[1] À l’occasion de l’embauche d’un employé, l’employeur doit s’abstenir de faire preuve de discrimination afin de respecter les articles 10 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne[1], qui édictent respectivement le droit à l’égalité de toute personne et les motifs interdits de discrimination ainsi qu’une interdiction visant précisément la discrimination dans l’embauche. De plus, l’article 20 de la charte permet tout de même une certaine exclusion ou préférence de la part de l’employeur et prévoit que celle-ci est réputée non discriminatoire si elle est fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi.

[2] De façon plus particulière, d’autres dispositions, tels l’article 18.1 de la charte, visant le formulaire de demande d’emploi — y compris le formulaire médical — ou le contexte d’une entrevue, et l’article 18.2 de la charte, relatif aux antécédents judiciaires, doivent être respectées par l’employeur. Ces dernières seront énoncées plus loin dans le texte.

[3] À la lumière de ce cadre légal, ce qui suit présentera les décisions portant sur un refus d’embauche fondé sur différents motifs de discrimination et discutant des aptitudes ou qualités requises par l’emploi. Par la suite, il sera traité du cas des questions posées à l’entrevue ou dans un formulaire de demande d’emploi. Enfin, l’interdiction de congédier ou d’embaucher une personne qui a des antécédents judiciaires sera brièvement abordée alors que les grands principes et les critères à considérer seront mentionnés.

Refus d’embauche ou d’attribution de poste fondé sur un motif de discrimination (art. 10, 16 et 20 de la charte)

Âge

Trop d’expérience?

[4] Dans Syndicat des avocates et avocats du Centre communautaire juridique de la Rive-Sud et Centre communautaire juridique de la Rive-Sud (Anne-Marie Dodds)[2], une avocate admise au Barreau du Québec en 2000 a accepté d’effectuer trois contrats temporaires, successifs mais non continus, chez l’employeur. Ce dernier a affiché un poste permanent, requérant notamment une expérience pertinente dans certains domaines. Pourtant, il a embauché une jeune avocate ayant tout juste terminé sa formation au Barreau afin d’occuper ce poste en raison de l’entrée en vigueur de la Loi mettant en oeuvre certaines dispositions du discours sur le budget du 30 mars 2010 et visant le retour à l’équilibre budgétaire en 2013-2014 et la réduction de la dette[3]. L’employeur a fait valoir qu’il a décidé de n’embaucher que des avocats possédant trois ans d’expérience ou moins.

[5] L’arbitre de griefs, Me Diane Sabourin, s’est dite d’avis que, en choisissant d’embaucher une avocate sans expérience pour le poste affiché, l’employeur n’a pas exercé ses droits de direction de façon abusive. En effet, il n’y a aucune disposition dans la convention qui limite le choix des candidats par l’employeur, qui énonce des critères de sélection ou qui établit une liste de priorité. Par ailleurs, l’employeur n’a pas exercé de la discrimination fondée sur l’âge, interdite par les articles 16 et 10 de la charte. En effet, l’âge n’a joué aucun rôle dans sa prise de décision. Ce n’est pas l’âge des avocats, mais bien plutôt l’année d’admission au Barreau que l’employeur a prise en considération.

Trop jeune?

[6] Dans Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 500 et Aliments Cargill ltée (grief syndical et Alyssa Tremblay)[4],l’employeur, qui exploite une usine de transformation de viande, a refusé d’attribuer un poste d’opérateur de hachoir aux salariés de moins de 18 ans, conformément à la politique qu’il avait adoptée, selon laquelle l’occupation de 11 postes considérés comme dangereux était interdite à ces salariés en raison de l’utilisation de machines pouvant causer des blessures graves ou la mort. Il a soutenu que l’occupation de postes à risque mentionnés dans celle-ci est susceptible de nuire à la santé du salarié de moins de 18 ans ainsi qu’à son développement physique et moral au sens de l’article 84.2 de la Loi sur les normes du travail[5].

[7] L’arbitre de griefs, Me Jean-Louis Dubé, a donné raison à l’employeur. Il est intéressant de noter qu’une preuve par expert a été faite selon laquelle les personnes âgées de moins de 18 ans présentaient, en plus d’un manque d’aptitudes, des caractéristiques comportementales propres à leur âge constituant des facteurs de risque. Ces tâches étaient donc disproportionnées par rapport aux capacités de ces personnes.

[8] Par conséquent, l’arbitre a conclu que l’employeur ne faisait ainsi aucune discrimination car, conformément à l’article 10 de la charte, il peut faire une distinction fondée sur l’âge «dans la mesure prévue par la loi». L’arbitre s’est également dit d’avis que la nécessité d’avoir 18 ans constituait, de toute façon, une exigence professionnelle justifiée en vertu de l’article 20 de la charte.De plus, des évaluations individuelles à l’embauche ne pouvaient pas constituer une mesure d’accommodement raisonnable puisqu’il s’agirait d’une contrainte excessive pour l’employeur. Enfin, il a ajouté que cette conclusion valait également à l’égard du poste de cariste.

Trop vieux?

[9] D’autre part, il a été décidé, dans Rosenthal et Président de l’Agence fédérale de développement économique pour le Sud de l’Ontario[6], que demander à un candidat sa date de naissance et lui dire que la candidature d’une jeune femme a été retenue est, à première vue, une preuve de discrimination fondée sur l’âge et le sexe. Toutefois, le Tribunal de la dotation de la fonction publique a conclu que l’employeur avait réussi à expliquer raisonnablement qu’il devait suivre un protocole de sécurité et que les propos tenus ne visaient qu’à décrire la candidate retenue.

[10] Dans un contexte similaire, la plaignante, âgée de 56 ans, a postulé un poste d’agent d’information. Elle a allégué que l’employeur avait rejeté sa candidature en raison de son âge, notamment parce que, lors de l’évaluation de sa candidature, il avait inscrit les mentions «Senior» et «trop fort». L’employeur a prétendu que les études de celle-ci, soit maîtrise et doctorat, constituaient une formation qui dépassait celle recherchée.

[11] Le Tribunal des droits de la personne, dans Commission des droits de la personne c. École de technologie supérieure[7], a souligné que, même si l’âge de la plaignante n’était pas inscrit dans son curriculum vitae, l’employeur pouvait établir son groupe d’âge à partir des informations qui y figuraient, dont l’année d’obtention de son baccalauréat (1974). Au Québec, en matière d’embauche ou d’accès à une promotion, les personnes d’âge avancé font face à des préjugés, et a fortiori les femmes. Selon le Tribunal, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a donc prouvé que la plaignante avait été victime de discrimination. Cependant, il s’agit d’une situation où cette exclusion est réputée non discriminatoire en vertu de l’article 20 de la charte, l’employeur ayant démontré que l’exclusion est fondée sur des aptitudes ou des qualités requises par l’emploi, soit des qualifications dans les technologies de l’information et dans les communications ainsi que le bilinguisme.

Voyons maintenant quelques cas d’application reliés au motif du handicap.

Handicap

Alcoolisme

[12] Dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke[8], la Cour d’appel a donné raison à l’employeur d’avoir refusé d’embaucher un employé congédié quatre ans plus tôt en raison de son absentéisme causé par l’alcoolisme. Elle a déclaré que l’employeur n’avait pas l’obligation d’offrir une évaluation individualisée de la candidature d’un tel employé dans cette situation.

[13] Le plaignant, un aide en alimentation dans un centre hospitalier, a été congédié en 2001 en raison de son absentéisme occasionné par son alcoolisme. Son congédiement a été maintenu par un arbitre de griefs[9]. Puis, en janvier 2005, le plaignant a postulé de nouveau chez l’employeur un poste de préposé aux bénéficiaires, ayant acquis une nouvelle formation et étant sobre à la suite d’une thérapie depuis mai 2001. En raison du refus de l’employeur de considérer sa candidature, le plaignant a déposé une plainte, accusant ce dernier d’avoir porté atteinte à son droit d’être traité en pleine égalité, sans distinction ou exclusion fondée sur le handicap en raison de son alcoolisme. Le Tribunal des droits de la personne a rejeté sa plainte[10].

La majorité de la Cour d’appel

[14] Mme la juge Duval Hesler, juge en chef de la Cour d’appel, a mentionné qu’il pourrait être discriminatoire de présumer qu’une personne qui a un jour présenté un handicap en souffre toujours. Cependant, elle a souligné que là n’était pas la question. Selon elle, il s’agissait plutôt de déterminer si une réévaluation individuelle de la candidature du plaignant avait été refusée de façon déraisonnable. Ainsi, elle a noté que la décision de l’employeur de congédier le plaignant avait été jugée raisonnable par un arbitre de griefs, que le motif fondant une telle mesure était raisonnable et non discriminatoire et que l’employeur invoquait le même motif afin de refuser la candidature du plaignant. La Cour, à la majorité, a donc déclaré que l’employeur n’avait pas l’obligation d’offrir une évaluation individualisée de la candidature d’un employé qu’il avait lui-même congédié quatre ans plus tôt en raison de son absentéisme causé par son alcoolisme. Il est intéressant de noter qu’elle n’a pas tenu compte de la durée de l’abstinence du plaignant.

La dissidence

[15] Contrairement à l’opinion majoritaire, la sobriété du plaignant depuis plus de trois ans au moment de l’embauche est au cœur de la dissidence exprimée par M. le juge Jean Bouchard. Il souligne que l’employeur devait faire la distinction entre le congédiement survenu en 2001 et le droit à l’égalité des chances lors de l’embauche en 2005, qui assure un processus de sélection exempt de discrimination.

[16] Une autre affaire porte sur le refus d’Urgences-santé, dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Corporation d’Urgences-santé[11],d’embaucher un technicien ambulancier qui souffre de dégénérescence discale. L’employeur a fondé son refus sur l’existence de limitations fonctionnelles révélées par l’examen médical préembauche, soit celles de ne pas soulever de poids de 15 à 25 kilogrammes, de ne pas monter fréquemment plusieurs escaliers et de ne pas marcher en terrain accidenté ou glissant.

[17] Le Tribunal des droits de la personne a maintenu la décision de l’employeur. Il a conclu qu’il existait un lien rationnel entre cette norme d’embauche et les exigences professionnelles justifiées du travail de technicien ambulancier. En effet, le niveau de risque dans l’exécution des tâches d’un technicien ambulancier est élevé en raison des conditions dans lesquelles cet emploi s’exerce, notamment sur le plan de la sécurité, et dans un contexte d’urgence. Le Tribunal s’est dit d’avis qu’une adaptation de la norme d’embauche de manière à la rendre compatible avec les limitations du plaignant exposerait ses collègues et la clientèle à un risque excessif.

Handicap visuel

[18] Par contre, dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Québec (Procureur général)[12], on a jugé que le Conseil exécutif avait fait preuve de discrimination lors de l’embauche en ne permettant pas à une personne atteinte d’un handicap visuel de refaire l’examen de français tout en sachant que les mesures d’adaptation à ce handicap avaient été inadéquates lors du premier concours.

[19] Le plaignant était bibliotechnicien. Souffrant d’un handicap visuel sérieux, il avait recours à différents instruments pour pallier celui-ci. Inscrit à un concours pour un poste de bibliotechnicien, il a subi un premier examen de français, qui s’est soldé par un échec. À cet examen, aucun plan d’intervention afin de pallier son handicap n’avait été mis en place. Au surplus, les mesures d’adaptation demandées par le plaignant, comme la taille du caractère d’imprimerie utilisé, n’avaient pas été respectées.

[20] Le Tribunal des droits de la personne a souligné que, selon les documents provenant du Conseil du Trésor, l’adaptation des instruments d’évaluation et de sélection constitue une mesure importante afin d’assurer à toute personne handicapée une chance égale à celle des autres candidats. En vertu de ce principe, le Conseil exécutif avait l’obligation de rechercher un accommodement raisonnable afin d’éviter que le plaignant ne soit pénalisé.

Grossesse

[21] Dans Société de l’assurance automobile du Québec c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse[13], l’exigence de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) de subir une radiographie imposée à une salariée enceinte afin d’obtenir un poste de contrôleuse routière a été déclarée discriminatoire.

[22] Le Tribunal des droits de la personne[14] a déclaré que la pratique de l’employeur aurait pu faire l’objet d’une mesure d’accommodement telle que la nomination temporaire conditionnelle à une radiographie lombaire réussie. Selon lui, l’exigence posée constituait une atteinte à l’égalité dans l’emploi par discrimination fondée sur le sexe et la grossesse en retardant l’embauche de la plaignante. Il lui a accordé une compensation, d’où l’appel. La Cour d’appel a maintenu la décision du Tribunal.

Sexe

Une femme

[23] L’employeur, Gaz métropolitain, imposait aux femmes un test pratique qui excluait toute mesure d’accommodement puisque toute modification était d’emblée associée à une diminution des exigences auxquelles les hommes étaient soumis.

[24] Le Tribunal des droits de la personne, dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Gaz métropolitain inc.[15],a conclu que le processus de recrutement et d’embauche de l’employeur était entaché de discrimination systémique ayant pour effet d’exclure de manière disproportionnée les femmes de l’emploi manuel de «préposé réseau/stagiaire réseau». À ce sujet, il a déclaré qu’un examen pratique conçu par et pour des hommes ne pouvait adéquatement évaluer la performance des femmes ni, par conséquent, établir leur efficacité une fois celles-ci embauchées. Selon lui, l’employeur n’avait pas démontré qu’il ne pouvait, sans subir de contrainte excessive, accommoder les femmes en apportant à l’examen pratique des modifications adaptées à leurs caractéristiques physiques et en leur permettant, pendant le test, de procéder différemment des hommes en vue d’établir leurs capacités réelles à occuper le poste de préposé réseau. Il a rendu une série d’ordonnances afin de faire cesser les pratiques discriminatoires et a condamné l’employeur à verser une indemnité correspondant à plusieurs types de dommages.

[25] La Cour d’appel[16] a confirmé cette décision, se disant d’avis que la mention de l’expérience non traditionnelle pour cet emploi à titre d’expérience pertinente considérée par l’employeur constituait un obstacle à l’embauche. Quant à la preuve de l’existence d’une contrainte excessive, elle a conclu que l’employeur n’avait pas examiné la possibilité de laisser un délai permettant aux femmes d’obtenir leur permis de conduire de classe 3 après leur embauche, non plus qu’il avait prouvé qu’un tel accommodement constituerait une contrainte excessive.

[26] Dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Laurentian Shavings Products (1986) Inc.[17], la plaignante était une chauffeuse de camion lourd. Elle s’est rendue chez l’employeur afin de lui remettre son curriculum vitae. En la voyant, ce dernier lui a déclaré qu’il n’embauchait pas de femmes, estimant qu’elles ne pouvaient effectuer, notamment, la tâche exigeante de monter sur le toit des camions afin de les déneiger

[27] Le Tribunal des droits de la personne a déclaré que le fait que l’employeur ait déjà embauché des femmes qui ont par la suite abandonné leur emploi n’indique pas que toutes les femmes seraient incapables d’exercer l’emploi de chauffeuse de camion. Le fait qu’il s’agisse d’un secteur commercial comptant peu de femmes ne constitue pas un moyen de défense valable. Il a conclu que l’employeur, qui exploite une entreprise de camionnage, avait exercé de la discrimination à l’embauche fondée sur le sexe, soit l’un des motifs énumérés à l’article 10 de la charte, en refusant de considérer une candidature à un poste de chauffeur de camion classe 1 parce qu’il s’agissait d’une femme.

[28] Il est à noter que la Cour d’appel[18] a refusé d’intervenir quant aux conclusions du Tribunal, confirmant ainsi sa décision.

Un homme

[29] Par ailleurs, une garderie a fait preuve de discrimination dans l’emploi en rejetant une candidature au motif que le postulant est un homme. C’est ce qu’a décidé le Tribunal des droits de la personne dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Garderie en milieu familial des Petits Anges[19].

[30] Le plaignant a répondu à une annonce affichant une poste d’«éducateur» ou d’«éducatrice» dans un centre de la petite enfance. Il a offert ses services, précisant qu’il était disponible et qu’il avait de l’expérience ainsi que des lettres de recommandation, ce à quoi la responsable a immédiatement répondu qu’elle n’embauchait pas d’hommes et préférait travailler avec des femmes.

[31] Le Tribunal des droits de la personne a conclu qu’il s’agissait d’un refus d’embauche discriminatoire fondé sur le sexe de la part de la responsable du centre de la petite enfance. En refusant de recevoir la demande d’emploi du plaignant, la responsable a entretenu une fausse image selon laquelle seules les femmes peuvent s’occuper des enfants en garderie ou en sont capables. Elle a perpétué un préjugé à l’égard des hommes, voulant qu’ils soient incapables de prendre soin de jeunes enfants. On retrouve dans son attitude une exclusion du processus d’embauche parce qu’elle a fait une distinction fondée sur le sexe, contrevenant ainsi aux articles 10 et 16 de la charte.

Formulaire de demande d’emploi et entrevue d’embauche (art. 18.1 de la charte)

[32] L’article 18.1 de la charte prévoit que :

18.1. Nul ne peut, dans un formulaire de demande d’emploi ou lors d’une entrevue relative à un emploi, requérir d’une personne des renseignements sur les motifs visés dans l’article 10 sauf si ces renseignements sont utiles à l’application de l’article 20 ou à l’application d’un programme d’accès à l’égalité existant au moment de la demande.

Questions posées

Entrevue

[33] Lors de l’entrevue, l’employeur a posé plusieurs questions au sujet de la religion musulmane, abordant les restrictions religieuses que des candidats musulmans avaient relativement au travail dans certaines entreprises. Le Tribunal des droits de la personne, dans Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Systématix Technologies de l’information inc.[20], s’est dit d’avis qu’une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que le plaignant se serait sentie obligée de répondre, et que ses réponses ne témoignaient pas de la renonciation au droit prévu à l’article 18.1 de la charte. Il a ajouté que la preuve que de telles questions sont posées au moment de l’entrevue suffit à établir une atteinte au droit protégé à l’article 18.1, sans égard à leur utilisation à d’autres fins, à l’exception de deux situations, soit lorsque de telles informations sont nécessaires pour évaluer une aptitude ou une qualité requise par certains emplois ou quand elles sont utiles à l’application d’un programme d’accès à l’égalité en vigueur au moment de la demande.

[34] Ce qui ressort également de la décision est que le fait que des questions portant sur la religion ou sur l’un des motifs illicites prévus à l’article 10 de la charte soient posées pendant l’entrevue d’embauche — par curiosité, pour détendre l’atmosphère ou pour tout autre motif — porte atteinte au droit protégé par l’article 18.1 de la charte, qui interdit de recueillir de tels renseignements.

Questionnaire médical

[35] La Cour d’appel s’est prononcée récemment dans Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières auxiliaires du Cœur-du-Québec (SIIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières[21], non pas à l’égard de discrimination faite à l’occasion de l’embauche ou, dit autrement, à l’occasion de la collecte de renseignements, mais plutôt dans le contexte d’un congédiement imposé pour avoir fait de fausses déclarations dans le questionnaire médical préembauche. Le syndicat contestait la légalité de ce questionnaire et des questions posées. Cette décision constitue donc un éclairage sur la démarche de l’employeur à l’occasion de l’embauche.

[36] Ainsi, le congédiement imposé par le Centre hospitalier régional de Trois-Rivières à un infirmier auxiliaire pour avoir fait de fausses déclarations à l’embauche au sujet de ses antécédents psychiatriques dans un questionnaire médical est maintenu.

[37] La Cour a rappelé que, même si des questions portant sur l’état de santé sont interdites par l’article 18.1 de la charte parce qu’elles portent sur le handicap, un motif de discrimination prévu à l’article 10 de la charte, l’employeur peut vérifier si un salarié possède les aptitudes requises par l’emploi au sens de l’article 20 de la charte. En l’espèce, elle a conclu que les questions posées, qui étaient relatives à des problèmes de dépendance à l’alcool, aux drogues et au jeu, de santé mentale et d’un usage régulier de médicaments, n’étaient pas «sans lien avec la tâche et les responsabilités» confiées à un infirmier auxiliaire.

[38] Cette décision est très intéressante en ce qu’elle discute de la portée de l’obligation du salarié de répondre aux questions posées et des droits de l’employeur tout en lui faisant une mise en garde. Bref, il faut retenir que l’employeur ne peut donc exclure la candidature de la personne affectée d’un handicap que si sa décision repose sur les aptitudes ou qualités requises par l’emploi convoité.

Les antécédents judiciaires

[39] L’article 18.2 de la charte prévoit un régime particulier concernant cette matière :

18.2. Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon.

[40] La jurisprudence a élaboré des critères à considérer dans l’appréciation du lien entre l’infraction commise et l’emploi postulé, principalement dans le contexte d’un congédiement imposé en raison de l’existence d’antécédents judiciaires. L’employeur doit en tenir compte à l’occasion du processus d’embauche. Voici une décision de la Cour suprême ainsi que deux décisions, citées à titre d’exemple, bien qu’il en existe beaucoup d’autres qui traitent de l’article 18.2 de la charte en matière de congédiement en raison de l’existence d’antécédents judiciaires. On peut s’inspirer de ces mêmes critères en matière de refus d’embauche.

Régime particulier de l’article 18.2 de la charte : la portée de sa protection

[41] La Cour suprême, dans Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Maksteel Québec inc.[22], a notamment rappelé que la protection contre la discrimination fondée sur les antécédents judiciaires ne s’appliquait que dans le domaine de l’emploi et ne visait que les cas où les antécédents judiciaires constituent le seul motif justifiant la décision ou la mesure imposée. L’article 18.2 de la charte contient son propre régime de justification et, partant, échappe à l’application de l’article 20 de la charte. Si la personne a obtenu un pardon pour l’infraction commise, qu’il y ait ou non un lien entre celle-ci et l’emploi, la protection est absolue. De plus, s’il n’y a pas de lien entre l’antécédent judiciaire et l’emploi, la protection est également complète. L’employeur n’a aucune obligation d’accommodement raisonnable à l’égard de ce régime. Il doit établir un lien objectif entre l’infraction commise et le poste occupé «selon la prépondérance de la preuve».

[42] Dans cette affaire, le plaignant a plaidé coupable à des accusations de fraude et d’abus de confiance. Sa sentence a été remise. Alors qu’il travaillait comme mécanicien d’entretien, il a été condamné à une peine d’incarcération de six mois moins un jour. L’employeur l’a congédié en raison de son absence du travail. Quelques semaines plus tard, le plaignant a été remis en liberté conditionnelle. Après avoir tenté, en vain, de réintégrer son poste, il a déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, alléguant avoir été congédié du seul fait de sa déclaration de culpabilité, en violation de l’article 18.2 de la charte. Le Tribunal des droits de la personne du Québec a fait droit à la plainte[23]. La Cour d’appel a infirmé le jugement[24] et la Cour suprême a donné raison à la Cour d’appel. Le congédiement a donc été confirmé.

[43] Dans les cas où la mesure prise par l’employeur est liée au seul fait que la personne a des antécédents judiciaires, le droit est enfreint si la différence de traitement découle d’une perception que l’employé est moins apte à effectuer le travail et moins digne d’être reconnu en tant qu’être humain en raison de son antécédent judiciaire.

Cas d’application

Directeur d’un palais de justice

[44] À titre d’illustration, la Commission de la fonction publique, dans Lévesque et Québec (Ministère de la Justice)[25], a confirmé le congédiement imposé au directeur d’un palais de justice à la suite de la déclaration de sa culpabilité sous des chefs d’agression sexuelle à l’endroit d’un enfant âgé de moins de 16 ans, même s’il avait invoqué la protection prévue à l’article 18.2 de la charte;un lien entre les déclarations de culpabilité et son emploi a été établi au sens de cet article en raison de la nature des activités d’un tel lieu, du degré des responsabilités du plaignant et des liens étroits que celui-ci doit entretenir avec les partenaires du ministère de la Justice ainsi qu’avec sa clientèle.

[45] Selon la Commission, l’employeur doit démontrer «que la mesure imposée a une justification réelle et raisonnable». Le critère d’un lien objectif, réel et raisonnable doit donc s’appliquer. En outre, la détermination d’un tel lien est contextuelle. Ainsi, la nature particulière des activités d’un employeur et celle du poste occupé quant à son degré de responsabilités sont déterminantes, ainsi que les effets sur la clientèle et les partenaires de l’employeur.

Préposée aux bénéficiaires

[46] Dans Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 et Oasis St-Damien inc.[26], l’employeur exploite une corporation sans but lucratif qui administre des résidences ou immeubles à logements destinés à l’accueil et à l’hébergement de personnes âgées autonomes ou semi-autonomes. Il a exigé de tous ses employés qu’ils fournissent leurs antécédents judiciaires. La plaignante est une préposée aux bénéficiaires. L’employeur l’a congédiée au motif qu’elle avait un dossier judiciaire concernant des accusations de vol et de fraude, estimant que son dossier était incompatible avec la mission, les valeurs et la vulnérabilité de la clientèle.

[47] L’arbitre de griefs a déclaré qu’il s’agissait de savoir s’il existait un lien entre des antécédents de vol et de fraude et l’emploi de préposée aux bénéficiaires détenu par la plaignante dans cette entreprise. Compte tenu de la jurisprudence, il faut prendre en considération le contexte entourant la commission de l’infraction criminelle et ne pas se limiter au caractère générique de cette dernière. Il a conclu qu’elle ne pouvait bénéficier de la protection prévue à l’article 18.2 de la charte pour faire annuler son congédiement; les infractions commises ont un lien avec l’emploi en raison de la mission de l’entreprise, de la nature du poste et de la vulnérabilité de la clientèle. Or, la nature des infractions commises est reliée à cette valeur. Ainsi, le lien requis par l’article 18.2 a été établi, et mettre fin à l’emploi repose sur une justification réelle et raisonnable. Tout accommodement est exclu.

Préposé à l’entretien ménager

[48] Dans un contexte similaire, dans CSSS Drummond et Syndicat de la santé et des services sociaux Drummond – CSN (Pierre-Luc-Jimmy Paquin)[27], un préposé à l’entretien ménager dans une résidence pour personnes âgées ne peut bénéficier de la protection accordée par l’article 18.2 de la charte étant donné le lien suffisant qui existe entre ses antécédents judiciaires et le poste occupé. Dans cette affaire, le plaignant a fait une fausse déclaration à l’embauche en affirmant ne posséder aucun dossier judiciaire alors qu’il avait été condamné pour trafic de drogue, incendie criminel, introduction par effraction et extorsion. Le congédiement a été maintenu.

[49] La démarche d’embauche de l’employeur doit respecter les droits à l’égalité du salarié sans faire preuve de discrimination fondée sur l’un des motifs prévus à la charte et, s’il s’agit d’antécédents judiciaires, c’est le régime particulier de l’article 18.2 de la charte qui s’appliquera à la lumière des critères particuliers qui lui sont applicables. Contrairement aux motifs de discrimination prévus à l’article 10, il n’est plus question d’apprécier si l’on est en présence d’une aptitude requise par l’emploi, mais plutôt de déterminer s’il y a un lien entre l’infraction commise et l’emploi. Dans le cas des antécédents judiciaires, l’obligation d’accommodement n’existe pas.

[50] Dans le contexte d’un motif de discrimination prévu à l’article 10 de la charte, l’employeur a le droit d’exiger que le candidat possède les aptitudes requises pour l’emploi, ainsi que le prévoit l’article 20, et de poser des questions sur les antécédents judiciaires tout en respectant l’article 18.2. Il en a même l’obligation afin de veiller à la santé et à la sécurité du travail de tous. À cette fin, préalablement à tout exercice d’embauche, il devrait prendre connaissance de la description des tâches, tenir compte de sa mission et de ses valeurs et définir exactement les compétences et les aptitudes requises, que ce soit sur le plan physique ou psychologique, afin de déterminer précisément les questions qui méritent d’être posées en raison de l’aptitude requise afin d’occuper l’emploi ou de la compatibilité devant exister entre l’existence éventuelle d’un dossier judiciaire et l’emploi. Une bonne planification de la démarche d’embauche peut éviter bien des écueils…

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