes proposées sont viables. Ainsi, sans un engagement de la part de la famille d’accueil et sans la démonstration que des liens existent entre celle-ci et l'enfant, le tribunal peut refuser de rendre l'ordonnance demandée. La juge Dutil poursuit en rappelant que depuis Dans la situation de M.V.[9], affaire dans laquelle la Cour d’appel avait étudié les limites applicables aux ordonnances d’hébergement obligatoire d’un enfant, d'importantes modifications à la loi ont été adoptées par le législateur et que, tout en laissant à la DPJ un rôle central, des balises ont été ajoutées, particulièrement à l'article 91.1 de la loi, afin d'assurer une plus grande stabilité aux enfants visés par des ordonnances d'hébergement. Le projet de vie proposé par la DPJ concernant l'hébergement d'un enfant à long terme est considéré comme de la plus haute importance pour le tribunal qui doit rendre l'ordonnance. Il est indissociable de l'ordonnance qu’il doit rendre en vertu de l'article 91.1 alinéa 3 de la loi. C’est en raison de ce nouveau contexte, et vu les objectifs de la loi, que la juge conclut que le tribunal peut désigner nommément la famille d'accueil préalablement proposée par le DPJ dans le projet de vie de l'enfant puisqu'elle en constitue une composante essentielle.

[5] Ce pouvoir dévolu au tribunal ne fait cependant pas en sorte que la DPJ se retrouve sans recours si, dans un cas où elle le juge à propos, elle désire modifier une mesure d’hébergement. Depuis les modifications de la loi en juillet 2007, plusieurs juges ont examiné la question. Ainsi, la juge Dutil rappelle que, dans Protection de la jeunesse — 092715[10], la juge Marcelin, de la Cour supérieure, a réitéré l’affirmation que le tribunal ne peut choisir les ressources à la place de la DPJ mais que, une fois que cette dernière a arrêté son choix sur l’une d’elles et qu’elle est convaincue du bien-fondé de ce choix et du plan de vie, elle doit le soumettre au tribunal. Si un changement important s’avère nécessaire, la DPJ ne peut modifier unilatéralement les ordonnances du tribunal et doit retourner devant celui-ci. Dans cette optique, la juge Dutil rapporte les propos du juge Barakett, dont le jugement fait l'objet du présent appel, lequel pose la question à savoir à quoi servirait un jugement si la DPJ peut, sans l’intervention du tribunal, changer de famille d’accueil et revenir au problème du déplacement fréquent des enfants, auquel la loi et les projets de vie doivent mettre fin.

[6] Les changements apportés par le législateur à la loi en 2007 ont donc modifié le rôle du tribunal et l'autorisent à s'assurer que le projet de vie pour l'enfant favorisera réellement sa stabilité. Ainsi, la DPJ désigne un établissement qui choisit la famille d'accueil pour le projet de vie et le tribunal rend une ordonnance basée sur ce qui est proposé. La DPJ ne peut changer l'enfant de famille d'accueil sans revenir devant le tribunal pour en expliquer les raisons et proposer une autre solution. Penser autrement aurait comme conséquence d'enlever au tribunal le rôle qui lui a été confié par le législateur en vertu de l’article 91.1 alinéa 3 de la loi, soit de «rendre une ordonnance qui tend à assurer la continuité des soins et la stabilité des liens et des conditions de vie de cet enfant, appropriées à ses besoins et à son âge, de façon permanente», laquelle repose sur le projet de vie tel qu'il est proposé.

[7] Enfin, comme nous l'avons noté précédemment, si des changements interviennent par la suite en ce qui concerne la famille d'accueil qui aurait été nommément désignée, la DPJ n'est pas sans recours puisque, en vertu de l'article 95 de la loi, elle pourra alors saisir le tribunal d'une demande de révision de l'ordonnance. Pour la Cour d’appel, cette façon de procéder permet au tribunal de rendre des ordonnances conformes aux objectifs de la loi et, à la DPJ, de choisir les ressources.

Conclusion

[8] L’intérêt de l’enfant est au cœur des préoccupations des tribunaux appelés à appliquer la Loi sur la protection de la jeunesse. L’article 3 de la loi prévoit expressément que les décisions doivent être prises dans l’intérêt de l’enfant et dans le respect de ses droits. C’est dans cette optique que les tribunaux doivent voir à ce que les ordonnances rendues à l’égard des enfants tendent à leur assurer la continuité des soins ainsi que le maintien de la stabilité de leurs liens et de leurs conditions de vie. Cette décision de la Cour d’appel s’inscrit dans ce courant. Elle a pour mérite de trancher le débat tout en rappelant au tribunal son rôle lorsqu’il est appelé à se prononcer sur un projet de vie et celui dévolu à la DPJ lorsqu’elle demande une mesure d’hébergement, le tout, à la lumière des modifications apportées à la loi en juillet 2007.