Selon Statistique Canada, 25 % des personnes âgées de 65 ans et plus, soit un peu plus d’un million de personnes, ont déclaré avoir reçu des soins à domicile en 2009. Avec le vieillissement de la population, il est à prévoir que ce nombre augmentera. Or, qu’arrive-t-il si une personne décide de faire un legs à quelqu’un qu’elle a engagé pour lui prodiguer des soins chez-elle ?

L’article 761 du Code civil du Québec (C.C.Q.) crée une présomption de captation irréfragable lorsqu’un testateur fait un legs au propriétaire, à l’administrateur ou au salarié d’un établissement de santé ou de services sociaux qui n’est ni son conjoint ou un proche parent, alors qu’il y était soigné ou y recevait des services. Le legs est alors sans effet.

Dans Bourgeois c. Dagenais, la Cour supérieure est venue préciser en quoi consiste un «établissement de santé ou de services sociaux» au sens de cette disposition. Atteint d’un cancer en phase terminale, le testateur, âgé de 87 ans, voulait demeurer à la maison le plus longtemps possible. Il a donc engagé le défendeur, un préposé aux bénéficiaires, pour lui fournir des soins à domicile. Ce dernier a accompli sa tâche avec dévouement, et les deux hommes se vouaient un mutuel respect. Peu de temps avant sa mort, le testateur a signé un testament notarié dans lequel il léguait la moitié de ses biens au défendeur. Le frère du testateur a toutefois contesté la validité de ce legs en invoquant l’incapacité de recevoir du défendeur car, selon lui, celui-ci possédait un établissement de santé où le testateur y recevait des soins, au sens de l’article 761, al. 1 C.C.Q.

Or, le juge Clément Trudel a rejeté cette prétention et a conclu que, en adoptant cette disposition, le législateur n’avait pas eu l’intention d’inclure le domicile privé d’une personne, même si celle-ci y est soignée et y reçoit des soins :

[93]        Le but visé par le législateur consiste à mettre fin à des sollicitations indues par les propriétaires, administrateurs ou salariés des établissements et des familles d’accueil auprès des personnes qui y sont soignées ou y reçoivent des services ou qui y sont hébergées. Tout en voulant protéger les personnes vulnérables, le législateur a établi certaines balises dont celle voulant que le testateur soit soigné ou reçoive des services dans un établissement de soins de santé et de services sociaux, soit public soit privé, tel que statué par la Cour d’appel ou hébergé dans une famille d’accueil. Ces conditions doivent être remplies pour bénéficier de la présomption de captation.

[94]        Or, selon la preuve, Monsieur a constamment insisté auprès de Mme Jodoin et de son entourage pour demeurer dans sa maison et s’est constamment refusé à aller vivre à l’hôpital, dans un CHSLD public ou dans un centre privé de soins de longue durée d’autant plus qu’il possédaient des ressources financières amplement suffisantes pour se procurer le soutien nécessaire.

[95]        Pour parvenir à ses fins, Monsieur a retenu pendant quelques mois les services de PRN et ensuite ceux du défendeur afin de l’aider à se maintenir à domicile et y a consacré une infime partie de son actif. Dans cette optique, s’est formé entre Monsieur et le défendeur un contrat de travail établissant entre eux un lieu de subordination employeur-salarié.

[96]        Même en donnant à l’expression « établissement de santé ou de services sociaux » un sens large et libéral, soit celui d’un établissement public ou privé qui prodigue des soins et services à des personnes qui en ont besoin, il ne saurait inclure le domicile privé d’une personne, à usage d’habitation, même si cette personne y était soignée et recevait des soins.

 En pareilles circonstances, la présomption de captation énoncée à l’article 761 C.C.Q. ne s’applique donc pas.

Référence

 Bourgeois c. Dagenais (C.S., 2013-01-08), 2013 QCCS 10, SOQUIJ AZ-50925578

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