[1] Le tribunal saisi d’une demande de libération à la suite de la faillite d’un débiteur peut, en application de l’article 172 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité[1], accorder ou refuser une ordonnance de libération absolue, ou encore la suspendre pour un certain temps ou l’assortir de conditions. Par ailleurs, l’article 178 (1) dresse une liste des dettes non éteintes par la libération du débiteur, et notamment, comme le précise le paragraphe g) de cet article, « toute dette ou obligation découlant d’un prêt consenti ou garanti au titre de la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants, de la Loi fédérale sur l’aide financière aux étudiants ou de toute loi provinciale relative aux prêts aux étudiants lorsque la faillite est survenue avant la date à laquelle le failli a cessé d’être un étudiant, à temps plein ou à temps partiel, au regard de la loi applicable, ou dans les sept ans suivant cette date». Qu’en est-il, toutefois, du prêt d’une institution financière consenti à un débiteur pour financer ses études, qui n’est pas explicitement protégé par la loi contre les faillites opportunistes?

Dawson (Syndic de)[2]

Les faits

[2] En février 2011, la Cour d’appel a été appelée à se prononcer sur cette question dans Syndic de Dawson. Dans cette affaire, le débiteur, un étudiant étranger, a d’abord obtenu un baccalauréat à Montréal en 2002. Après avoir ainsi terminé ses études en biochimie, il a été admis dans une faculté américaine afin d’y faire des études en médecine podiatrique. Pour faire face à des frais annuels d’environ 40 000 $ US, il a obtenu un premier prêt étudiant auprès du gouvernement du Québec et un autre auprès d’un organisme américain. Il a également fait appel à la Banque Royale du Canada pour l’aider à financer sa scolarité. Après l’examen de son dossier, et tenant pour acquis qu’une fois ses études terminées l’appelant allait gagner des revenus substantiels, la Banque a accepté de mettre à sa disposition une «Marge de crédit Royale pour étudiants». Initialement de 20 000 $ en décembre 2003, cette marge de crédit a été graduellement augmentée jusqu’à atteindre 200 000 $ au moment où le débiteur a obtenu son diplôme, en juin 2007. Le débiteur a alors choisi de parfaire sa spécialisation en podiatrie durant quatre autres années en effectuant une résidence dans un hôpital américain. Compte tenu du faible écart entre ses revenus et ses dépenses prévisibles, ce ne serait donc qu’au terme de sa résidence, prévu pour juin 2011, que ses revenus seraient susceptibles d’augmenter substantiellement et d’osciller entre 93 000 $ et 150 000 $ US. En juin 2007, la Banque a toutefois exigé que le débiteur lui fasse des paiements mensuels de 1 500 $, ce qu’il a refusé, invoquant son incapacité financière durant sa résidence. Le débiteur a finalement fait cession volontaire de ses biens, le 28 novembre, sans avoir au préalable présenté à l’intimée une proposition concordataire, ce qui aurait pu lui éviter de faire faillite.

La décision du registraire

[3] Le 18 juillet 2008, le registraire saisi du dossier a ordonné une libération conditionnelle du débiteur, exigeant de ce dernier qu’il verse mensuellement au syndic une somme de 150 $ à compter du 1er décembre 2008 jusqu’au 1er juin 2011, soit jusqu’à la date du terme de l’exercice de sa profession à titre de podiatre résident, et qu’il paie, à compter de 2011, une somme de 30 000 $, à raison de 10 000 $ par année jusqu’à parfait paiement.

Jugement de la Cour supérieure[3]

[4] Le 20 octobre, le juge Pierre Journet a infirmé la décision du registraire, estimant trop clémentes les conditions fixées par ce dernier pour la libération du débiteur. Il a, pour sa part, rendu la libération de celui-ci conditionnelle au paiement d’une somme de 199 903 $ à la Banque Royale du Canada, et ce, par versements égaux et consécutifs de 200 $ par mois à compter de décembre 2008 jusqu’en juin 2011 et, ensuite, par le remboursement du solde des sommes dues à l’aide de versements annuels minimaux de 10 000 $.

Jugement de la Cour d’appel

[5] La Cour d’appel, sous la plume de l’honorable juge Léger, a conclu que la Cour supérieure avait retenu à bon droit que le registraire avait fait une erreur en reprochant à la Banque d’avoir mal évalué son risque ou de ne pas avoir accordé suffisamment d’attention à son évaluation. En effet, en accordant la marge de crédit au débiteur, la Banque ne pouvait mal évaluer son risque puisque ce prêt était fait avec la perspective que le débiteur allait occuper un emploi bien rémunéré une fois son éducation achevée. En l’espèce, son seul risque était que ce dernier ne termine pas sa formation professionnelle ou n’obtienne pas les revenus escomptés. Or, le débiteur a bel et bien obtenu son diplôme en médecine podiatrique. La Cour d’appel a également conclu que le juge était fondé à soupeser la preuve et à y substituer sa propre appréciation, compte tenu du fait que le registraire n’avait pas bien appliqué les principes en matière de libération, ces critères étant : le droit d’une personne honnête mais malchanceuse de repartir à zéro; le droit prima facie des créanciers d’être payés; et le droit du public d’avoir confiance dans le système et son intégrité. La Cour d’appel a ainsi retenu, quant au premier critère, qu’il était difficile de voir en quoi le débiteur devrait bénéficier d’une seconde chance, son endettement ayant servi directement à l’obtention d’un actif intangible et lui permettant d’envisager avec optimisme une carrière médicale avec les avantages financiers que cela comporte. En ce qui concerne le deuxième critère, la Cour a rappelé que la Banque avait fait crédit au débiteur sur la foi des allégations de celui-ci selon lesquelles son endettement lui permettrait d’acquérir un actif intangible durable et de qualité; elle était donc en droit de s’attendre au remboursement de sa créance. Quant au troisième critère, la Cour a retenu que le juge de première instance avait eu raison de souligner qu’il pourrait être offensant pour la moralité commerciale et l’intégrité du système que le débiteur puisse s’en tirer à si bon compte. Elle a rappelé que[4] : «Les prêts consentis par les institutions financières, dans le cadre des études supérieures, servent en quelque sorte de relais pour les étudiants souhaitant pousser plus loin leurs études.» Si ce type de prêt ne bénéficie pas du traitement législatif particulier prévu pour les prêts étudiants gouvernementaux, il mérite néanmoins de recevoir un traitement semblable. La Cour d’appel a conclu en ces termes[5] : «Il coule de source que les études supérieures permettent d’acquérir un avoir durable et de qualité; en l’espèce, cet actif intangible a été acquis par l’appelant en partie grâce au financement consenti par l’intimée. Cet actif va subsister après sa faillite et l’appelant continuera à en bénéficier durant toute sa carrière. Dans ces circonstances, il serait choquant aux yeux du public de permettre que l’appelant puisse être aussi aisément relevé de ses obligations envers l’intimée.» L’appel a toutefois été accueilli en partie, aux seules fins de prévoir que les versements effectués par le débiteur le soient au syndic au bénéfice de la masse des créanciers, conformément à l’article 176 (3) de la loi, plutôt qu’à la Banque et de permettre au débiteur d’effectuer des paiements par anticipation pour accélérer sa libération, le cas échéant.

Kokozaki (Syndic de)[6]

[6] Depuis qu’elle a été rendue, la décision de la Cour d’appel dans Dawson a été citée à quelques reprises par les décideurs, qui ont salué son importance. Ainsi, dès mars 2011, la Cour supérieure, appelée à rejeter une requête en révision d’une décision d’un registraire qui avait accordé au débiteur une libération conditionnelle au paiement d’une somme de 916 $ et d’une autre de 2 400 $ ainsi qu’au remboursement de la totalité de la somme due à titre de dette d’études au ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, a mentionné que la Cour d’appel avait rendu une décision importante dans le cadre d’une demande de libération d’un failli dans laquelle était expliqué l’équilibre entre les objectifs de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité de permettre la réhabilitation d’un individu et le droit prima facie des créanciers d’être payés. Le juge de la Cour supérieure a relevé que «[c]es droits se butent à celui du public d’avoir confiance dans l’intégrité du système[7]» et que «chaque cas doit être analysé en fonction de son contexte particulier et il peut être opportun d’imposer des paiements dans le cadre d’une demande de libération d’un failli[8]».

Dudley (Syndic de)[9]

[7] Les enseignements énoncés par la Cour d’appel dans Dawson ont également trouvé écho dans cette décision rendue en juillet par le juge Clément Gascon, qui a maintenu la décision d’un registraire ayant annulé la cession de biens du débiteur après avoir conclu que ce dernier, docteur en médecine et alors résident de quatrième année en neurochirurgie, avait fait une cession «prémonitoire» en raison de la pression psychologique ressentie comme soutien de famille, dans un contexte où aucun créancier ne lui demandait le paiement immédiat de ses dettes. Dans cette affaire, le juge de la Cour supérieure a considéré que la décision du registraire s’accordait avec les enseignements récents de la Cour d’appel en matière de libération d’un failli et que ceux-ci ne devaient pas être mis de côté dans l’analyse de l’abus du système reproché au débiteur, et ce, même s’il ne s’agissait pas d’un débat portant sur une question de libération. La Cour supérieure a ainsi relevé que les dettes du débiteur en cause étaient similaires à celles qui faisaient l’objet du débat dans Dawson. Elle a en outre conclu que[10] : «Pour ainsi dire, dans l’approche qu’il a favorisée, le Registraire a en quelque sorte appliqué les conséquences des enseignements de l’arrêt Dawson rendu postérieurement à sa décision.»

Lamontagne-Carpin (Syndic de)[11]

[8] Plus récemment, en septembre, l’arrêt Dawson a été cité avec approbation par une registraire saisie d’une requête en opposition à la libération d’un débiteur âgé de 37 ans, étudiant au doctorat en pharmacologie. Alors que le débiteur avait toujours considéré que les chances de placement dans son domaine étaient de 94 %, il estimait qu’il n’avait plus aucune possibilité d’emploi dans ce champ de pratique, tout en avouant que les perspectives d’emploi seraient meilleures s’il s’expatriait afin de faire un postdoctorat. Bien qu’il se soit toujours dit prêt à en faire un, cela lui paraissait désormais impossible pour des raisons familiales. La registraire a jugé que les conclusions du débiteur étaient hâtives, celui-ci étant sur le point de terminer ses études. Appliquant les grands principes en matière de faillite invoqués dans Dawson, la registraire a notamment souligné qu’il n’avait pas été démontré que l’établissement financier en cause, une caisse populaire, avait commis une erreur dans l’appréciation de la situation du débiteur lorsqu’il lui avait accordé les prêts. En outre, elle a retenu que la nature des dettes de ce dernier faisait en sorte que l’on devait considérer son expectative financière future, rappelant qu’autrement cela reviendrait à encourager les étudiants à dénaturer l’objectif de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité en leur permettant d’éteindre leur passif tangible avant qu’ils ne commencent à gagner un revenu tout en leur permettant de conserver un actif intangible et insaisissable. La registraire a finalement considéré que «la faillite est précipitée, puisque la majorité de ses dettes ne sont pas encore exigibles, qu’il n’a fait aucune tentative afin de prendre des arrangements avec ses créanciers et qu’il n’a pas fait preuve de bonne foi dans sa recherche d’emploi, le libérer sans exiger qu’il rembourse totalement les sommes dues à l’opposante, reviendrait à permettre une utilisation abusive de la Loi sur la faillite[12]».

Conclusion

[9] La décision de la Cour d’appel est riche d’enseignements, comme l’ont démontré les trois décisions l’ayant citée avec approbation. Son application est d’ailleurs loin de se limiter à la seule question de la libération d’un débiteur ayant bénéficié de prêts pour poursuivre des études supérieures, même si, sur cette question, sa portée est sans ambiguïté.

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