[1] Au-delà des précautions élémentaires qu'exige l’utilisation des nouvelles technologies de l’information[1], qui s’avèrent incontournables pour la majorité des professionnels, ceux-ci doivent également faire preuve de prudence au moment de naviguer sur Internet[2], d’utiliser la toile afin de faire la publicité de leurs services ou encore d’y publier des textes. Au cours des quatre dernières années, les différents conseils de discipline attachés à leur ordre professionnel respectif ont été appelés à se pencher sur la conduite de professionnels relativement à ces questions, et ce, principalement en matière de publicité. Voici un aperçu des décisions traitant de ces sujets.
Publication de textes sur Internet
Avocat
[2] Dans Avocats (Ordre professionnel des) c. Racicot[3] , le Conseil de discipline du Barreau du Québec a imposé une réprimande à l’avocat intimé, reconnu coupable sous le seul chef de la plainte disciplinaire lui reprochant d'avoir tenu, en transmettant et en publiant sur Internet un texte intitulé «L'agriculture au Québec : esclavage d'un type nouveau», des propos contrevenant à l'article 2.01.01 du Code de déontologie des avocats[4]. Cet article, qui prévoit que l’avocat doit servir la justice, énonce plus précisément qu’il doit soutenir l'autorité des tribunaux, qu’il ne peut agir de façon à porter préjudice à l'administration de la justice et qu’il ne peut notamment faire une déclaration publique de nature à nuire à une affaire pendante devant un tribunal. Selon l’intimé, le texte de 92 pages dans lequel se trouvaient les propos litigieux aurait été écrit dans le contexte où il était déçu d’un jugement prononcé par le juge Babin, de la Cour supérieure, et de celui de la Cour d’appel ayant confirmé cette décision. Le Tribunal des professions[5] a rejeté son appel, soulignant que le Conseil n'avait pas commis d'erreur manifeste et dominante dans la mise en balance des valeurs pertinentes consacrées par les chartes, soit la liberté d'opinion et la liberté d'association, et des objectifs visés par le code de déontologie. Il a conclu qu’il ne pouvait intervenir dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, d'autant moins que, bien au-delà de la critique ouverte et vigoureuse des institutions publiques, le paragraphe en cause[6], même dans le contexte de l'entièreté du texte écrit par l'appelant, alléguait, en termes à peine voilés, que le juge de la Cour supérieure et les trois juges de la Cour d'appel auraient eu un réflexe d'aveuglement volontaire pour justifier le rejet du recours intenté en s'appuyant sur un prétexte.
Publicité sur Internet
Chiropraticien
[3] Dans Chiropraticiens (Ordre professionnel des) c. Tanguay[7], le professionnel en cause s’est notamment vu reprocher d’avoir publié, au cours des années 2009 à 2012, «de fausses représentations à l’intérieur d’un message publicitaire apparaissant sur le site de YouTube, quant à son niveau de compétence et quant à l’efficacité de ses services», le tout en violation de l’article 60.2 du Code des professions[8], et de s’être désigné autrement que comme chiropraticien relativement à l’exercice de sa profession, dans un message publicitaire diffusé sur le site de YouTube ainsi que sur son propre site Internet et figurant sur ses cartes professionnelles. Sous chacun de ces chefs, il s’est vu imposer une amende de 1 000 $. Un autre chiropraticien[9], reconnu coupable de s’être désigné comme naturopathe et homéopathe dans une publicité faite sur son site Web, a également été condamné à verser une amende de 1 000 $. De plus, des réprimandes ont été imposées à deux chiropraticiens[10] ayant plaidé coupables après avoir fait l’objet de plaintes disciplinaires leur reprochant d’avoir exercé la profession de chiropraticien sous un nom autre que le leur en publiant ou en autorisant que soit publiée sur Internet une annonce publicitaire annonçant leurs services sous le seul nom de «Centre d’expertise chiropratique holistique de Lanaudière», commettant ainsi une infraction à l’article 10 de la Loi sur la chiropratique[11]. Enfin, dans Chiropraticiens (Ordre professionnel des) c. Gaudy[12], le chiropraticien intimé, qui s’est notamment vu reprocher d’avoir publié sur son site Internet un article publicitaire sur sa clinique contenant des informations inexactes, incomplètes et susceptibles d'induire le public en erreur, s’est vu imposer une réprimande ainsi qu’une amende de 1 000 $. Plus précisément, il lui était reproché d’avoir affirmé sur son site Internet qu’il offrait une technologie chiropratique qui avait été, antérieurement, réservée uniquement à l'élite de la NASA.
Technologue professionnel
[4] Dans Technologues (Ordre professionnel des) c. Carrier[13], le technologue intimé a pour sa part été acquitté sous les trois chefs lui reprochant diverses infractions liées à la publicité[14], soit : avoir omis d’indiquer son titre de technologue professionnel dans une publicité le concernant sur un site Internet ; avoir fait de la publicité fausse, trompeuse, incomplète ou raisonnablement susceptible d’induire en erreur en indiquant sur un site Internet la mention «nous sommes membres en règle de l'Ordre des technologues professionnels du Québec» alors qu’aucun de ses employés n’est membre de l’Ordre; et d’avoir reproduit sur ce même site le symbole graphique de l’Ordre des technologues professionnels tout en omettant d’y mettre l’avertissement suivant : «Cette publicité n’est pas une publicité de l’Ordre des technologues professionnels du Québec et n’engage que son auteur.» Relativement à ces chefs, le Conseil de discipline de l’Ordre des technologues professionnels a retenu que l’intimé «n’avait jamais eu l’intention de faire une publicité fausse ou trompeuse» tout en remarquant que ces trois chefs auraient dû «ne former qu’une seule accusation».
Denturologiste
[5] Il y a également lieu de faire mention d’une autre affaire mettant en cause plusieurs denturologistes qui pratiquent dans les Centres dentaires Lapointe (CDL)[15]. Bien que les chefs traitant des infractions liées à la publicité ne précisent pas expressément une diffusion sur Internet, les faits ont néanmoins été résumés comme suit par le Conseil de discipline de l'Ordre des denturologistes du Québec. Les infractions reprochées dans la plainte concernent la publicité faite par les CDL, appartenant à deux denturologistes, soit Yves et Larry Lapointe, qui ne pratiquent pas la denturologie, au cours de la période de 2007 à 2009. Les messages publicitaires ont été choisis dans le contexte de l’émission télévisée SOS Beauté, animée par Chantal Lacroix. En ce qui regarde la publicité par Internet, il s’agit d’infopublicités d’environ 45 minutes, de même nature. Selon le syndic, l’ensemble de cette publicité renfermait des témoignages d’appui et faisait appel à l’émotivité. Suivant la partie intimée, la publicité faisait plutôt l’éloge du concept des CDL[16] sans mentionner de nom de professionnel, ce qui rendait l'identification presque impossible. Hormis le retrait de la plainte concernant l’un des denturologistes visés par ces plaintes, les 24 autres intimés ont été reconnus coupables et se sont vu imposer diverses amendes ainsi que des réprimandes[17].
Physiothérapie
[6] Dans Physiothérapie (Ordre professionnel de la) c. Coulombe[18], la physiothérapeute intimée a plaidé coupable sous deux chefs d’accusation lui reprochant d’avoir contrevenu à son code de déontologie[19] en permettant que soit diffusée de la publicité susceptible d’influencer indûment des personnes vulnérables en raison de leur âge, de leur état de santé ou de la survenance d’un événement précis, en proposant par l'entremise de son site Internet des méthodes de rechange sous forme de produits naturels pour maîtriser la douleur et l’inflammation ainsi qu’en ayant fait, sur ce même site, de la publicité qui n’était pas reliée à l’exercice de sa profession, notamment en faisant la promotion de produits anti-inflammatoires, de bas et de couettes. À titre de sanction, le Conseil de discipline de l’Ordre professionnel de la physiothérapie du Québec a entériné la suggestion commune des parties et lui a imposé une amende de 1 000 $ sous chacun de ces chefs.
Avocat
[7] Dans Avocats (Ordre professionnel des) c. Mercure[20], l’avocat intimé a plaidé coupable sous l’unique chef de la plainte disciplinaire lui reprochant d’avoir utilisé ou permis que soient utilisés dans sa publicité, sur son site Web, des témoignages d’appui ou de reconnaissance le concernant (art. 5.06 du Code de déontologie des avocats). Une amende de 1 000 $ lui a été imposée. Au moment de rendre sa décision sur sanction dans cette affaire, le Conseil de discipline du Barreau du Québec a mentionné les deux décisions rendues dans Avocats (Ordre professionnel des) c. Bohbot[21] et dans Avocats (Ordre professionnel des) c. Benchetrit[22]. Dans ces deux dossiers, chacun des avocats en cause s’était vu imposer une amende de 1 000 $, outre des réprimandes. Même si, dans chacune de ces décisions, le libellé des quatre chefs d’infraction, comportant différents reproches liés à la publicité – notamment d’avoir utilisé dans celle-ci des témoignages d'appui ou de reconnaissance –, ne mentionnait pas précisément sa diffusion sur Internet, il est intéressant de constater l’origine de la plainte. En effet, on y lit que[23] : «Durant l’année 2008, lors d’une vérification de routine des sites Internet des avocats, le Bureau du syndic prend connaissance de celui de Bohbot & Associés.» Par ailleurs, autre point à mentionner, au moment de rendre sa sanction, le Conseil a indiqué que[24] : «L’intimé a voulu minimiser son geste en plaidant sa bonne foi et son ignorance des règles régissant la publicité des avocats; une telle excuse n’est pas acceptée comme circonstance atténuante.» Enfin, dans deux décisions récentes, des avocats ayant été reconnus coupables d’avoir utilisé ou permis que soient utilisés des témoignages d'appui ou de reconnaissance dans une publicité diffusée sur leur site Web ont fait l’objet de réprimandes[25].
Comptable professionnel accrédité
[8] Dans Comptables en management accrédités (Ordre professionnel des) c. Grenier[26], l’intimé s’est vu reprocher d’avoir fait de la publicité fausse, trompeuse ou susceptible d'induire le public en erreur en annonçant, sur le site de sa société, qu'il offrait des services de constitution de sociétés alors qu'il n'avait ni les compétences ni la légitimité requises. Une amende de 1 000 $ lui a été imposée sous ce chef.
Conclusion
[9] Il ressort de cet aperçu de la jurisprudence que les conseils de discipline ont majoritairement imposé à titre de sanction une amende minimale ou une réprimande aux professionnels fautifs. Par ailleurs, les sites Web mentionnés dans les différentes décisions sont, pour la plupart, toujours accessibles. Enfin, notons que la collaboration offerte par les professionnels examinés a été soulignée, le cas échéant, de même qu’une modification rapide du site (le retrait des témoignages d’appui, par exemple) ou encore un engagement à apporter les modifications requises par leur Ordre.
Les auteurs du Blogue ne peuvent donner d'opinion ni de conseil juridique relativement aux situations personnelles des lecteurs.
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